Agroécologie 3 min

La composition des graines varie-t-elle avec leur poids ?

La composition des graines est un trait de qualité, reflétant aussi bien leur histoire (maturation sur la plante mère) que leur futur (potentiel germinatif). Pourtant, l’exploration métabolique reste rare, notamment chez les légumineuses. Par exemple, on connaît mal les changements de composition avec la taille des graines, paramètre dont on sait l’impact sur le succès de germination. Des chercheurs de l’IRHS (Institut de recherche en horticulture et semences) ont regardé la composition élémentaire, isotopique et métabolique des graines de luzerne tronquée, et trouvé des relations avec le poids ou la teneur en protéines.

Publié le 22 septembre 2023

illustration La composition des graines varie-t-elle avec leur poids ?
© Adobe Stock

La qualité des semences (graines) est un enjeu important de l’agriculture moderne, le terme « qualité » recouvrant des aspects aussi variés que la qualité sanitaire (absence de pathogènes), la pureté (absence de mélange avec d’autres espèces ou cultivars dans le lot de graines), la qualité germinative (résistance au vieillissement et performance de germination) et la qualité nutritionnelle. Trouver des marqueurs de la qualité germinative n’est pas chose aisée, et plusieurs pistes sont suivies depuis de nombreuses années. Un paramètre relativement simple, la taille ou le poids de la graine, a attiré l’attention des biologistes depuis longtemps. Cependant, la relation entre taille ou poids et critères de qualité semble complexe, et dépend des groupes botaniques.

Chez les légumineuses (famille du pois, haricot, luzerne, lupin, etc.), il semble que les graines les plus lourdes ou volumineuses soient plus performantes pour la germination ou lors de la première phase de croissance après germination. Des analyses de génétique d’association, utilisant comme modèle la luzerne tronquée (Medicago truncatula), ont montré qu’il semblait y avoir un lien entre taille des graines, contenu en azote (donc en protéine) et installation des plantules. Ces observations sont en accord avec des résultats plus anciens chez différentes légumineuses, dont la luzerne cultivée, comparant les graines issues d’une même gousse et/ou de plusieurs cultivars.

Cela étant, les mécanismes sous-jacents expliquant ces relations entre performance et taille de graine ne sont pas clairs. Il a été suggéré que l’avantage des grosses graines viendrait d’une teneur plus élevée en protéines et donc de réserves azotées, d’un rapport lipides-amidon plus favorable ou encore d’une propension à une division cellulaire plus intense. Afin d’apporter quelques réponses sur ce sujet, une collection de génotypes de luzerne tronquée a été utilisée pour analyser la composition élémentaire (teneurs en carbone, azote, soufre, hydrogène), isotopique (teneur en isotopes stables 13C, 15N, 34S et 2H présents naturellement) et métabolique (teneurs en molécules organiques comme les sucres, les acides aminés, les acides organiques, les lipides, etc.). Pour l’ensemble des paramètres, des changements avec le poids de la graine ont été observés.

 

Lorsque le poids de la graine augmente, ce qui ressort le plus nettement est que (Figure 1 au dessus) :

- d’une part, la quantité élémentaire d’azote (%N) augmente, tandis que la quantité de lipides et la teneur naturelle en deutérium (2H) diminuent,

- d’autre part, certains métabolites s’accumulent, comme les hexoses (sucre à 6 carbone comme le glucose, le fructose, etc.), des acides aminés ou des bases azotées (adénine, uracile) tandis que d’autres sont moins abondants, en particulier les produits de dégradation des acides aminés.


Que signifient tous ces changements ?

Ces résultats révèlent tout d'abord que selon sa taille, la graine n’a pas la même composition générale, avec un rapport protéines/lipides d’autant plus élevé que la graine est lourde. La diminution de la teneur naturelle en deutérium est expliquée par la proportion plus faible en lipides, dont la biosynthèse locale conduit inévitablement à un enrichissement isotopique naturel en 2H. Ensuite, le rapport synthèse/dégradation des acides aminés est bénéficiaire dans les graines plus grosses, permettant non seulement d’alimenter la synthèse des protéines (et des acides nucléiques), mais aussi de limiter le recyclage des acides aminés pour alimenter la respiration.

Comment expliquer une telle bascule métabolique ?

Il est extrêmement peu probable, du moins dans cette étude, de voir un impact de la variabilité génétique (différences entre génotypes). En effet, aucun effet significatif de la lignée génétique n’a été trouvé, et tous les génotypes s’alignent sur la même relation avec le poids des graines. En terme de variance, l’effet génétique ne peut expliquer qu’environ 5% des paramètres métaboliques étudiés. Ainsi, c’est un effet physiologique qui prime pour déterminer la composition métabolique des graines et leur poids. Comme leur composition finale est héritée des conditions de développement sur la plante mère, il y a sans doute un processus signalétique (par exemple lié à la position dans la gousse), un effet nutritionnel (alimentation en sucres et acides aminés par la sève élaborée), et un effet temporel (moment de développement et temps disponible pour achever la maturation).

La leçon à tirer de cette étude est double. Premièrement, au-delà de la génétique, lorsqu’on étudie la qualité des graines, on ne peut pas faire l’économie d’un examen de la plante mère,  en termes de métabolisme source (comme la photosynthèse, à l’origine des sucres), de phénologie (chronologie des grandes étapes de développement) ou de physiologie (comme le transport des métabolites par la sève élaborée). Deuxièmement, la composition métabolique est un outil précieux pour mieux comprendre la biologie de la graine, donnant par exemple des informations complémentaires des analyses génériques de teneur en protéines.

FINANCEMENT : Connect Talent Isoseed (Région Pays de la Loire et Angers Loire Métropole)

PUBLICATIONS ASSOCIEES : Domergue, J. B., Lalande, J., Beucher, D., Satour, P., Abadie, C., Limami, A. M., & Tcherkez, G. (2022). Experimental Evidence for Seed Metabolic Allometry in Barrel Medic (Medicago truncatula Gaertn.). International Journal of Molecular Sciences, 23(15). https://doi.org/doi:10.3390/ijms23158484

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