Dossier revue
Changement climatique et risquesLa diversité fonctionnelle au cœur de la protection des forêts
Pour Hervé Jactel, écologue à INRAE, il est fondamental de prendre en compte le changement majeur de paradigme, qui est de passer du risque au « multirisque ». Pour adapter la forêt à plusieurs risques simultanément, il faut concevoir des forêts mélangées en misant sur la diversité fonctionnelle des essences.
Publié le 22 janvier 2025
À quoi sert la diversité fonctionnelle ?

La diversité fonctionnelle favorise une forêt moins vulnérable ET plus productive en matière de biomasse et de stockage de carbone. Une étude récente montre par exemple que les forêts mélangées sont généralement plus résistantes aux insectes ravageurs, avec en moyenne 20 % de dégâts en moins que dans les forêts composées d’une seule espèce. C’est important au moment où l’on assiste à une augmentation exponentielle des invasions par des ravageurs exotiques, via le commerce international (bonsaïs, plants, palettes et bois de calage dans les containers). La chalarose du frêne gagne toute la France depuis 10 ans, la punaise réticulée du chêne arrive depuis l’Italie, tandis que l’agrile du frêne, un insecte originaire d’Asie orientale, est aux portes de l’Europe.
Comment s’y prendre pour ramener de la diversité fonctionnelle en forêt ?
On peut dessiner deux trajectoires de transition écologique pour diversifier la forêt. Une première trajectoire consiste à créer une forêt mélangée, à la fois résiliente et compatible avec les filières bois. Il s’agirait de faire pousser un mélange de conifères (pin, épicéa, sapin de Douglas) et de feuillus adaptés au changement climatique (bouleau, chêne rouge d’Amérique, chêne vert, tilleul, érable). Des plantations expérimentales sous
forme de bandes sont en cours pour identifier les meilleures combinaisons d’essences et les meilleures pratiques de sylviculture. La seconde trajectoire s’inspire d’un concept canadien de cohabitation de trois types de forêts qui diffèrent par leurs essences et leurs modes de gestion. Une forêt la plus naturelle possible, qui procure un refuge pour la biodiversité, voisine une forêt de plantation diversifiée dédiée à la production de bois et une forêt multifonction, permettant loisirs, chasse et production de bois, avec une gestion peu intensive et des rotations plus longues. L’hétérogénéité de l’espace assure qu’en cas d’aléa, certaines parties de forêt seront épargnées. C’est le principe dit de l’assurance écologique.
Quelles expérimentations sont en cours ?
Nous essayons de sensibiliser les propriétaires privés, qui possèdent 75 % de la surface de la forêt française, à ces principes de gestion durable. Nous avons créé par exemple un living lab « bocage forestier » près de Bordeaux, où l’on expérimente ensemble, avec un droit à l’erreur. On enrichit en douceur les plantations de pin dans les Landes avec des haies composites : chêne vert ou chêne-liège, bouleau, arbustes (arbousiers, bourdaine). Les résultats sont très encourageants en matière de conservation de la biodiversité et de protection contre les attaques d’insectes ravageurs, en application du concept de Solution fondée sur la Nature.
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Pascale Mollier
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Rédactrice
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Nicolas Eckert, Samuel Soubeyrand, Alban Thomas
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