Biodiversité 5 min

Comment la gestion de la forêt impacte l’activité biologique du sol

Comme l’ensemble du vivant, les forêts sont menacées par le réchauffement climatique et leur exploitation par l’être humain dans un but commercial. Une étude récente, réalisée sur le dispositif OPTMix en forêt d’Orléans (https://optmix.efno.fr/) par le laboratoire Écologie, systématique, évolution (ESE - Univ. Paris-Saclay, CNRS, AgroParisTech) en collaboration avec l’unité Écosystèmes forestiers (EFNO) d’INRAE, s’intéresse aux conséquences de pratiques sylvicoles envisagées pour faire face au changement climatique. A travers des analyses de l’activité biologique des sols, les chercheurs veulent mieux comprendre l’effet de la gestion forestière sur le fonctionnement biologique des sols.

Publié le 05 août 2024

illustration Comment la gestion de la forêt impacte l’activité biologique du sol
© Nathalie Korboulewksy

Puits de carbone, sources de bois et refuges de la biodiversité, les forêts sont des espaces clefs du monde vivant et de ses interactions avec l’être humain. Au-delà des arbres, des grands mammifères ou encore des oiseaux, les sols forestiers regorgent de vie, et ils sont le témoin des changements de pratiques. 

Un dispositif expérimental d’étude des pratiques sylvicoles

Les forêts sont soumises à diverses contraintes, et notamment les sécheresses qui les frappent régulièrement ces dernières années en raison du réchauffement climatique. Pour améliorer la résistance ou la résilience des forêts, la sylviculture peut jouer un rôle dans le choix des essences et la densité des arbres présents. Réduire le nombre d’arbres par hectare est évoqué pour limiter la consommation en eau. Le mélange d’essences est, quant à lui, privilégié aux monocultures pour associer des espèces complémentaires et réduire la compétition pour les ressources.

Dans le but d’évaluer ces pratiques, l’unité Écosystèmes forestiers (EFNO) d’INRAE a installé voici une dizaine d’années, un dispositif permettant de croiser trois facteurs : la densité du peuplement, sa composition, et même la présence des grands ongulés sauvages avec des clôtures. Ce dispositif est unique à la fois par l’étude combinée de ces trois facteurs, et par son ampleur. Il s’étend sur 40 ha de la forêt domaniale d’Orléans, compte près de 700 capteurs de suivi du microclimat et des caractéristiques du sol, et bénéficie de nombreux suivis de biodiversité, de croissance, des éléments nutritifs et de l’eau. OPTMix a été installé dans des parcelles gérées par l’ONF dans des peuplements adultes (80-90 ans) de pur chêne (Quercus petraea), pur pin (Pinus sylvestris), et du mélange chêne-pin.

Le sol forestier : usine de recyclage de la matière organique

Récemment, l’équipe de Stéphane Bazot d’ESE Université Paris-Saclay, experte en analyse biologique du sol, et Mehrdad Zarafshar accueilli comme post-doc s’est associée à celle de Nathalie Korboulewsky d’INRAE pour évaluer l’impact de la composition et de la densité du peuplement sur la composition et l’activité biologique du sol forestier.

Les organismes du sol jouent un rôle crucial dans le maintien de la productivité des écosystèmes terrestres et du stockage de carbone. Acteurs invisibles sous nos pieds, ils orchestrent pourtant un écosystème complexe, décomposant la matière organique morte pour libérer des éléments nutritifs essentiels, ils peuvent aussi favoriser la rétention du carbone dans les sols, ou encore faciliter l'aération du sol et fournir des habitats pour d'autres organismes. Tout commence par les végétaux qui grâce à la photosynthèse produisent de la matière. Cette matière organique retourne au sol régulièrement, en particulier via la chute des feuilles à l’automne, et devient le siège d’une activité biologique intense. D’abord fragmentée par de petits animaux ou des vers, elle est ensuite digérée par des organismes de plus en plus petits. On parle de minéralisation de la matière organique. Les éléments chimiques qui la constituent se retrouvent dans des molécules les plus simples possibles : le carbone sous la forme de CO2, l’azote sous forme de nitrates et d’ions ammonium, et autres éléments nutritifs. Ce sont ces éléments que les végétaux récupèrent pour leur croissance. Toutefois, une partie de cette matière organique, composée majoritairement de carbone organique, est également stockée dans le sol sous forme de carbone plus ou moins stable : par exemple l’humus ou le carbone organique adsorbé dans des particules minérales (comme les argiles).

L’intensité de l’activité biologique du sol est donc directement liée à sa fertilité, et participe à l’atténuation du changement climatique.

Mesurer le vivant

L’horizon organique contient une telle diversité d’organismes vivants et de mécanismes à l’œuvre que l’étude en est complexe. L’équipe du laboratoire ESE a notamment dû procéder à un grand nombre de caractérisations. Des mesures du flux de CO2 qui se dégage du sol permettent d'évaluer l'intensité de l'activité biologique du sol. En outre, la quantité de microorganismes présents dans le sol a été appréciée via des mesures de concentration en carbone et en azote dans les échantillons, avant et après avoir dégradé les microorganismes, qui libèrent alors leur contenu cellulaire dans le milieu.

L’équipe a également procédé à des mesures qualitatives, notamment concernant l’épaisseur et l’aspect de l’humus dont elle a noté des variations entre les différentes parcelles. Elle a par ailleurs utilisé la technique de la PCR quantitative (Polymerase Chain Reaction), qui sert à quantifier un fragment d’ADN spécifique des bactéries, des archées ou des champignons, afin d'évaluer la représentativité de ces groupes au sein de la population microbienne globale.

Le mélange d’essences favorise l’activité biologique des sols

L’étude montre que le choix des essences joue un rôle prépondérant sur l’activité du sol. Les parcelles aux essences mixtes (chêne et pin) présentent un sol biologiquement bien plus actif que les parcelles de pin ou de chêne pures. En effet, l’activité des microorganismes, et notamment l’utilisation des composés carbonés, est la plus forte dans les peuplements mélangés, favorisée par les apports en matières organiques et des conditions biophysiques plus favorables. Mais, parmi les organismes du sol, seule une augmentation de l’abondance des champignons a été observée sous peuplements mélangés.

En revanche, la variation de la densité des peuplements ne semble pas avoir d’effet sur le fonctionnement du sol. Cependant, on observe que dans les peuplements avec moins d’arbres, il y avait également moins de litière au sol, moins de biomasse microbienne et de carbone stocké dans les horizons organiques. Néanmoins, ces horizons présentaient les mêmes caractéristiques (pH, C, N), et les données moléculaires montrent que l'abondance des microorganismes du sol ne change quasiment pas en réponse à la réduction de la densité des peuplements.

En conclusion, les résultats suggèrent que, sur le long terme, l'effet du mélange d'espèces sur les fonctions du sol est toujours plus important que l'effet de la réduction de la densité des peuplements. Sous un peuplement mélangé de conifères et de feuillus, l’activité des micro-organismes du sol est améliorée et les fonctions métaboliques des microbes du sol sont renforcées.

Publication

Mehrdad Zarafshar, Gaëlle Vincent, Nathalie Korboulewsky, Stéphane Bazot - The impact of stand composition and tree density on topsoil characteristics and soil microbial activities, CATENA, Volume 234, 2024, article 107541.- https://doi.org/10.1016/j.catena.2023.107541

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