Agroécologie Temps de lecture 3 min
La chaîne AgriCarbon-EO pour produire des indicateurs agri-environnementaux
Dans un contexte de changements globaux quantifier la production des grandes cultures mais aussi leur besoin en eau ou leur capacité à stocker du carbone dans le sol via l’évolution des pratiques sont des enjeux sociétaux majeurs. Des scientifiques du Centre d'études spatiales de la biosphère (CESBIO, CNES/CNRS/INRAE/IRD/UT3 Paul Sabatier) ont développé un outil innovant, combinant données satellites et modèles agronomiques, qui permet d’estimer précisément ces différents indicateurs agri-environnementaux et d’aider à un meilleur suivi des cultures.
Publié le 17 décembre 2024

L’agriculture est actuellement au centre d’importants changements climatiques et sociaux. Pour faire face aux difficultés croissantes liées aux crises climatiques ou économiques, les agriculteurs et agricultrices doivent pouvoir adapter leurs cultures et faire évoluer leurs pratiques. Cela demande donc un suivi approfondi et précis des rendements, des propriétés du sol, des besoins en eau des cultures, etc. sur les parcelles de leurs exploitations. Des informations qui jusque-là faisaient défaut puisqu’il n’existait pas d’outil fiable et opérationnel permettant de suivre ces indicateurs agri-environnementaux à des échelles fines.
L’importance de connaître et suivre précisément les cultures
Parmi les indicateurs agri-environnementaux pertinents pour les grandes cultures, on trouve notamment les biomasses, les rendements, les besoins en eau ou encore l’évolution des stocks de carbone organique dans les sols. Ce dernier critère prend d’ailleurs de plus en plus d’ampleur en raison de la mise en place progressive d’un marché du carbone en agriculture. Plusieurs démarches environnementales et labels (comme le Label Bas Carbone) se mettent en place et la politique agricole commune (PAC) elle-même, appelle à l’utilisation de pratiques permettant le stockage de carbone dans le sol. Tous ces critères sont d’importance, mais ils sont très sensibles à différents facteurs biophysiques, tels que l’effet du climat ou des propriétés des sols, ou sociétaux, comme le choix des pratiques des agriculteurs ou les politiques publiques. Il est donc nécessaire d’avoir un outil permettant d’évaluer les impacts de ces facteurs sur les grandes cultures. C’est justement le rôle de la chaîne AgriCarbon-EO (ACEO).
AgriCarbon-EO, une chaine de traitement originale et innovante
Cet outil de modélisation agronomique répond à une recommandation internationale qui vise à développer des méthodes de surveillance utilisant différentes données d’entrée avec une approche moins couteuse et plus facile à spatialiser que les outils classiques de modélisation. ACEO utilise des modèles agronomiques, des données de télédétections, pour une vision plus précise et objective du développement des cultures, quelques informations propres aux exploitations (amendements organiques, gestion des pailles, teneur en carbone des sols) et des informations cartographiques sur les propriétés des sols et des données climatiques.
La chaine de traitement intègre plusieurs outils déjà existants et complémentaires, permettant ainsi d’obtenir des résultats exhaustifs et très précis. Parmi ces outils, on trouve notamment le modèle de transfert radiatif PROSAIL permettant de quantifier les indices de surfaces foliaires des canopées végétales. C’est-à-dire de connaître précisément la quantité d’énergie lumineuse absorbée par les feuilles par rapport à la quantité de lumière qu’elles ont reçue. Ce suivi informe sur la répartition spatiale des espèces végétales et leur évolution au cours du temps (par exemple les phases de croissance ou de senescence), ainsi que leurs changements physiologiques et biologiques (l’état de santé ou l’efficacité de la photosynthèse).
La chaine ACEO s’appuie aussi sur plusieurs innovations dont une méthode d’assimilation de données satellites (BASALT) et le modèle de culture dédié aux applications spatialisées (SAFYE-CO2). Celui-ci permet, grâce à l’indice de surface foliaire quantifié par satellites, d’estimer les composantes du bilan carbone, dont la biomasse, le rendement ou encore les flux de CO2 induits par la photosynthèse et la respiration des plantes. SAFY-CO2 peut ainsi reproduire de manière objective le développement des cultures, tel qu’il est « vu » par les satellites. Quant au calcul des bilans de carbone, il est réalisé en couplant des modèles de sol et de végétation, et en utilisant les informations sur les amendements organique et la gestion des pailles fournies par l’agriculteur.
L’association de ces différents outils permet aux scientifiques de quantifier sur une zone d’intérêt (une exploitation agricole ou un champ par exemple) les indicateurs agri-environementaux à 10 m de résolution ainsi que leurs incertitudes au jour le jour.
Cette chaine de traitement est actuellement utilisée par différentes équipes scientifiques et entreprises pour suivre l’évolution des stocks de carbone des parcelles cultivées pour des applications en lien avec la PAC, les inventaires nationaux, la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou encore avec le marché volontaire du carbone. Ce qui est particulièrement intéressant c’est la rapidité de production de ces résultats, soit moins d’un jour pour la France entière à 10 m de résolution.
À ce jour, la méthode ACEO a pu être validée pour des cultures de blé, maïs, tournesol, féverole en confrontant les estimations produites à celles réalisées dans divers projets de recherches.
Une approche transposable à d’autres cultures et d’autres pays
Puisque la fiabilité et la pertinence de l’outil de modélisation ACEO ont pu être validées sur certaines des principales cultures de blé en France, les scientifiques souhaitent savoir s’il est possible de le transposer dans d’autres pays d’Europe et à d’autres cultures.
ACEO est ainsi testé en Italie dans le cadre des projets ClieNfarms et MARVIC pour évaluer les gains en précision sur l’estimation des évolutions de stock de carbone du sol liés à la prise en compte ou non des variabilités spatiales de biomasse restituées au sol. ACEO a aussi été utilisé en Ukraine pour évaluer l’impact de la guerre sur la production de blé.
Des expérimentations scientifiques sont également en cours pour valider l’utilisation de ACEO et de ses estimations sur des cultures de colza, moutarde blanche, tomate.
Références :
Wijmer, T., Al Bitar, A., Arnaud, L., Fieuzal, R., and Ceschia, E.( 2023) AgriCarbon-EO: v1.0.1: Large Scale and High Resolution Simulation of Carbon Fluxes by Assimilation of Sentinel-2 and Landsat-8 Reflectances using a Bayesian approach, EGUsphere [preprint], https://doi.org/10.5194/egusphere-2023-48
V. Antonenko et al 2024 Impact of the Russian invasion on wheat biomass in Ukraine.Environ. Res. Lett. 19 124027 - DOI 10.1088/1748-9326/ad8363