Agroécologie 4 min

Ferme du Bec Hellouin : la beauté rend productif

La luxuriante ferme du Bec Hellouin, dans l’Eure, apparaît comme un modèle français de permaculture. Pour la première fois, une étude scientifique se penche sur sa viabilité économique. Réponse en images.

Publié le 29 août 2016 (mis à jour : 01 août 2023)

illustration Ferme du Bec Hellouin : la beauté rend productif
© INRAE

 

Produire à la main une profusion de légumes et de fruits sur une terre ingrate qui n’a jamais été cultivée depuis le néolithique… Voilà qui donne espoir pour la mise en culture de sols dégradés ou désertifiés de par le monde ! C’est le pari de la ferme biologique du Bec Hellouin, haut lieu depuis 2006 d’une forme de culture originale inspirée de la permaculture et du maraîchage biointensif.

Très peu mécanisé, sur une très petite surface cultivée, positionné sur des circuits courts, ce modèle suscite un fort intérêt. Mais est-il économiquement viable ? C'est à cette question qu’a répondu l'étude coordonnée par François Léger sur 4 ans1.

Quatre années d’étude pour valider une hypothèse

Réalisée en conditions réelles de production et de vente, l’étude a été menée de 2011 à 2015.
À partir des données récoltées, les modélisations montrent que, en fonction du niveau d'investissement et d'intensification, 1 000 m22 dégagent un revenu horaire variant de 5,4 à 9,5 € pour une charge de travail hebdomadaire moyenne de 43 heures. Le revenu agricole net mensuel correspondant, de 900 à 1 570 € suivant le niveau d'investissement, apparait tout à fait acceptable, voire supérieur, au regard des références couramment admises en maraîchage biologique diversifié3.

Un facteur clé : une très petite surface très soignée

Pour François Léger, le facteur clé de cette réussite est l’intensification : cultiver une très petite surface avec le maximum de soin et de productivité, sans perdre d’espace ni de temps de culture.
Mais il ne faut pas oublier que les 1 000 m2 étudiés s’insèrent dans un environnement influent : 20 ha en tout, dont des arbres et des haies qui hébergent des auxiliaires de culture et séquestrent du carbone dans les sols, des pâtures, un ruisseau et des mares qui contribuent à créer un microclimat favorable… Ces 1 000 m2 représentent donc la stricte surface cultivée, c'est-à-dire hors allées, passages de roues et passe-pieds.
Ces bénéfices écologiques font l’objet d’un nouveau programme de recherche qui a débuté en 2015.

Quelques principes de base mêlant plusieurs inspirations

La démarche de la ferme du Bec Hellouin se base sur une combinaison de principes cohérents issus de la permaculture4 et du micromaraîchage biologique intensif5 :

  • Pas de produits phytosanitaires, pas d’engrais de synthèse, mais du compost (pour entretenir la fertilité du sol) et du paillage (pour entre autres retenir l’eau).
  • Pas ou peu de mécanisation.
  • Plusieurs types de buttes et plates-bandes cultivables toute l’année.
  • Grande diversité de production.
  • Associations d’espèces pour explorer la verticalité, cultures relais (une culture démarre avant la fin de la précédente).
  • Agroforesterie (vergers maraîchers).
  • Optimisation de la circulation dans la ferme pour gagner du temps de travail : par exemple, la réorganisation du « jardin Mandala » d’une forme de spirale à une forme en rayons a eu un effet spectaculaire !
  • Commercialisation en circuits courts : paniers hebdomadaires, vente à des magasins bio, à des restaurateurs

L’esprit d’innovation et d’expérimentation

Outil de labour manuel : la Campagnolle
Campagnole, développée et commercialisée par La Fabriculture et la Ferme du Bec Hellouin.

L'expérience et la capacité d'apprentissage en continu sont absolument déterminantes. Optimiser un outil par exemple peut faire gagner un temps précieux : la « campagnole » a été inventée à la ferme du Bec Hellouin. C’est une sorte de grelinette6 améliorée qui permet sans trop d’effort de décompacter le sol avant le semis. De même, le semoir Coleman permet de faire des semis en rangées très serrées.

Une étude à portée plus large

Les résultats de l’étude menée à la Ferme du Bec Hellouin vont alimenter des modèles de fonctionnement de microfermes, élargissant ainsi le champ de réflexion. Ce travail fait l'objet d'une thèse en cours à l'UMR SADAPT. Ce modèle économique apparait réaliste pour les porteurs de projets sans assise foncière et à faible capacité d’investissement. Ce type de structure se développe à grande vitesse et la demande de références est énorme.

La demande est forte aussi dans les villes. Jardins urbains partagés, végétalisation des villes, la demande d’expertise de projets explose. « Peut-être verrons-nous éclore une microferme au cœur d’une cité HLM, comme dans le projet de Tours sur lequel je travaille actuellement », conclut François Léger.

 

La composition de l’unité type de 1 000 m2

Les 1 000 m² de cultures sont situés dans la partie la plus soignée et la plus intensive de la ferme du Bec Hellouin. Il s’agit d’un ensemble de plusieurs secteurs, comprenant 421 m2 de serres, 116 + 117 m2 de cultures en plein champ en agroforesterie, et un « jardin Mandala » de 378 m2 (formé de buttes rondes, cultivé de manière moins intensive). Pas moins de 76 types de cultures sont réalisés dans cet espace, dont 69 types de légumes, légumes-fruits, -racines ou -feuilles, mini-légumes et 17 types d’herbes aromatiques et fleurs. Les mini-légumes sont récoltés plus vite et cultivés plus dense. Ils sont bien adaptés à la consommation de petites familles et à la restauration gastronomique.

Cette unité de 1 000 m2 est « le cœur productif, en aucun cas autonome » 7 de la production. Elle fait partie d’un tout écologique au sein de 20 ha, dont 12 ha de bois, 4 000 à 7 000 m2 de cultures maraichères (légumes de plein champ : courge, pomme de terre, navet, carotte, etc.), des pré-vergers et des forêts-jardins (forêt plantée d’espèces comestibles).

Portrait François Léger. Unité de recherche SADAPT (Inra-AgroParisTech)

Il était important de produire des chiffres

« Les projets en maraîchage sur de très petites surfaces, avec des investissements limités, mettant en œuvre des pratiques agroécologiques, en circuits courts, se multiplient depuis quelques années. Produire des chiffres sur ce type de système est important dès lors qu'ils n'étaient pas disponibles jusqu’à présent. Néanmoins, il ne faut pas oublier que ces chiffres ont été obtenus à partir de données recueillies sur une seule ferme tout à fait singulière. Il n'est guère envisageable d'atteindre dès l'installation le niveau d'efficacité productive de la ferme du Bec Hellouin. Les chiffres doivent donc être pris avec précaution. Ce sont les pistes sur les conditions de la viabilité identifiées dans cette étude pluriannuelle qui sont intéressantes, autant, voire plus, que ces chiffres », souligne François Léger.

1. Léger F., UMR SADAPT (Inra-AgroParisTech). Etude menée avec la ferme du Bec Hellouin et l’Institut Sylva intitulée Maraîchage biologique permaculturel et performance économique. Rapport final, 30 novembre 2015. À télécharger dans la colonne de droite.
2. 1 000 m2 est par hypothèse la surface optimale pouvant être cultivée à la main par une seule personne avec un maximum de soin.
3. 1280 € est le chiffre avancé par la chambre d'agriculture de Haute Normandie pour la "Création d'activité en maraîchage biologique et vente directe".
4. Permaculture : cadre conceptuel souple visant à créer un réseau de relations bénéfiques entre tous les composants d’un écosystème, invitant à « dessiner comme la nature ».
5. Maraîchage biointensif, références : Eliot Coleman, John Jeavons, voir encadré 3.
6. La grelinette permet d'ameublir la terre sans la retourner, contrairement à une bêche, en préservant ainsi l'écosystème du sol. Elle a été inventée par André Grelin en 1963.

7. Source : Joyeux C. et al. Étude « Maraîchage biologique permaculturel et performance économique ». Données technico-économiques en maraîchage biologique en France  Etat des lieux de la littérature actuelle et réflexion pour une méthodologie collégiale. Rapport N° 6, 1er février 2017. À télécharger dans la colonne de droite.

Couverture du livre : Permaculture, de Perrine et Charles Hervé-Gruyer. 2014. Ed Acte Sud.

Pour en savoir plus

« La ferme du Bec Hellouin est conçue comme un tableau. Notre but est poétique, esthétique […] Donner le primat à la beauté nous semble une évidence. La beauté est une nourriture aussi essentielle que le pain ». De leurs expériences de navigateur, de juriste international, de leurs voyages, jusqu’au métier de paysan, les fondateurs de la ferme, Charles et Perrine Hervé-Gruyer, racontent leur parcours et la construction progressive d’une ferme luxuriante, comme le creuset d’inspirations venant du monde entier.

Hervé-Gruyer P., Hervé-Gruyer C. Permaculture, guérir la terre, nourrir les hommes. Actes Sud, 2014.

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