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Le bar, un poisson dont le sexe dépend de la température de l’eau … oui, mais dans quel sens ?

Contrairement aux mammifères et aux oiseaux chez lesquels le sexe est déterminé à la conception par des chromosomes sexuels, il est fréquent chez les poissons et les reptiles qu’il soit déterminé, au moins en partie, par la température ambiante à une période clé du développement. C’est le cas chez le bar, mais, de façon surprenante, la même température peut donner des mâles ou des femelles selon le stade de développement du poisson. C’est ce que montre une étude conjointe entre l’unité Génétique Animale et Biologie Intégrative (GABI, INRAE, AgroParisTech, Université Paris-Saclay) et le laboratoire MARine Biodiversity, Exploitation and Conservation (MARBEC,IRD, Ifremer, Université de Montpellier, CNRS), parue le 4 novembre 2020 dans la revue Ecology and Evolution

Publié le 13 novembre 2020

illustration Le bar, un poisson dont le sexe dépend de la température de l’eau … oui, mais dans quel sens ?
© INRAE - M. Dupont-Nivet

Le sexe de nombreuses espèces de poissons ou de reptiles est déterminé par la température à laquelle l’organisme est exposé en début de vie. Cela permet une adaptation des populations aux conditions environnementales quand elles donnent un avantage reproductif à l'un ou l'autre sexe. Par exemple, si la fécondité est liée à la taille des femelles, celles-ci seront favorisées par des conditions permettant une forte croissance. Cet effet de la température se produit pendant une période bien déterminée (l'incubation chez les reptiles, et les jeunes stades, après éclosion, chez les poissons). Dans les populations naturelles de bar, le sex-ratio est en moyenne équilibré (autant de mâles que de femelles), avec cependant des variations liées aux conditions climatiques annuelles. En élevage, on observe souvent une prédominance de mâles (de 75 à 95% de mâles dans la population), alors que les individus femelles sont plus recherchés compte tenu de leur croissance plus rapide et d’une puberté plus tardive. Les éleveurs et les chercheurs se sont donc interrogés sur les origines de ces différences.

Le sexe : un mélange complexe de contrôle génétique et d’effet de de la température

Des études antérieures ont pu montrer que le sexe du bar était déterminé à la fois par des facteurs génétiques (pas de chromosomes X ou Y, mais une « tendance sexuelle » mâle ou femelle liée à l’effet combiné de nombreux gènes) et par la température de l’eau pendant les premiers mois de vie. Il subsistait néanmoins une controverse sur cet effet de la température : alors qu’une majorité d’études montraient un effet féminisant des basses températures, quelques autres montraient un effet inverse (effet masculinisant des basses températures).

Une hypothèse évolutive pour expliquer l’effet de la température

Généralement, les températures basses ralentissent la croissance des animaux à sang froid, comme les poissons. Il semblait donc plutôt contre-intuitif que les femelles, qui grandissent plus vite que les mâles, soient favorisées par des températures basses.  « C’est cette contradiction qui nous a incités à émettre une hypothèse originale », explique Marc Vandeputte, chercheur au sein de l’unité GABI d’INRAE. « La saison de ponte des bars s'étale de février à fin mars. Nous pouvions donc faire l'hypothèse qu'une ponte en début de saison, dans une eau plutôt froide, permettrait une saison de croissance à venir plus longue, et, en conséquence, une taille plus importante au moment de la reproduction, critère important pour les femelles. Cela pourrait expliquer que l'eau froide favorise le développement de femelles. Le contre point logique était alors d’imaginer qu’une température basse qui se prolongerait pendant la croissance mais avant différenciation du sexe, en limitant la croissance, pouvait favoriser le sexe mâle ».

Pour tester cette hypothèse, les équipes d’INRAE et de l’Ifremer ont élevé des bars à basse température (16°C) pendant des périodes allant de 11 à 244 jours à partir de la fécondation, avant de les transférer à une température plus clémente de 21°C. Les chercheurs ont ainsi d'abord confirmé l'hypothèse généralement admise qu'une température basse (<17°C) dans les 56 premiers jours de vie oriente préférentiellement les jeunes bars vers le sexe femelle. Par contre, au-delà de 56 jours, le maintien d’une basse température a eu un effet inverse, orientant les animaux vers le sexe mâle, pour atteindre jusqu'à plus de 90% de mâles après 230 jours à 16°C.

Un cas unique à ce jour dans le règne animal

Il s'agit de la première observation d'effets opposés de la température sur le déterminisme du sexe à différents stades du développement, montrant une complexité inédite des effets de la température sur ce déterminisme. Ces résultats ouvrent des perspectives nouvelles de compréhension de l'évolution des systèmes de déterminisme du sexe, des effets du changement climatique sur les populations naturelles et de maîtrise des pratiques d’élevage aquacole. « Dans cette controverse ‘froid=mâle’ contre ‘froid=femelle’, les deux camps avaient raison », s’amuse Marc Vandeputte, « c’était juste une question de timing ». 

Contacts

Marc Vandeputte Ingénieur de Recherche, Equipe GenAquaUMR Génétique Animale et Biologie Intégrative

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