Alimentation, santé globale 6 min
France-Brésil : 20 ans de collaboration sur les probiotiques en santé humaine ou animale
INRAE et l'UFMG (Université Fédérale du Minas Gerais, Brésil) fêtent 20 ans de collaboration et de succès sur l'exploration du potentiel des bactéries dans la modulation de la réponse immunitaire.
Publié le 21 janvier 2021
Depuis le début des années 2000, des liens étroits se sont tissés entre la France et le Brésil au travers d'une collaboration entre l'UFMG et INRAE.
Yves Le Loir (unité STLO du département MICA), Philippe Langella et Jean-Marc Chatel (unité MICALIS, MICA et AlimH) nous en disent plus sur cette relation scientifique et humaine.
Comment est née cette collaboration de 20 ans entre des laboratoires INRAE et l’UFMG ?
Nous connaissons Vasco Azevedo depuis le début des années 1990. A l'époque, V. Azevedo préparait une thèse de doctorat à l’Unité de Génétique Microbienne au centre INRA de Jouy en Josas.
Après un séjour post-doctoral aux USA, V. Azevedo rentre au Brésil et occupe un poste d’enseignant-chercheur à l’Université Fédérale du Minas Gerais (UFMG) à Belo Horizonte. Durant cette période, il reste attaché à son expérience en France et, en 1999, grâce à un financement post-doctoral, une première collaboration se met en place avec la venue de Luciana Ribeiro dans l'équipe de P. Langella à Jouy.
En 2001, Y. Le Loir rejoint l'unité STLO, à Rennes, tout en poursuivant la collaboration avec P. Langella et V. Azevedo. Dans la continuité de ce premier échange post-doctoral, un premier projet CAPES-COFECUB* est financé.
Autour de ce noyau historique, un réseau franco-brésilien s’est constitué, agrégeant d’autres collègues microbiologistes et immunologistes des deux institutions, dont Jean-Marc Chatel. Quatre autres projets CAPES-COFECUB ont suivi le premier et ont permis de financer des bourses de doctorat et post-doctorat sur les périodes allant de 2006 à 2023.
Tous ces projets ont exploré et explorent encore le potentiel des bactéries (notamment bactéries lactiques) à moduler la réponse immunitaire de l’hôte, en particulier dans un contexte de maladie inflammatoire.
Depuis septembre 2017, le LIA BactInflam a été créé pour regrouper les équipes MicroBio (STLO) et ProbiHôte (Micalis) du département MICA d’INRAE et les laboratoires LGCM, Immunopharmacologie et Immunobiologie de l’Universidade Federal de Minas Gerais. Le premier séminaire scientifique du LIA BactInflam a eu lieu au Brésil en 2018.
Que sont les maladies inflammatoires ? En quoi constituent-elles un problème de santé humaine et animale ?
Les maladies dites inflammatoires regroupent diverses affections qui se caractérisent par l’inflammation d’un ou plusieurs organes. L'inflammation est un ensemble de réactions générées par l'organisme en réponse à divers types d’agression : externes comme une blessure, une infection, un traumatisme ou interne à l’organisme comme dans certaines pathologies auto-immunes.
Depuis quelques décennies, plusieurs régions du monde traversent une période de transition alimentaire profonde liée à des changements de mode de vie (sédentarité) et d’alimentation (plus riche en produits carnés, notamment). Les répercussions de ces changements commencent à se faire sentir au niveau de la santé publique, notament les dysfonctionnements digestifs d’origine inflammatoire, qui prennent une ampleur croissante. On les regroupe sous le terme de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin comme la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique.
Les maladies inflammatoires touchent aussi le monde animal, et nous nous intéressons plus particulièrement à celles qui touchent les animaux d’élevage. La mammite (inflammation de la mamelle, le plus souvent d’origine infectieuse), fréquente chez les ruminants laitiers, est probablement celle qui engendre le plus de perte économique pour ce secteur.
Pourquoi vous interessez-vous, en France et au Brésil, à l’action des bactéries dans ce contexte de maladies inflammatoires ?
Dans chacun de ces contextes inflammatoires, les bactéries liées à l’organe (intestin ou mamelle) jouent un rôle qui peut être différent. Ce sont soit des éléments déclencheurs de l’inflammation, soit au contraire des agents capables de moduler cette inflammation.
Par exemple, les bactéries pathogènes telles que Staphylococcus aureus sont fréquemment impliquées dans les mammites chez les bovins. Cette bacterie induit des infections souvent chroniques et de ce fait est associée à des inflammations récidiventes. Les mécanismes impliqués dans la pathogenèse de S. aureus et surtout dans la persistance des infections sont encore mal connus. C’est pourquoi nous travaillons sur le sujet.
A l’opposé, certaines bactéries dites probiotiques sont capables de moduler l’inflammation au niveau du système digestif et de soulager certains des symptomes associés aux maladies inflammatoires de l’intestin. Plusieurs espèces de bactéries lactiques ou propioniques, comme Lactobacillus casei et Propionibacterium freudenreichii, ou commensales de l’intestin -qui font partie de l’écosystème intestinal-, telle Faecalibacterium prausnitzii, constituent de bonnes candidates pour ces applications santé incluant l’atténuation de l’inflammation, la prévention des récidives et le rééquilibrage du microbiote intestinal.
Comment abordez-vous ce problème et quelles solutions recherchez-vous ?
L’avènement des techniques de séquençage de génomes à haut débit a permis d’explorer en profondeur la composition des microbiotes associés aux écosystèmes intestinaux ou mammaires. Ces études ont permis d’établir des profils de microbiotes en équilibre associés à un organe sain. Ceux-ci se caractérisent généralement par une forte biodiversité et sont dominés par des groupes bactériens particuliers.
Ces études ont aussi permis de définir des microbiotes en déséquilibre qui se caractérisent pas une perte de diversité et l’absence de certains groupes bactériens.
Mieux connaitre la composante bactérienne de ces maladies inflammatoires permettra de mieux comprendre les mécanismes de l'inflammation et de proposer des méthodes basées sur l’utilisation de bactéries pour prévenir ou traiter ces maladies.
Ceci devrait aider à réduire le recours aux traitements par des médicaments antibiotiques et/ou antiinflammatoires. La réduction de l’usage d’antibiotiques, à usage vétérinaire notamment, est aujourd’hui une priorité mondiale. Il est très important, en effet, d’éviter l’émergence de souches bactériennes résistantes aux antibiotiques qui pourraient se transmettre de l’animal à l’homme.
La synergie établie au sein de ce réseau de collaborations a permis aux équipes INRAE de participer pleinement au programme Science sans Frontières (Ciência sem Fronteiras) lancé par le Gouvernement Brésilien en 2011 puis au programme PrInt (Programa Institucional de Internacionalização) initié en 2018. Ces programmes ont permis de financer 15 doctorants et 13 post-doctorants dans les laboratoires STLO, à Rennes, ou Micalis, à Jouy. Au total, 100 publications scientifiques sont issues de cette collaboration.
(*Le Programme Franco-Brésilien CAPES-COFECUB a pour objectif d’amorcer ou de développer la coopération scientifique et les relations entre les centres de recherche et les universités des deux pays, à travers le soutien à des projets communs de recherche d’excellence, impliquant la mobilité de chercheurs en accordant une priorité à la formation aux niveaux doctoral et post-doctoral.)