Biodiversité 5 min

Le reboisement spontané de nos montagnes… bon ou mauvais pour la biodiversité ?

« Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Cette pensée de Pascal pourrait résumer les travaux qu’une équipe de chercheurs a menés, analysant les fondements sociaux, culturels et politiques d’un débat, écologique en apparence, dans quatre aires protégées en France, Espagne et Ecosse.

Publié le 07 avril 2021

illustration Le reboisement spontané de nos montagnes… bon ou mauvais pour la biodiversité ?
© INRAE, Jean-Marie Bossennec

Exode rural, déclin de l’élevage et abandon des terres ont laissé derrière eux des prairies et des landes qui voient depuis croitre spontanément arbustes et arbres. Cette régénération spontanée des forêts constitue un changement majeur dans l’utilisation des terres des montagnes et des hautes terres d’Europe, et l’impact de ce changement sur la biodiversité est sujet à débat.

Si cette question semble relever à première vue des sciences que l’on dit naturelles, elle touche également le domaine social. C’est dans un voyage inattendu, au-delà des montagnes que nous entraine une équipe internationale et pluridisciplinaire de recherche, analysant les discours ambiants autour de quatre aires protégées de France – Parc national des Pyrénées et Parc national des Cévennes, d’Espagne – Parc national de Montseny et d’Écosse – Parc national de Cairngorms.

Quand les avis divergent

En France, dans les Pyrénées comme dans les Cévennes, les gestionnaires des aires protégées considèrent l’invasion des prairies et des landes d’altitude par de jeunes arbres comme une menace pour la biodiversité. Ils soutiennent l’élevage pastoral pour que les troupeaux, en broutant, freinent « la fermeture des milieux ».  En Espagne, le rôle des activités humaines dans le façonnage du patrimoine naturel est aujourd’hui également reconnu et le Parc de Montseny souhaite désormais accueillir plus d’éleveurs auxquels le débroussaillage mécanique garantit des prairies. En Ecosse, dans les Highlands, ces mêmes jeunes arbres qui recolonisent les landes sont considérés, au contraire, comme un succès pour la biodiversité, et les gestionnaires cherchent à réduire les populations de cervidés qui gênent leur croissance lorsqu’ils en broutent les jeunes pousses.

Aux fondements des discours : des intérêts, des idées et des institutions

Certes, les contextes écologiques diffèrent, par exemple en matière de proportions de milieux boisés – de 93 % en Espagne à 16 % en Ecosse – ou de nature des sols – plutôt acides en Ecosse et calcaires dans le sud de l’Europe -, et cela peut expliquer en partie ces différentes « vérités » écologiques. Cependant, en examinant de plus près la façon dont ces discours sont construits, les auteurs de cette étude ont montré que ces différences ont surtout des causes sociales, culturelles et politiques.

Les gestionnaires des aires protégées en Europe ont dans l’ensemble peu de pouvoir pour accomplir leur mission de préservation de la biodiversité : ils ne sont pas propriétaires des terres et ont peu de moyens réglementaires pour contraindre ou inciter ceux qui les possèdent à suivre leurs recommandations. Pour légitimer leurs actions, ils ont besoin d’alliances, avec les acteurs locaux, les politiques, ou encore l’opinion publique.

Dans les cas français, les discours des acteurs qui veulent maintenir l’élevage pastoral se recoupent et font alliance, bien que leurs raisons diffèrent – maintien de la biodiversité des landes et des prairies, préservation de la vie dans les montagnes, protection d’un patrimoine culturel ou encore pratique de la chasse. Les gestionnaires des parcs ont ainsi rejoint les acteurs des territoires autour de la nécessité de maintenir des milieux ouverts, et ce en phase avec les politiques publiques de soutien à l’élevage. On voit cependant émerger de nouveaux discours qui, bien que minoritaires, remettent en cause cet apparent consensus en suggérant que la reforestation spontanée pourrait être vue comme une opportunité pour la biodiversité de ces montagnes. En Ecosse, au contraire, l’opinion publique dominante est de plus en plus critique vis-à-vis des propriétaires qui gèrent leurs immenses domaines privés afin d’offrir une chasse récréative réservée à une élite – il faut payer très cher pour traquer le cerf dans les landes des Highlands le temps d’un week-end. Cet héritage issu de l’ère victorienne est de plus en plus contesté, perçu à la fois comme injuste socialement et néfaste pour l’environnement. C’est à cette mouvance de l’opinion publique et de la classe politique que les gestionnaires du parc écossais se sont alliés pour mettre en œuvre une politique de reboisement, notamment au nom de la biodiversité. 

En Espagne, deux idéaux opposés semblent coexister : celui d'une forêt intacte, porté par de nombreux visiteurs et nouveaux résidents attirés par la naturalité apparente du parc, et celui d'un paysage façonné par l'homme que le parc tente de promouvoir - mais sans grand succès faute de soutien et d’alliances, tant au niveau des acteurs locaux que des politiques publiques.

Vers une nouvelle gestion de la biodiversité

Souvent contexte (écologique et social) varie, conduisant à des discours différents, qui se rejoignent ou s’opposent. A la croisée de l’écologie et des sciences sociales, ces travaux invitent à penser la gestion de la biodiversité (ou plutôt des biodiversités) non pas simplement comme une bataille d’experts de ces biodiversités, mais comme une affaire de choix social, qui pour être juste doit reposer sur des processus de concertation avec l’ensemble des acteurs concernés.

Référence

Cécile Barnaud et al. Is Forest Regeneration Good for Biodiversity? Exploring the Social Dimensions of an Apparently Ecological Debate. Environmental Science & Policy, 120 (2021), 63.

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

Contacts

Cécile Barnaud UMR Dynamiques et agroécologie des paysages agriforestiers (INRAE, INP Toulouse)

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