Alimentation, santé globale 10 min
Lucie Marandel, fondamentalement chercheuse
Comment l’alimentation des truites influence-t-elle leur métabolisme ? C’est ce que Lucie Marandel, chargée de recherche à l’unité mixte de recherche Nutrition, métabolisme, aquaculture, tente de comprendre au travers des régulations épigénétiques induites par les nutriments. Des recherches fondamentales prometteuses récompensées par un Laurier 2021 Espoir scientifique.
Publié le 29 novembre 2021
Comprendre. Comprendre comment la vie se forme, comment à partir de deux cellules se constitue un être entier ? Quels sont les mécanismes biologiques qui régissent cela ? Ces interrogations de petite fille, cette curiosité, cette envie de comprendre dans le moindre détail, Lucie en a fait son métier. Un « métier passion » selon ses mots. Déterminée, patiente et rigoureuse, la jeune femme a toutes les qualités requises pour faire de la recherche, et le faire bien, avec une conviction, l’importance de la recherche fondamentale pour faire progresser la compréhension du monde qui nous entoure.
Vache ou poisson ? Génétique ou épigénétique ?
Petite, elle voulait être vétérinaire. Pour soigner les animaux ? Non, pour un jour faire de la recherche sur les animaux de rente et avec une volonté forte déjà de s’orienter vers la recherche fondamentale. Bac scientifique, prépa, école d’agronomie, stage, le chemin était tracé. Lucie voulait étudier les vaches, probablement que la maison familiale au cœur de la Normandie y était pour quelque chose. Seulement, son stage sur la reproduction des bovins a dû être annulé. Tout problème étant une opportunité, elle en trouve un autre… sur les poissons ! « Le poisson, ce n’était pas un animal qui m’attirait, mais après ce stage, c’est devenu mon animal fétiche, tant il y a de choses à découvrir sur ce modèle ! » reconnait-elle. Elle s’engage alors dans une thèse, sur le poisson rouge, au sein du Laboratoire de physiologie et génomique des poissons d’INRAE à Rennes. Objectif, comprendre le fonctionnement de gènes impliqués dans son développement embryonnaire. Après un post-doctorat en Belgique, Lucie est recrutée à INRAE en 2014 dans l’unité mixte de recherche Nutrition, métabolisme, aquaculture - NuMeA. Elle s’investit pleinement dans une discipline récente, l’épigénétique. Mais ne vous méprenez pas, c’est très différent de la génétique : « Ca n’a rien à voir. En génétique on étudie le génome, les séquences ADN qui constituent les gènes, alors qu’en épigénétique, on s’intéresse aux mécanismes biologiques qui permettent la lecture de ces gènes, c’est-à-dire les facteurs qui font que les gènes vont s’exprimer ou non. Et l’alimentation joue un rôle dans ces régulations. »
Rendez-vous en recherche inconnue
Le poisson est un modèle qu’on connait peu, ça laisse le champ libre pour explorer plein de choses
La finalité de ses recherches est claire, remplacer, dans les élevages, les farines et huiles de poissons, peu acceptables écologiquement et éthiquement puisqu’issues de surpêche qui épuise les ressources marines et génère des pollutions. Mais par quoi remplacer ces aliments ? Si ses collègues étudient l’intérêt d’aliments aquacoles riches en protéines végétales ou en protéines d’insectes, Lucie, elle, décide de regarder quels seraient les effets sur les truites d’une alimentation enrichie en glucides. En effet, ceux-ci ont l’avantage d’être peu coûteux à produire, de pouvoir être fabriqués facilement et en grande quantité. Il s’agit d’avoir une croissance optimale des truites, de respecter leur bien-être, et de trouver une alimentation équilibrée qui ne gaspille pas les ressources protéiques. Seulement les truites sont, à l’origine, mauvaises utilisatrices de ce nutriment lorsqu’il est ajouté en grande quantité dans l’aliment.
Comment la truite peut-elle mieux assimiler ces glucides ? Est-ce qu’en consommer modifie son métabolisme et sa physiologie ? Pour répondre à ces questions, Lucie regarde ce qu’il se passe au niveau épigénétique. Est-ce que, lorsque les truites sont alimentées avec plus de glucides, moins de gènes s’expriment ? Plus ? Ou de nouveaux ? Mais avant d’étudier cela, il faut mettre en place tout un protocole expérimental.
Comme un poisson dans l’eau
Chaussez vos bottes, enfilez une veste chaude, nous partons à Lees Athas, site INRAE niché au creux des montagnes du Béarn, où se trouvent les installations de pisciculture, lieu des expérimentations mises au point par Lucie. A l’intérieur, des bassins avec des jeunes truites arc-en-ciel à des stades de développement différents. A l’extérieur, de grands bassins avec des truites adultes. Chaque jour, elles sont nourries avec les aliments dont la composition a été élaborée par sa collègue nutritionniste puis fabriqués à la pisciculture expérimentale INRAE de Donzacq. « Je n’y connais pas grand-chose en nutrition, c’est un véritable travail d’équipe ! » explique Lucie. Les poissons sont ensuite observés à différents stades de développement pour voir les effets dans le temps de leur nouvelle alimentation. Retour à Saint-Pée-sur-Nivelle, dans les laboratoires de biologie moléculaire et de biochimie, où Lucie analyse les ARN extraits des cellules de foie et de muscles des truites et complète avec des analyses sanguines et épigénétiques. A partir des ARN, elle peut alors vérifier si de nouveaux gènes s’expriment ou si certains ne s’expriment plus. Résultat, deux gènes impliqués dans la production de glucose par les cellules sont sur-exprimés chez les truites nourries avec des glucides, comparées aux truites témoins.
Programmées pour manger autrement
Ses découvertes ne s’arrêtent pas là ! La persévérante Lucie révèle qu’il est possible de « programmer » les poissons lorsqu’ils sont très jeunes pour qu’à l’âge adulte ils acceptent mieux les glucides. L’épigénétique pourrait expliquer ce phénomène. Nourrir les jeunes poissons avec des glucides à un stade très précoce provoquerait des modifications épigénétiques entrainant l’expression de gènes qui, sans ce stimulus, ne se seraient pas exprimés. Ces modifications se transmettent lors de la division cellulaire, ce qui, à l’âge adulte, permet d’avoir des truites qui utiliseraient mieux les glucides. Encore plus étonnant, ces nouveaux caractères pourraient se transmettre sur plusieurs générations. « L’analyse de ces expérimentations sont toujours en cours et j’ai encore plein de pistes que j’aimerais explorer, j’en ai pour au moins 10 ans de recherches ! » conclut-elle.
INRAE, la liberté d’entreprendre
Sans recherche fondamentale, il n’y a pas d’applications possibles
« Etre chercheuse à INRAE, c’est la liberté d’entreprendre avec des moyens et des infrastructures dédiées, c’est la liberté de mener des travaux dans le sens que l’on souhaite. C’est pour moi la possibilité de faire de la recherche fondamentale tout en ayant une dimension agronomique dans mes recherches » explique Lucie. « Quand je suis arrivée à INRAE, je n’avais pas de financements dédiés à mes projets et pour les obtenir, il est nécessaire de publier. Mais les budgets de l’unité NuMeA sont mutualisés, il y a une concertation entre tous pour l’achat de matériel, cela permet aux jeunes chercheurs et chercheuses comme moi de démarrer leurs travaux dans de bonnes conditions. »
LE laurier INRAE ?
Lucie répond : « Je suis bien sûr très honorée, et surprise, de recevoir ce laurier, mais ma plus grande satisfaction c’est qu’au travers de cette récompense, il s’agit d’une véritable reconnaissance de l’intérêt de la recherche fondamentale dans un institut de recherche finalisée. C’est quelque chose qui me tient à cœur, car sans recherche fondamentale, il n’y a pas d’applications possibles. »
Mini-CV
37 ans, pacsée, 1 enfant
- Parcours professionnel
2014 : Chargée de recherche, UMR Nutrition, métabolisme, aquaculture (INRAE , Université de Pau et des pays de l’Adour), centre INRAE Bordeaux-Nouvelle Aquitaine
2012 - 2014 : Post-doctorat, Diagenode, Liège, Belgique. Marie Curie fellowship, Initial Training Network INGENIUM. - Formation
2011 : Doctorat en biologie au Laboratoire de physiologie et de génétique des poissons (INRAE, Université Rennes). Caractérisation des gènes pou2, nanog, c-myc et sox2 au cours du développement embryonnaire chez Carassius auratus.
2008 : Ecole nationale supérieure agronomique de Rennes
2008 : Master en Biologie, physiologie animale et qualité, Université de Rennes - Loisirs : marche.