Changement climatique et risques Temps de lecture 3 min
Impact du changement climatique : les lacs perdent leur oxygène
COMMUNIQUE DE PRESSE - Les niveaux d’oxygène des lacs situés dans les zones de climat tempéré déclinent rapidement, plus vite que dans les océans. Le changement climatique est la principale cause de cette tendance depuis au moins quatre décennies qui menace la biodiversité et la potabilité des lacs d’eau douce. Ce sont les conclusions d’une étude internationale publiée le 2 juin dans Nature, pilotée par le Rensselaer Polytechnic Institute (Etats-Unis) à laquelle a participé INRAE. Depuis 1980 les niveaux d’oxygène de ces lacs ont diminué de 5,5% dans les eaux de surface et de 18,6% dans les eaux profondes. Cette baisse globale d’oxygène dissous dans les lacs impacte directement les écosystèmes, en particulier la vie d’organismes comme les poissons, et altère les cycles biogéochimiques* notamment en augmentant des émissions potentielles de nutriments dans l’eau et de gaz à effet de serre comme le méthane vers l’atmosphère.
Publié le 03 juin 2021
Bien qu’ils ne représentent que 3% de la surface des terres émergées, les lacs contiennent une grande biodiversité. Plus petits que les mers et les océans, ils réagissent plus rapidement aux effets des changements environnementaux. Ils représentent ainsi de véritables sentinelles des impacts du changement climatique sur les écosystèmes. C’est pourquoi une équipe internationale du GLEON (Global Lake Ecological Observatory Network)** a conduit une étude sur plus de 45 000 échantillons d’eau de 400 lacs des zones tempérées du globe, principalement en Amérique du Nord et en Europe, dont les plus anciens relevés datent de 1941 et les plus récents de 2019. INRAE a notamment contribué en fournissant les données de l’Observatoire des lacs alpins OLA. Les scientifiques ont analysé l’oxygène dissout des eaux de surface et des eaux profondes des échantillons ainsi que les profils de température des eaux.
Une baisse globale des niveaux d’oxygène dans les lacs depuis les années 1980
Les résultats montrent que, depuis 1980, les lacs ont globalement perdu de l’oxygène. Les niveaux d’oxygène des lacs étudiés ont en moyenne baissé de 5,5% dans les eaux de surface et de 18,6% dans les eaux profondes, une perte à une vitesse 3 à 9 fois plus rapide que celle des océans. Le principal moteur de cette perte d’oxygène dans les eaux de surface est l’augmentation globale des températures qui diminue la solubilité de l’oxygène dans l’eau. Depuis les années 1980, avec l’augmentation des températures de l’atmosphère, la température globale des eaux de surface des lacs a augmenté de 0,38 °C par décennie et la concentration en oxygène a diminué de 0,11 mg/l par décennie. Pour les eaux profondes, la température est restée relativement stable mais l’augmentation de la température des eaux de surface a augmenté la différence de densité avec les eaux profondes, rendant plus difficile le mélange des eaux des différentes strates des lacs et donc le renouvellement de l’oxygène des eaux profondes. C’est cette augmentation de la stratification thermique, en intensité et en durée, qui a conduit à une diminution des concentrations d’oxygène dans les couches profondes des lacs.
Un risque accru d’eutrophisation et d'émission de gaz à effet de serre
La concentration en oxygène régule de nombreuses caractéristiques de la qualité écologique des eaux. En effet la plupart des organismes vivants, comme les poissons, dépendent du niveau d’oxygène de l’eau, et une baisse trop importante peut mener au déclin de certaines espèces. Dans le même temps, cette baisse d’oxygène favorise les microorganismes qui évoluent plus facilement dans des milieux sans oxygène, comme certaines bactéries qui produisent du méthane, un puissant gaz à effet de serre. La baisse du niveau d’oxygène impacte également les sédiments situés au fond des lacs qui retiennent la pollution. Avec la baisse de la concentration en oxygène, ces sédiments réémettent de la pollution métallique et des nutriments, comme le phosphore, qui font baisser la qualité chimique des eaux et favorisent les phénomènes d’eutrophisation***.
Les changements rapides observés dans les lacs ces dernières années donnent une indication des impacts globaux du changement climatique sur les écosystèmes. A partir de ces observations, INRAE développe actuellement des modèles prédictifs de l’évolution des niveaux d’oxygène des écosystèmes lacustres de l’Observatoire OLA pour aider les gestionnaires de ces lacs.
Référence Jane, S.F., Hansen, G.J.A., Kraemer, B.M. et al. Widespread deoxygenation of temperate lakes. Nature 594, 66–70 (2021). DOI : https://doi.org/10.1038/s41586-021-03550-y |
Des résultats qui confirment une tendance de long terme
En 2016, deux études sur les archives sédimentaires des lacs en Europe et dans le monde menées par l’Institut national de la recherche scientifique du Québec, et impliquant INRAE, montraient une tendance des lacs à perdre leur oxygène à cause des rejets de nutriments. Ces rejets étaient notamment dus à l’augmentation des pressions humaines, en particulier en Europe suite à l’expansion des villes. Cette nouvelle étude montre que sur ces dernières décennies, le changement climatique et l’augmentation de la température sont devenus les principales causes des pertes d’oxygène des lacs, alors que la cause historique était les rejets de nutriments. La question est désormais de savoir comment ces deux pressions (climat & nutriments) interagissent, et si les concentrations résiduelles de phosphore (élément nutritif des microorganismes) dans les lacs héritées des années 1950 en Europe peuvent amplifier les impacts du changement climatique. Ces questions sont actuellement adressées en modélisation en utilisant les données des archives sédimentaires (échelle de temps long) et suivis limnologiques (données récentes et suivis saisonniers des eaux des lacs).
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* Un cycle biogéochimique est le processus de transport et de transformation cyclique d'un élément ou composé chimique entre les grands réservoirs que sont la géosphère, l'atmosphère, l'hydrosphère, dans lesquels se retrouve la biosphère.
** Le Global Lake Ecological Observatory Network (GLEON) est un réseau international de base bénévole de chercheurs qui vise à comprendre, prédire et communiquer sur le rôle et la réponse des lacs aux changements globaux de l’environnement. GLEON s’appuie sur plus de 60 observatoires de lac dans le monde, plus de 850 membres de 62 pays. https://gleon.org/
***Déséquilibre des écosystèmes aquatiques déclenché par des apports excessifs en nutriments, souvent d’origine anthropique. Les manifestations les plus connues sont l’apparition de cyanobactéries toxiques dans les lacs et les cours d’eau, et les proliférations de macroalgues vertes dans les zones côtières.