Agroécologie 4 min

Champignons et forêts : quels sont les travaux d'INRAE ?

DOSSIER - INRAE travaille sur la biologie et l'écologie des champignons forestiers, et ce, à plusieurs niveaux : génomique, mécanismes régissant les interactions symbiotiques, effets du changement climatique sur les communautés de champignons, modes de gestion sylvicole... Marc Buée, Aurélie Deveau, Claude Murat et Francis Martin, chercheurs au centre INRAE Grand-Est-Nancy répondent à nos questions sur le rôle des champignons des écosystèmes forestiers.

Publié le 19 février 2019

illustration  Champignons et forêts : quels sont les travaux d'INRAE ?
© INRAE, Marc Buée

En quoi INRAE est-il moteur sur les recherches sur les champignons ?

Il s’agit d’un front de science à INRAE !

Marc Buée : Pour plusieurs raisons. Les recherches conduites dans les années 1980 sur la fertilité des sols forestiers ont mis en évidence le rôle fondamental des symbioses mycorhiziennes. Elles ont conduit au développement de techniques sylvicoles reposant sur la mycorhization contrôlée – c’est-à-dire à l’utilisation des champignons symbiotiques afin de stimuler la croissance des jeunes arbres, comme le sapin de Douglas, utilisés dans les programmes de reboisement. Au cours des dix dernières années, notre équipe a mis au point des outils de diagnostic moléculaire – des tests ADN – permettant de suivre les populations et les communautés de champignons symbiotiques et décomposeurs dans différents types de forêts. Notre programme de séquençage massif des génomes de champignons a permis des avancées importantes dans le domaine de l’évolution des champignons forestiers et de mieux comprendre leurs modes de nutrition. Plusieurs d’entre nous travaillons sur l’écologie des champignons, afin de comprendre in situ leur rôle dans la décomposition de la matière organique. Il s’agit d’un front de science ! Les interactions champignons et bactéries font également partie des recherches menées au sein d'INRAE. Plus largement, les rôles et les fonctions du microbiote des plantes liées à la biofertilisation ou au biocontrôle sont passés au crible. Enfin, l’Institut est leader avec d’autres établissements de recherche sur le rôle des champignons dans le cycle du carbone, thématique associée, entre autres, à la séquestration du carbone dans les sols et faisant partie des objectifs du programme « 4 pour 1000 ».

De quelle façon étudiez-vous la communauté des champignons ?

Nous avons une chance incroyable

Francis Martin : Nous avons une chance incroyable car les méthodes d'étude ont connu une véritable révolution : écologie moléculaire, séquençage des génomes par centaines, métagénomique et métatranscriptomique. Ces outils à haut débit nous permettent désormais d’inventorier la totalité des microbes présents sur un site forestier et de suivre l’évolution de leurs populations, mais aussi les fonctions qu’ils expriment, en fonction des traitements sylvicoles. Toutefois, les écosystèmes forestiers que nous étudions sont très complexes et il est encore difficile de collecter suffisamment de données pour alimenter les modèles qui nous permettrons de prédire l’impact des changements environnementaux sur les communautés microbiennes des sols forestiers.

Quels sont les objectifs d'INRAE ?

Francis Martin : Au-delà de l’acquisition de nouvelles connaissances sur les processus biologiques et écologiques qui animent les communautés microbiennes, il s’agit d’inventorier la diversité microbienne des sols forestiers et de comprendre le rôle de ces micro-organismes, dont les champignons, dans le maintien de la fertilité des sols, dans la nutrition et le développement des arbres. En bref, quels sont les services écosystémiques rendus par le microbiote du sol. Il est indispensable de mieux cerner la façon dont les arbres et leurs partenaires microbiens réagissent aux changements climatiques et aux pratiques de gestion sylvicole, c’est un enjeu majeur ! Pour assurer l’avenir des forêts, nous devons étudier l’évolution des populations et des communautés de micro-organismes associés aux arbres, face aux changements environnementaux, tels que l’augmentation des températures et des sécheresses, mais aussi l’érosion de la biodiversité, l’introduction de souches invasives et les interventions sylvicoles, comme les substitutions d’essences.

Aurélie Deveau : Au-delà des substitutions d’essences sylvicoles envisagées, renforcer la diversité génétique des espèces d’arbres et de champignons associés est l’une des solutions envisagées pour lutter contre le dérèglement du climat. Les arbres, comme les champignons et les bactéries, présentent des variations individuelles nombreuses. Les arbres et les champignons mycorhiziens adaptés au climat futur sont probablement en train de pousser dans les forêts actuelles, prêts à prendre le relais et à assurer l’avenir des peuplements forestiers. Il nous faut maintenant les identifier et les favoriser.

Sur quels projets travaillez-vous en ce moment ?

Aurélie Deveau : Les racines et les feuilles des arbres hébergent une riche communauté de micro-organismes composée de milliers de bactéries et de champignons – le microbiote. Nous étudions les mécanismes génétiques et physiologiques qui structurent ces communautés microbiennes. Comment la plante sélectionne-t-elle les champignons et les bactéries bénéfiques parmi la multitude de micro-organismes qui pullulent dans le sol autour des racines ? Quel est l’impact du microbiote sur la santé et le développement de l’arbre ?

Claude Murat : Nous développons un programme sur l’écologie des truffières en partenariat avec la Fédération Française des Trufficulteurs afin d’améliorer la production de truffes. Depuis 1973, l’Inra a une licence avec deux pépiniéristes forestiers pour la production de plants mycorhizés avec les truffes. Près de 5 millions de plants ont été produits par nos partenaires depuis 45 ans, cela a permis de stabiliser la production de truffes : plus de 90 % des truffes produites en France sont désormais récoltées en plantations ! En lien avec la filière trufficole, nous travaillons actuellement sur la gestion raisonnée de l’eau dans les truffières, une des principales préoccupations des trufficulteurs depuis plusieurs années, suite aux sécheresses répétées que nous avons connues.

Plus de 90 % des truffes produites en France sont désormais récoltées en plantations ! 

Marc Buée : Les champignons décomposeurs assurent la libération des éléments minéraux des débris végétaux et leur recyclage, permettant le maintien de la fertilité des forêts. Les résidus de l’exploitation forestière, branches et feuillages, constituent désormais une nouvelle source d’énergie, jusqu’alors peu valorisée par les propriétaires forestiers. Nous étudions l’impact de cette exportation accrue de débris végétaux – les rémanents – sur la diversité des champignons décomposeurs. En effet, ces champignons sont alors privés d’une source majeure de nourriture qui pourrait entraîner une baisse de la fertilité à long terme des sols forestiers. Des expérimentations conduites dans plusieurs hêtraies lorraines montrent que l’exportation accrue de biomasse forestière impacte, en deux ou trois ans seulement, la biodiversité des communautés fongiques du sol. Des champignons décomposeurs majeurs de la litière et de l’humus disparaissent rapidement. L’utilisation des débris végétaux forestiers pour la production de bioénergie doit donc rester modérée et circonscrite.

Francis Martin : Nous développons un projet ambitieux sur la biologie évolutive des champignons symbiotiques. Il s’agit de comprendre l'évolution des traits de vie qui expliquent leur écologie actuelle, mais également les mécanismes moléculaires qui sont impliqués dans la formation de la symbiose mycorhizienne. In fine, l’objectif de ce programme est de reconstruire l’évolution des champignons forestiers et d’expliquer leurs traits de vie écologique par l’analyse de leur répertoire de gènes. Ces travaux sont rendus possibles par la production récente de centaines de génomes de champignons et une combinaison novatrice d’approches alliant phylogénétique, phylogénomique et génomique comparative.

Merci à tous les quatre !

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Anaïs BozinoRédactrice

Contacts

Francis MartinPilote scientifiqueLabEx Arbre

Claude Murat, Marc Buée et Aurélie DeveauUMR Interactions Arbres / Microorganismes

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