Société et territoires 5 min

Evaluer l’impact environnemental des produits agricoles et alimentaires : l’analyse du cycle de vie

Déterminer et quantifier les impacts des systèmes et des pratiques agricoles, des régimes alimentaires sur l’environnement, tel est l’objectif de l’analyse du cycle de vie. Un domaine dans lequel les équipes INRAE sont fortement investies : production et utilisation des données ; méthodologie ; évaluation des systèmes, des produits ou encore des recettes et procédés de transformations. Etat des lieux et perspectives.

Publié le 20 avril 2021

illustration Evaluer l’impact environnemental des produits agricoles et alimentaires : l’analyse du cycle de vie
© INRAE, Jacques Baudry

Changement climatique, érosion des biodiversités, eutrophisation, disponibilité en eau, usage des terres… l’analyse du cycle de vie (ACV) s’inscrit dans les approches majeures d’évaluation environnementale pour éclairer les grands enjeux auxquels doit faire face la société. Elle répond aux demandes de plus en plus prégnantes des consommateurs de connaitre les impacts environnementaux des produits qu’ils consomment.

En pratique, l’ACV est un cadre méthodologique pour penser, définir et quantifier les conséquences environnementales des activités humaines. L’approche est systémique, pour prendre en compte la globalité du cycle de vie d’un produit afin de décrire les chaînes de valeurs dans leur ensemble, et multicritère, pour aborder les enjeux liés à la santé humaine, aux écosystèmes et aux ressources.

L’ACV constitue un outil d’aide à la décision : ses résultats, qui reflètent la complexité des systèmes ou des pratiques étudiés, permettent d’en identifier les points forts et les points faibles, sans en proposer une hiérarchisation absolue.

INRAE : 1er en France, 4ème à l’international en nombre de publications à propos de l’ACV, tous domaines confondus.

A INRAE, les objets étudiés sont des ressources (eau, espaces naturels, forêts…), des produits (produits agricoles, procédés, aliments, déchets et produits résiduaires…) ou encore des systèmes (exploitation agricole, territoire, système alimentaire, système bioéconomique…).

Production et utilisation des données, méthodologie, évaluation des systèmes, des produits et des procédés… Les domaines d’investigation et d’application sont multiples, les enjeux nombreux et les questions relatives aux territoires, aux services écosystémiques, à la multifonctionnalité, à l’écoconception et aux approches systèmes alimentent la richesse des sujets en cours.

Au commencement, les données

Comme dans la plupart des recherches, l’ACV a besoin de données pour évaluer les multiples impacts environnementaux des activités humaines et des modes de production. Ce sont des données spécifiques, associées au système étudié et des données génériques qui concernent des domaines d’activités afférents à celui dont relève le système étudié. Cela nécessite de mobiliser des données produites par d’autres communautés, lesquelles se devront d’être FAIR, c’est-à-dire Faciles à trouver, Accessibles, Interopérables et Réutilisables. Au niveau de leur production comme de leur utilisation, la structuration des données nécessite un travail conséquent qui porte sur leur représentativité, les incertitudes qui leur sont associées, leur traçabilité ou encore leur vérification. Ces enjeux sont d’autant plus présents que les résultats se construisent souvent à partir de données produites par d’autres.

Depuis 2013, la base de données AGRIBALYSE, à laquelle INRAE et ses partenaires ont contribué, met à disposition des données de référence sur les impacts environnementaux des produits agricoles et, depuis sa dernière version, sur les impacts environnementaux des produits alimentaires à travers une base de données construite selon la méthodologie de l’ACV. Celle-ci inclut toutes les étapes de la fabrication des produits (production, transformation, distribution, consommation) et prend en compte différents enjeux environnementaux (climat, eau, air, sol…).

 

 

Dans le cadre du projet BioNutriNet , coordonné par Emmanuelle Kesse-Guyot - Centre de recherche épidémiologie et statistiques, le couplage des données d’ACV pour les produits agricoles conventionnels ou issus de l’agriculture biologique aux données de consommations a permis de comparer les impacts environnementaux des régimes alimentaires des consommateurs de cette cohorte, et cela selon leur niveau d’engagement dans la consommation bio. Il ressort qu’une consommation moindre de produits animaux et plus importante de produits d’origine végétale se traduit, pour ces consommateurs, par des  niveaux plus faibles d’ émissions de gaz à effet de serre, une demande plus faible en énergie et une occupation des terres inférieure à celles des non-consommateurs de bio. Ces résultats sont novateurs dans la mesure où ils intègrent les modes de production et prennent aussi en compte certaines dimensions, comme la biodiversité au champ.

L’exploration de la biodiversité à l’échelle de la parcelle constitue plus largement un enjeu fort pour INARE. Si le changement climatique et les pollutions, à l’origine de l’érosion de la biodiversité, sont évalués dans le cadre ACV, la surexploitation et les espèces invasives ne sont encore pas véritablement pris en compte et le changement des habitats n’est abordé que sous l’angle des transformations d’usage (déforestation, urbanisation, changement d’usage agricole).

Plus récemment, le projet DataSusFood - Structurer et ouvrir les données pour améliorer la durabilité des systèmes alimentaires (ANR, 2020-2022), coordonné par Caroline Pénicaud - UMR SayFood, a pour objectif de faire fonctionner ensemble les dispositifs déployés au sein d’INRAE pour gérer les données de la recherche sur les systèmes agri-alimentaires : la plateforme MEANS – elle permet l’évaluation environnementale des produits agricoles ; la base de données BaGaTel – elle contient des données nutritionnelles, sensorielles et environnementales sur les aliments ; le logiciel @Web – il  permet de gérer les données expérimentales issues de tableaux, c’est-à-dire de développer un système interopérable pour mettre à disposition des données ouvertes selon les principes FAIR.

Les enjeux de l’évaluation multicritère

Multi-étapes, l’ACV privilégie une approche multicritère de l’évaluation des impacts sur l’environnement dans son ensemble, qu’il s’agisse des impacts sur la santé humaine, les écosystèmes ou les ressources que l’homme utilise. Avec un grand nombre de critères, l’ACV peut prendre en considération différents niveaux spatiaux (parcelle, exploitation, territoire) et organisationnels (régime ou système alimentaire), englobant par ailleurs toute la filière agri-alimentaire, des systèmes de productions agricoles jusqu’au consommateur et à la gestion des déchets. 

Au-delà de l’environnement, les systèmes agricoles et alimentaires doivent également répondre à des exigences socio-économiques. Produits et systèmes sont de plus en plus interrogés à propos de leur empreinte sociale, sous couvert d’un développement durable avec des enjeux locaux et globaux plus larges. Dans cette perspective, des indicateurs additionnels (p. ex. : bien-être animal, qualité nutritionnelle...) sont susceptibles de compléter les indicateurs d’impacts environnementaux de l’ACV sur la santé humaine, les écosystèmes et les ressources. Pour aller plus loin que la dimension environnementale, l’empreinte sociale d’un produit ou d’un service dans une perspective de cycle de vie peut être déterminée. Cependant, si les premières réflexions autour de l’ACV apparaissent véritablement dans les années 1990, les discussions sur les aspects sociaux de l’ACV et leur prise en compte débutent il y a une dizaine d’années, et sont encore peu matures.

Accompagner les transitions agricoles et alimentaires à l’échelle des territoires

Agroécologiques ou alimentaires, au service d’une alimentation durable, les transitions se construisent en lien avec les spécificités locales, et l’ACV est alors questionnée sur sa dimension territoriale, notamment dans la perspective de mieux les relier aux approches d’agroécologie souvent déployée à ces échelles.

 L’ACV territoriale a deux principales finalités : elle permet de réaliser un diagnostic environnemental exhaustif des activités de production et de consommation sur un territoire donné, et d’identifier les transferts de pollution entre territoires, les enjeux environnementaux, et les principales activités contribuant aux impacts. En outre, elle quantifie l’éco-efficience de trajectoires de développement (ratio entre un bouquet de services rendus par le territoire et des impacts environnementaux) afin d’accompagner les parties prenantes dans l’écoconception de leur territoire. Initialement conçu pour évaluer les performances environnementales d’un produit ou d’un service, le cadre de l’ACV a été adapté pour être mis en œuvre sur des territoires. Des recherches méthodologiques sont en cours pour approfondir ce cadre en étudiant notamment les potentialités offertes par le couplage avec d’autres outils comme la modélisation économique.

Ce sont, par exemple, les projets AFFORBALL - Adaptations de la filière forêt-bois du PNR des Ballons des Vosges dans un contexte de changements globaux (PSDR4, 2016- 2020), coordonné par Sylvain Caurla – Bureau d’économie théorique et appliquée ou encore URBALIM - Evaluer la durabilité environnementale de l’approvisionnement alimentaire des villes selon une perspective de cycle de vie (ANR, 2021-2025), coordonné  par Éléonore Loiseau - UMR  Technologies et méthodes pour les agricultures de demain . Ces projets déclinent l’ACV à l’échelle des territoires de l’Alsace, la Lorraine et la Franche-Comté pour le premier et de la Métropole de Montpellier pour le second.

Et demain ?

L’enjeu est désormais celui d’une approche quantitative, globale mais adaptée aux territoires. Celle-ci doit permettre de mieux prendre en compte les impacts environnementaux des systèmes agricoles et alimentaires dans la perspective de concevoir de nouveaux produits, systèmes ou services pour répondre aux changements et transitions actuels et à venir.

A noter qu’INRAE est membre du réseau EcoSD - Ecoconception de systèmes pour un développement durable dont l’objectif est de favoriser les échanges entre chercheurs et industriels, afin de créer et diffuser les connaissances du domaine

Au-delà, l’affichage environnemental répond à une demande croissante des consommateurs pour des produits durables. Engagée dès 2009 dans le cadre du Grenelle de l’environnement afin de sensibiliser les consommateurs aux impacts environnementaux des produits et services, cette démarche est désormais expérimentée dans le cadre de loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (2020), afin de répondre aux défis méthodologiques spécifiques au secteur alimentaire. INRAE apporte son expertise scientifique dans cette démarche.

Plus largement, INRAE s’inscrit dans une dynamique européenne et internationale autour de l’estimation des impacts environnementaux des produits, des services et des systèmes. Elle concerne, à l’échelle européenne, le développement des référentiels de calcul de l'empreinte environnementale des produits avec des bases de données associées et le déploiement d’un affichage européen. Au niveau international, la volonté est de standardiser et de construire un consensus sur les méthodes de calcul des impacts environnementaux.

Tout cela offre des perspectives larges, pour une approche multicritère et systémique indispensable pour accompagner les transitions, d’ores et déjà à l’œuvre, vers l’agroécologie et des systèmes alimentaires plus sains et plus durables.

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

Contacts

Arnaud Helias UMR Technologies et méthodes pour les agricultures de demain (INRAE, Montpellier SupAgro)

Haye van der Werf UMR Sol, agro- et hydrosystème, spatialisation (INRAE, AgroCampus Ouest)

Caroline Pénicaud UMR SayFood Paris-Saclay Food & Bioproduct Engineering (INRAE, AgroParisTech)

Joël Aubin UMR Sol, agro- et hydrosystème, spatialisation (INRAE, AgroCampus Ouest)

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