Agroécologie 4 min
Dominance-récessivité des gènes, épisode 1 : les hypothèses des évolutionnistes
Le système de dominance - récessivité entre allèles présente un avantage sélectif dans le système d’auto-incompatibilité de certaines plantes à fleurs. Ce modèle a permis aux chercheurs de formuler des hypothèses sur les mécanismes moléculaires de la dominance génétique.
Publié le 17 décembre 2014
Une controverse comme point de départ
L’histoire de la dominance génétique commence par une controverse, une des plus violentes qu'ait connue la biologie de l'évolution et qui oppose dans les années 1930 les deux pionniers principaux de la discipline, Ronald Aylmer Fisher et Sewall Green Wright. La dominance génétique est l’un des phénomènes les plus anciens décrits en génétique par Gregor Mendel. Elle postule que, chez un individu hétérozygote pour un locus donné, l'un des deux allèles homologues l'emporte sur l'autre et contrôle le phénotype. Les groupes sanguins en sont un exemple bien connu : les groupes A et B sont dominants sur le groupe O, ce qui fait que les individus hétérozygotes A/O expriment le groupe sanguin A, et non pas O. Mais pourquoi et comment se fait-il que certains allèles soient dominants et d'autres récessifs ? Fisher pense que la dominance peut être une conséquence directe de la sélection naturelle, les meilleures allèles étant sélectionnés et devenant « dominants ». Wright pense pour sa part que la sélection naturelle n’exerce pas une force suffisante pour expliquer le phénomène, qui doit être lié selon son hypothèse à une propriété intrinsèque des gènes et de leur fonctionnement, propriété qui reste à découvrir…L’histoire lui donnera raison près d’un siècle plus tard.
Un modèle d’étude : le système d’auto-incompatibilité chez les plantes à fleurs : reconnaître le soi pour éviter la consanguinité
Le système d’auto-incompatibilité constitue un modèle de choix pour étudier le phénomène de dominance – récessivité des allèles. Ce système existe chez de nombreuses espèces hermaphrodites (chou, salade, navet). Mis en place au cours de l’évolution, il évite l'inceste suprême : se reproduire avec soi-même (1). Chez ces plantes, le pollen et le pistil porte chacun une protéine, un ligand pour le premier, un récepteur pour le deuxième, qui fonctionnent à la manière d’un couple clé-serrure. C’est ce système qui permet à la plante de reconnaitre le soi et non-soi. L’association clé-serrure d’un même individu bloque la reproduction. Celle-ci ne se déclenche que lorsque la clé et la serrure sont identifiées comme provenant d’individus différents.
Il en résulte une diversité exceptionnelle de « clés » et de « serrures ». Les clés sont codées par un gène, les serrures par un autre gène, les deux gènes étant situés dans une région précise du génome de la plante : le locus d'auto-incompatibilité. Pour chacun de ces gènes, il existe des dizaines de versions différentes, ou allèles, qui produisent la diversité des clés et des serrures.
D’autre part, le génome de la plante étant diploïde, il possède deux allèles de chaque gène. Chaque individu peut donc porter deux clés différentes. Si ces deux clés étaient actives, les individus hétérozygotes auraient alors accès à moins de partenaires sexuels que les individus qui ne possèdent qu'une seule clé. On commence ici à entrevoir l’intérêt du système de dominance allélique. Si un des allèles est dominant, et l'autre récessif, alors une seule clé s'exprime chez les hétérozygotes… La sélection dans ce système favorise donc la diversité et avantage les phénotypes rares qui ont accès à un plus grand nombre de partenaires sexuels.
La diversité entraîne une grande complexité de relations entre les allèles
Le système d’auto-incompatibilité repose donc sur l’existence d’un grand nombre d’allèles codant pour les déterminants du pollen et du pistil, ainsi que sur le phénomène de dominance et récessivité qui fait qu’un individu hétérozygote n’exprime qu’un seul déterminant. Une autre question apparaît alors. La diversité des allèles existants génère de nombreuses combinaisons de couples d’allèles homologues, comment gérer alors des relations de dominance-récessivité dans ce « réseau » ?
Les chercheurs ont fait l’hypothèse qu’il existe des éléments génétiques propres à chaque allèle qui contrôlent ces relations de dominance et que l’on peut qualifier de "modifieurs de dominance". Ces éléments ont été caractérisés très récemment (voir épisode 2)…
(1) L’autofécondation (fécondation entre le pollen et le pistil d’un même individu) favorise l’homozygotie, qui autorise l’expression de mutations récessives délétères, un phénomène connu sous le nom de « dépression de consanguinité ».
- Locus : en génétique, un locus est un emplacement physique précis et invariable sur un chromosome. Un locus peut être un endroit du chromosome où se situe un gène mais pas nécessairement.
- Allèle : les allèles d'un gène en sont les différentes versions, caractérisées par des variations dans la séquence de l'ADN. Des allèles différents peuvent donner lieu à des protéines différentes et se traduire par un caractère phénotypique différent.
- Diploïde : une cellule biologique est diploïde lorsque les chromosomes qu'elle contient sont présents par paires (2n chromosomes). Le concept est généralement à opposer à haploïde, terme désignant les cellules avec des chromosomes en simple exemplaire (n chromosomes).
- Homologues : chez un organisme diploïde, chaque paire de chromosomes est composée de chromosomes dits "homologues", l'un ayant hérité du gamète mâle (« père ») et l'autre du gamète femelle (« mère »).
- Homozygote : un individu est dit homozygote pour un gène quand il porte le même allèle de ce gène à un locus précis.
- Hétérozygote : un individu est dit hétérozygote pour un gène quand il porte des allèles différents de ce gène à un locus précis.
- Phénotype : valeur d’un (des) caractère(s) observable(s) ou mesurable(s) chez un individu.