Dossier revue
Agroécologie

L’élevage à l’herbe, les conditions de la réussite

En Europe et en France, certains systèmes pastoraux et mixtes développent une production « 100 % à l’herbe » dans un objectif de rentabilité et/ou d’amélioration des pratiques en faveur de l’environnement. Mais face aux aléas climatiques, l’élevage à l’herbe est-il un bon pari ?

Publié le 27 septembre 2022

Les scientifiques le confirment, l’herbe pâturée représente une ration complète équilibrée en énergie et en protéines pour la vache, et à moindre coût pour l’éleveur. De plus, « l’herbe fraîche comble 90 % des besoins en eau des vaches. Ainsi, une vache s’abreuve seulement 10 L/jour lorsqu’elle pâture et 60 L/ jour lorsqu’elle consomme de l’ensilage de maïs », précise Jean-Louis Peyraud, chargé de mission à la Direction scientifique agriculture d’INRAE. Sous ses formes conservées (foin, ensilage d’herbe, enrubannée), l’herbe perd en qualité nutritionnelle et nécessite d’être complétée avec des aliments concentrés, surtout des céréales pour maintenir la production laitière des vaches. Elle perd alors de son intérêt économique, d’autant que la récolte et la conservation sont plus délicates à réussir que pour l’ensilage de maïs. Les systèmes herbagers doivent donc viser la maximisation du pâturage. Par ailleurs, le recours accru aux légumineuses permet de réduire les coûts de fertilisation minérale des sols et, autre intérêt, la prairie ne nécessite pas l’utilisation de produits phytosanitaires. Les systèmes herbagers permettent aussi des économies sur le poste des semences, car les prairies sont semées pour plusieurs années, voire non semées dans le cas des prairies permanentes.

Prélèvement des échantillon d'herbe correspondant précisément au bol alimentaire des vaches suivies à Marcenat. Ces échantillon ont contribué à établir le lien entre la qualité de l’herbe pâturée par les vaches et celle des produits qui en sont issus.

Un potentiel réel de rentabilité économique

En France, les éleveurs qui intègrent des systèmes herbagers peuvent bénéficier d’un prix du lait plus rémunérateur que les éleveurs conventionnels s’ils intègrent des filières de qualité, qui souvent font appel à l’herbe dans leur cahier des charges. Par exemple, en 2019, 1 000 L de lait se vendaient en moyenne 434 € en filière AB, contre 372 € en filière conventionnelle. Il est à noter que diverses initiatives européennes, encore marginales, cherchent à démarquer commercialement le « lait d’herbe » via l’origine et la condition de production (label « lait de foin », « de pâturage »…), remettant le consommateur au centre des décisions et permettant, dans le même temps, d’assurer aux éleveurs une rémunération plus en adéquation avec les coûts réels de production.

Des prairies variées qui fournissent une diversité de services environnementaux

Le bénéfice environnemental de prairies semées est, généralement, d’autant plus important qu’elles restent plus longtemps en place.

L’élevage à l’herbe s’appuie sur une diversité floristique plus ou moins importante des prairies. «Au sein d’une exploitation, trois types de prairie peuvent être utilisés pour le pâturage et/ou pour la fauche des fourrages à conserver (foin, herbe enrubannée, herbe ensilée) », explique Luc Delaby, zootechnicien dans l’unité PEGASE. Les prairies de légumineuses sont semées pour une courte durée (1 à 3 ans) avec une ou plusieurs espèces, souvent 90 % de luzerne associée ou non avec du sainfoin, du trèfle… Les prairies temporaires sont semées pour plus longtemps, de 5 à 10 ans, avec une plus grande diversité d’espèces de graminées (ray-grass anglais et italien, fétuque élevée, dactyle…), de légumineuses et de dicotylédones. Les prairies permanentes ne sont pas semées et les éleveurs y exploitent la flore endogène propre aux sols et au climat de chaque territoire. « Ces prairies permanentes sont souvent caractérisées par une grande diversité d’espèces au sein des parcelles (de 15 à plus de 100) et ont de ce fait une contribution très positive pour l’environnement », reprend Luc Delaby.

Le bénéfice environnemental de prairies semées (biodiversité, stockage de carbone, épuration de l’eau) est, généralement, d’autant plus important qu’elles restent plus longtemps en place. Pour valoriser ce travail de gestion agroécologique, le concours agricole des « prairies fleuries » récompense, depuis 10 ans, les systèmes d’élevage français qui présentent le meilleur rapport entre diversité des espèces florales des prairies, autonomie fourragère et qualité des produits. En couvrant le sol toute l’année, la prairie contribue aussi à limiter l’érosion des sols.

 


Des produits laitiers de qualité

Plus l’herbe pâturée est présente dans la ration de la vache, plus le lait est riche en vitamines A et E, en ß-carotène et en oméga-3

Les fourrages consommés par les vaches laitières impactent les caractéristiques nutritionnelles et organoleptiques des produits laitiers. Ainsi, comme l’explique Bruno Martin, zootechnicien au sein de l’UMRH, « quel que soit le type de prairie, plus l’herbe pâturée est présente dans la ration, plus le lait est riche en vitamines A et E, en ß-carotène et en oméga-3, et pauvre en acides gras saturés par comparaison avec le lait obtenu en utilisant une ration d’ensilage de maïs ». Dans une moindre proportion, on observe des effets similaires avec l’herbe utilisée sous forme de foin ou d’ensilage. « Ces différences de composition du lait se retrouvent également dans les produits finaux (beurre, crème, fromage) et influencent leur flaveur, couleur et texture », reprend Bruno Martin. Toutefois, les effets des régimes à base d’herbe sont modulés par le stade de développement de l’herbe pâturée, la qualité de conservation des fourrages hivernaux (foin ensilage) et la diversité botanique des prairies.

Un atout pour le bien-être animal

Le pâturage présente aussi des atouts sur le plan du bien-être animal. Il permet aux animaux d’exprimer spontanément leurs comportements naturels et leurs préférences alimentaires. Par ailleurs, certaines plantes pâturées riches en caroténoïdes et en tanins s’avèrent avoir quelques effets bénéfiques sur la santé des animaux : baisse de troubles tel que des mammites ou des métrites. Mais pour tirer au mieux parti de ces avantages de la prairie, il faut des chemins bien aménagés pour faciliter la marche des animaux, et des haies pour assurer l’ombrage.

Des facteurs limitants qui imposent une gestion fine et adaptée de l’élevage à l’herbe

Mettre en œuvre un système laitier qui valorise les prairies exige un suivi précis et anticipé.

« Mettre en œuvre un système laitier qui valorise les prairies permanentes ou celles semées avec des légumineuses pour assurer l’alimentation des animaux exige un suivi précis et anticipé de la croissance de l’herbe et des espèces florales. Il faut également adapter le nombre d’animaux (dit “chargement”) à la surface des parcelles, pour que tous les services attendus puissent être fournis », alerte Luc Delaby. Il est ainsi nécessaire d’apprendre à gérer le volume d’herbe produit qui est très variable selon les conditions météorologiques (température, pluviométrie). Même si cette difficulté pourrait s’aggraver avec le changement climatique, qui rendra les épisodes de sécheresses extrêmes ou de précipitations de plus en plus fréquents et intenses, elle peut être compensée par le choix de certaines espèces au semis, par exemple des espèces à enracinement plus profond, plus résilientes. « Du reste, rassure Luc Delaby, contrairement à une culture fourragère annuelle qui ne peut être semée et récoltée qu’une fois par an, l’herbe couvre le sol toute l’année, et produit plus ou moins abondamment selon la météo. L’impact d’une période estivale trop sèche nécessitant d’utiliser les fourrages en réserve (foin, ensilage, mi-fanée) peut être compensé par une production d’herbe tardive à l’automne, voire durant l’hiver, et précoce au printemps suivant. En revanche, le faible rendement d’une culture fourragère lors d’une année de sécheresse obligera l’éleveur à acheter ailleurs l’alimentation de son bétail. »

Étudier la croissance de l’herbe pour adapter le pâturage est impératif.

Ce retour à l’herbe oriente aussi l’élevage vers un choix de races dites « rustiques » bien adaptées au milieu, plus légères et pouvant se passer de concentrés. Les races très productives comme la Holstein peuvent également valoriser de l’herbe en systèmes peu intensifs, mais avec des performances de reproduction parfois dégradées. En effet, les choix génétiques qui ont été réalisés (taille, production de lait) compliquent pour ces races la combinaison de production de lait et de gestation sans apport de concentrés au moment de la reproduction. À l’exception de certains pays comme l’Irlande et la Nouvelle-Zélande où le pâturage est le système dominant, voire exclusif, les systèmes de polyculture-élevage moins pâturant avec des cultures annuelles (notamment ensilage de maïs) complétées d’apport de concentrés sont devenus la norme dans les plaines en campagne et au pied des massifs montagneux (piémonts) d’Europe. Les surfaces des exploitations y augmentent, mais avec des parcelles souvent de plus en plus éloignées de la salle de traite. Cette évolution, souvent corrélée à l’augmentation de la taille des troupeaux, rend difficile la gestion du pâturage.

Des contraintes pratiques

De plus, le changement d’usage des terres agricoles au profit du développement urbain ou des voies de communication (routes, voies ferrées) entraîne une perte de terres et la fragmentation des espaces ruraux. L’éloignement des zones de pâture devient incompatible avec la nécessité de traire les vaches une à deux fois par jour, réduisant de facto la part d’herbe pâturée dans leur alimentation. L’automatisation de la gestion de la traite par la mise en œuvre d’un robot peut contribuer également à la diminution du pâturage. En outre, la tendance à utiliser des terres agricoles pour la production de biens non alimentaires (cultures à vocation énergétique ou pour la chimie verte, par exemple) s’avère parfois un frein au maintien de l’élevage. En effet, ces productions pourraient s’avérer plus rentables dans certains territoires et entraîner une hausse du prix des fourrages menaçant la rentabilité des élevages. Toutes ces dimensions doivent être intégrées dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques.

Un système positif pour l’environnement qui exige l’engagement de tous

Malgré divers points de vigilance, bien gérer le pâturage présente des avantages certains pour les éleveurs laitiers et pour l’environnement. En ce sens l’UE, par les ambitions de son Pacte Vert (être le premier continent climatiquement neutre d’ici à 2050) et les nouvelles orientations de la Politique agricole commune pour 2021-2027, favorise le retour du pâturage en conditionnant les aides directes aux pratiques agroécologiques des éleveurs (diversité des couverts végétaux, diminution du labour et des traitements phytosanitaires). Ceux-ci bénéficieraient d’une rémunération supplémentaire liée aux services rendus en termes d’environnement et de bien-être animal par la prairie et les infrastructures agroécologiques liées. Aux côtés des éleveurs et des pouvoirs publics, le consommateur est également déterminant dans cette économie, en favorisant ou non les systèmes de production herbagers par ses achats. ●

  • Sarah-Louise Filleux

    Rédactrice

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