Agroécologie Temps de lecture 3 min
Métabolisme respiratoire des plantes : le paradoxe de la respiration des feuilles à la lumière éclairci
La photosynthèse des plantes est un processus complexe qui est le résultat de la fixation de CO2 et du rejet de CO2 par la photorespiration et la respiration à la lumière. La respiration à la lumière est un vrai paradoxe : bien que fortement réduite par rapport à la respiration à l’obscurité, elle est pourtant cruciale pour les biosynthèses, des processus indispensables à la croissance et à la survie des plantes (par exemple, la production des acides aminés). Une équipe de recherche de l'UMR IRHS à Angers, en partenariat avec l’UMR EGFV à Bordeaux, a cherché à comprendre comment les feuilles mises à la lumière réorganisent leur métabolisme pour résoudre ce paradoxe.
Publié le 19 février 2025

La photosynthèse est le processus responsable de la fixation du CO2 qui s’accompagne, dans les organismes oxygéniques, par la production d’oxygène. Chaque année, environ 60 gigatonnes de carbone sont fixées par l’activité photosynthétique de la végétation terrestre. Néanmoins, cette quantité est le résultat net de la photosynthèse brute (carboxylation) et des rejets de CO2 par la photorespiration (processus métabolique déclenché par la fixation compétitive de dioxygène) et la respiration. La respiration des organes photosynthétiques a lieu aussi bien à la lumière qu’à l’obscurité. Le dégagement de CO2 non-photorespiratoire à la lumière est ainsi appelé « respiration à la lumière ». Il s’agit d’un phénomène qui intrigue les physiologistes depuis plus de 50 ans, à cause de ses propriétés particulières. En particulier, son intensité est moindre que celle de la respiration à l’obscurité, de telle sorte que l’on parle d’« inhibition » de la respiration par la lumière.
Les mécanismes possibles à l’origine de cette inhibition ont été étudiés depuis de nombreuses années. Des travaux précédents de l’équipe de recherche avaient déjà en partie démontré qu’à la lumière, le métabolisme respiratoire est modifié, ce qui conduit à une plus faible libération de CO2. En particulier, le célèbre « cycle de Krebs », voie bien connue du métabolisme respiratoire, est rompu dès que les feuilles sont mises à la lumière : une partie du cycle fonctionne à rebours et une autre partie est fortement ralentie. De surcroît, la biosynthèse de l’intermédiaire métabolique qui alimente le cycle de Krebs, l’acétyl-CoA, est aussi ralentie via un jeu de régulation enzymatiques.
Si ces mécanismes permettent de comprendre que la respiration paraît « inhibée », ils mettent en avant un double paradoxe. Premièrement, la demande en intermédiaires métaboliques issus de la respiration est bien plus importante à la lumière, en particulier pour soutenir l’assimilation de l’azote. Mais si la respiration est inhibée, d’où proviennent ces intermédiaires pour fabriquer les acides aminés ? Deuxièmement, une appréciation quantitative des flux de production de CO2 par le métabolisme respiratoire (décarboxylation du pyruvate et cycle de Krebs) a montré que ces derniers sont insuffisants pour expliquer la production observée de CO2 par la respiration à la lumière. Autrement dit, l’inhibition du métabolisme respiratoire par la lumière est tellement efficace qu’on ne peut plus expliquer l’origine d’une partie du CO2 émis.
Respiration des plantes à la lumière : comment expliquer l'origine des acides aminés fabriqués et du CO2 émis par les plantes alors que la lumière inhibe tellement leur métabolisme ?
Pour y répondre, les scientifiques ont utilisé des technologies de traçage isotopique. Dans les manipulations les plus récentes, ils ont marqué avec du 13CO2 à la lumière, puis éteint la lumière pendant un certain temps, et enfin rallumé la lumière avec du CO2 ordinaire (non marqué). Les feuilles ont ensuite été analysées par plusieurs techniques métabolomiques non ciblées pouvant identifier les espèces isotopiques des molécules à haute résolution. Cela a généré plusieurs milliers de signaux métaboliques. L’attention a été portée sur les métabolites qui montraient un effet d’interaction marquage x lumière car ce sont les témoins des voies métaboliques mises en jeu de façon différentielle entre lumière et obscurité.

Les résultats ont tout d’abord montré directement que le citrate, molécule-clef du cycle de Krebs, n’incorpore pas de 13C à la lumière en présence de 13CO2 mais uniquement à l’obscurité. Inversement, il ne se dilue pas isotopiquement lorsqu’on rallume la lumière en présence de CO2 ordinaire. Le carbone utilisé pour alimenter le cycle de Krebs est donc simplement hérité de la période d’obscurité précédente, ce qui résout le premier paradoxe. Ensuite, ces résultats ont clairement mis en avant la multiplicité des sources de CO2 : biosynthèse des acides aminés, des métabolites secondaires, etc. Au total, une quinzaine de voies métaboliques sont mises en jeu dans la production de CO2 par la respiration à la lumière, ce qui résout le second paradoxe.
En conclusion, l’étude montre bien que malgré son nom, la respiration à la lumière ne se limite pas au métabolisme respiratoire mais reflète comment tout le métabolisme, pris dans sa globalité, est réorchestré à la lumière.
PARTENAIRES SCIENTIFIQUES : INRAE UMR EGFV, Bordeaux (Cyril Abadie)
FINANCEMENT : travail soutenu par la Région Pays-de-la-Loire et Angers Loire Métropole dans le cadre du projet Connect Talent ISOSEED.
PUBLICATIONS ASSOCIEES :
- Abadie, C., Lalande, J., Dourmap, C., Limami, A. M., & Tcherkez, G. (2024). Leaf day respiration involves multiple carbon sources and depends on previous dark metabolism. Plant, Cell & Environment. https://doi.org/10.1111/pce.14871
- Tcherkez, G ., Abadie, C., Dourmap, C., Lalande, J., & Limami, A. M. (2024). Leaf day respiration: More than just catabolic CO2 production in the light. Plant, Cell & Environment. https://doi.org/10.1111/pce.14904