Société et territoires Temps de lecture 3 min
Just Scapes : un projet pour plus de justice environnementale en Europe
Les zones rurales se retrouvent au centre des transformations envisagées par les politiques climatiques européennes pour faire face aux effets du dérèglement climatique. Or, ces actions peuvent être vécues comme des injustices par les acteurs locaux. En s’appuyant sur la notion de justice environnementale et sur des démarches de recherche-action participative, le projet européen Just Scapes s’emploie à coconstruire des actions de transformations justes et durables.
Publié le 13 février 2025

Démarré en 2020, ce projet implique trois régions rurales de trois pays différents : les Highland Écossais, la Moravie du Sud et de l’Est en République Tchèque et les Pyrénées Ariégeoises en France. C’est une équipe du laboratoire Dynamiques et écologie des paysages agriforestiers (Dynafor) du centre INRAE Occitanie-Toulouse menée par Cécile Barnaud, chercheuse INRAE, qui coordonne le volet français.
Vers la neutralité carbone en 2050 : les zones rurales au cœur de cet objectif
Dans son Plan Climat, la France s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050. Les zones rurales sont en première ligne pour réaliser cet objectif. Elles doivent en effet permettre de stocker plus de carbone dans les sols et les forêts, mais également s’assurer de réduire les émissions issues de l’agriculture, tout en rapprochant les lieux de production et de consommation.
Des questions surviennent donc face aux transformations envisagées par les politiques climatiques, notamment en montagne, dans des territoires façonnés par l’élevage pastoral. Va-t-on remettre en cause les soutiens financiers existants au nom d’une nécessaire réduction de l’élevage ? Ou au contraire encourager le pastoralisme, qui permet de stocker le carbone dans les sols des pâturages ? Va-t-on allouer plus de terres aux projets de maraîchage en circuits courts ?
C’est pour répondre à ces questions que l’équipe a choisi de mener ses recherches dans un site particulier des Pyrénées ariégeoises : la vallée de l’Arac. Ici coexistent en effet depuis les années 70 du pastoralisme et une diversité de petites productions, notamment maraîchères.
Les scientifiques ont souhaité aborder ces questions sous l’angle de la justice environnementale. Ces transformations envisagées par le Plan Climat sont-elles équitables ou au contraire vécues comme des injustices par les acteurs locaux ? Et, si c’est le cas, comment alors construire des transformations écologiques qui puissent être justes et équitables pour les différentes productions agricoles, tout en respectant l’objectif de la neutralité carbone de 2050 ?
Un projet de recherche-action participative
On parle de démarche recherche-action participative, car le projet se construit avec les différents acteurs locaux, concernés par ces transformations de l’usage des terres. Il s’agit de personnes qui vivent et travaillent dans la vallée donc tout autant des éleveurs et des maraîchers, que des élus et des gestionnaires, d’anciens habitants comme de nouveaux arrivants.
Dans les Pyrénées, le projet Just Scapes s’est déroulé en plusieurs étapes. Il y a d’abord eu des phases d’entretiens semi-directifs auprès d’une soixantaine d’acteurs et d’actrices du territoire pour comprendre la diversité des points de vue et des pratiques agricoles existantes. Puis, les scientifiques ont organisé une série d’ateliers avec trois temps forts : un temps d’échange sur les problèmes, un temps d’exploration de solutions et un temps de réflexion sur les leviers d’action. Par ailleurs, un atelier d’écriture a permis d’exprimer et de partager les émotions liées à l’avenir de la vallée.
Ces ateliers ont permis de proposer des premières réponses aux questions qui se posent sur la justice environnementale et sur l’avenir des activités agricoles en zones montagneuses. Et au niveau des trois pays, de créer un recueil de témoignages sur les visions du territoire de différents habitants des trois régions impliquées.
L’injustice la plus dénoncée : l’inégalité d’accès à la terre
Les différentes démarches du projet ont permis d’identifier quatre thèmes généraux d’injustice environnementale. Les acteurs locaux des trois pays dénoncent le poids des efforts demandés aux populations rurales en matière d’environnement par rapport aux populations urbaines, vécu comme injuste et disproportionné ; un sentiment d’impuissance politique pour les acteurs de ces territoires qui regrettent que leurs voix ne soient pas plus entendues et prises en compte dans les décisions publiques ; un manque de reconnaissance de leurs valeurs, connaissances et savoir-faire ; et enfin un inégal accès à la terre. Ce dernier enjeu ressort comme la revendication commune la plus importante car elle n'est pas seulement considérée comme un obstacle à la justice sociale, mais aussi comme un facteur limitant de durabilité.
Les recherches menées dans les trois sites soulignent le rôle des régimes de subventions, liés à l'agriculture, à la sylviculture et au marché du carbone, dans le maintien d'un accès inégal à la terre par le biais d'un soutien financier et d'incitations pour les plus grosses exploitations agricoles et les plus grands propriétaires fonciers. Alors qu'il existe des barrières institutionnelles et financières pour ceux qui poursuivent d'autres types d'utilisation des terres comme par exemple, les forêts communautaires ou les petites fermes diversifiées.
Cette question foncière est une injustice historiquement enracinée dans les zones rurales. Pourtant, elle est essentielle à prendre en compte, car elle est au cœur des enjeux de justice environnementale dans le contexte des politiques « neutralité carbone » et des changements à
grande échelle attendus dans les zones rurales. Il faut donc questionner les structures politico-économiques historiquement constituées et les inégalités foncières.
Ces injustices constituent aujourd’hui des barrières aux transitions écologiques pourtant nécessaires. Si on ne les traite pas en profondeur et de manière systémique, les acteurs et actrices locaux risquent de résister aux changements, d’entrer en conflit, et de protester, à l’instar des mouvements sociaux d’importance qui ont eu lieu en France au sein du monde agricole en 2024.
Référence :
Brown D., Bégou B. Clement F., Coolsaet B., Darmet L., Gingembre M., Harmáčková Z. Martin A., Nohlová B., Barnaud C. (2024) Conceptualising rural environmental justice in Europe in an age of climate-influenced landscape transformations. Journal of Rural Studies. 110 (2024) 103371, https://doi.org/10.1016/j.jrurstud.2024.103371

Mardi 18 mars 2025 à 18h - Centre INRAE Occitanie-Toulouse
Projection du film documentaire « Demain, la vallée »Réalisé dans le cadre du projet de recherche-action Just Scapes, porté par le laboratoire Dynamiques et écologie des paysages agriforestiers (Dynafor) du centre Occitanie-Toulouse, ce film retrace un processus de démocratie participative qui a eu lieu dans la vallée de l'Arac, en Ariège. La projection sera suivie d’une rencontre avec plusieurs protagonistes du film. Entrée gratuite dans la limite des places disponibles, inscription obligatoire.