4 min

Voyage au cœur du cycle de vie d’un champignon phytopathogène

Des chercheurs de l’unité BIOGER (BIOlogie et GEstion des Risques en agriculture) d’INRAE ont entamé une incursion au sein du cycle de vie du champignon Leptosphaeria maculans responsable de la nécrose du collet chez le colza. Après avoir décrypté l’expression de son génome, ils ont pu procéder à l’identification du cycle de vie infectieux de ce champignon phytopathogène.

Publié le 19 avril 2022

illustration Voyage au cœur du cycle de vie d’un champignon phytopathogène
© Brigitte CAUVIN

Identifier les gènes de Leptosphaeria maculans responsables de la nécrose du collet

La nuisibilité du champignon Leptosphaeria maculans, responsable de la nécrose du collet du colza, est due à son génome atypique qui lui permet une grande flexibilité évolutive. L. maculans fut le premier champignon phytopathogène entièrement séquencé en France. L’étape suivante consiste maintenant à comprendre lesquels, parmi l’ensemble de ses gènes, sont spécifiquement mobilisés pour infecter le colza, comment ils s’expriment et quand. 

Deux laboratoires INRAE en collaboration avec le Genoscope ont tenté d’apporter des réponses, à travers un projet de métatranscriptomique financé par France Génomique. Ce projet vise à décrypter l’expression des gènes de L. maculans en séquençant (par RNA-seq) les ARN qu’il fabrique (reflétant l’expression de ses gènes) pendant toutes les étapes de son cycle de vie, aussi bien en conditions contrôlées (en laboratoire) qu’en conditions naturelles (dans les champs). Ce projet permet ainsi d’explorer les acteurs impliqués dans les différentes étapes de la vie d’un champignon phytopathogène sur son hôte, et de savoir par quels moyens il est capable d’infecter la plante.

Des effecteurs produits en vagues successives lors de l’infection de la plante

Le cycle de vie de L. maculans comporte plusieurs stades. Lorsqu’il attaque le colza, dès l’automne, il s’introduit sous forme asymptomatique dans les feuilles puis cause des lésions fugaces et peu dommageables, avant de coloniser les tissus de la plante de façon cryptique. Il ne s’active de nouveau qu’à l’arrivée de l’été en nécrosant la base de la tige de la plante pour s’en nourrir, puis continue à vivre sur les résidus de culture après la récolte. Le séquençage de son génome a révélé la présence de gènes codant des protéines appelées effecteurs (arsenal de molécules nécessaires à l’infection), dont le rôle est notamment de permettre au champignon de « déjouer » le système immunitaire de la plante afin qu’elle ne puisse pas le détecter. 

Le projet de métatranscriptomique a permis d’identifier, au cours du cycle de vie du champignon, huit vagues différentes d’expression de gènes codant pour des effecteurs. L’une de ces vagues comprend notamment des gènes spécifiques du stade de croissance asymptomatique du champignon. Les chercheurs ont découvert que cette même vague, avec les mêmes gènes, se reproduit à plusieurs reprises au cours du cycle infectieux de L. maculans. Cette découverte constitue un nouvel indice très important pour mieux identifier quels effecteurs permettent au champignon de passer inaperçu dans les tissus de la plante, afin de trouver de nouveaux moyens de lutte contre la maladie. 

Adaptation et contournement, une histoire sans fin ?

La raison pour laquelle ce phénomène suscite un fort intérêt scientifique est la capacité du colza (comme toutes les plantes soumises à une pression parasitaire) à coévoluer avec son agent pathogène. Après le contournement par L. maculans du système de défense de la plante, cette dernière a connu une évolution naturelle lui permettant de détecter non-plus la présence du champignon (via la chitine), mais l’un de ses effecteurs produit au tout début de l’infection. La plante s’est ainsi adaptée pour reconnaître d’autres éléments provenant de son parasite et l’empêcher de s’installer dès le début du cycle. 

La sélection par l’homme de plantes ayant subi de telles évolutions a connu un grand succès commercial, cette méthode étant la plus facile à mettre en place actuellement. Seul bémol (mais pas des moindres), l’utilisation en masse de telles résistances naturelles engendre à son tour, une forte pression de sélection sur les champignons, qui vont de nouveau s’adapter et redevenir capables de contourner cette résistance en peu de temps. C’est le fonctionnement-même d’une coévolution. 

Grâce à l’étude du cycle de vie de L. maculans, un autre gène de résistance a pu être identifié chez le colza à un stade plus tardif de l’infection. Il détecte des effecteurs appartenant à la vague d’expression de gènes lors de la phase asymptomatique, qui sont produits plusieurs mois après l’arrivée de l’agent pathogène lorsque ce dernier commence à s’attaquer aux tiges. Privilégier une résistance du colza à ce stade de développement du champignon éliminera sans doute moins efficacement l’agent pathogène, mais promet d’être bien plus durable et de toujours limiter le développement de la nécrose du collet, principal stade causant les pertes dans les récoltes en fin de saison culturale.

RÉFÉRENCES

Gay EJ, Soyer JL, Lapalu N, Linglin J, Fudal I, Da Silva C, Wincker P, Aury JM, Cruaud C, Levrel A, Lemoine J, Delourme R, Rouxel T, Balesdent MH (2021) Large-scale transcriptomics to dissect two years of the life of a fungal phytopathogen interacting with its host plant. BMC Biol 19: 55 https://doi.org/10.1186/s12915-021-00989-3

Jiquel A, Gervais J, Geistodt-Kiener A, Delourme R, Gay EJ, Ollivier B, Fudal I, Faure S, Balesdent MH, Rouxel T (2021) A gene-for-gene interaction involving a ‘late’ effector contributes to quantitative resistance to the stem canker disease in Brassica napus. New Phytol https://doi.org/10.1111/nph.17292

Veneault-Fourrey C, Rep M (2021) Quantitative resistance linked to late effectors. New Phytol https://doi.org/10.1111/nph.17462

 

 

MYLÈNE LE CAËRRédactriceDÉPARTEMENT SPE

Contacts

Thierry ROUXEL ChercheurBIOlogie GEstion des Risques en agriculture (BIOGER)

Le centre

Le département

En savoir plus

Quand les chercheurs tentent de leurrer les nématodes phytoparasites

Les nématodes à kyste sont des ravageurs des cultures qui parasitent les racines des plantes. Ils peuvent rester en dormance des années avant de percevoir des exsudats racinaires, cocktails complexes de molécules sécrétés par les racines qui les raniment, provoquant l’infestation des plantes. Pour contrer les nématodes à kyste sans utiliser de produits toxiques, des chercheurs d’INRAE ont adopté une approche originale : répandre des exsudats pendant la période d’interculture, conduisant à l’éclosion suicide des nématodes, incapables de se développer en l’absence de leur plante hôte. Testé sur divers échantillons de sols français, ce leurre semble très efficace.

24 novembre 2021

Agroécologie

Des systèmes de culture innovants dans la lutte contre les nématodes

Les nématodes à galles sont des vers microscopiques vivant dans le sol qui s’attaquent aux plantes et provoquent des dégâts considérables en culture maraîchère et fruitière. Dans le cadre du projet GeDuNem, les chercheurs INRAE de l’Institut Sophia Agrobiotech (ISA) ont mis en place des prototypes de systèmes de culture maraîchers combinant des techniques de lutte contre les nématodes avec l’utilisation de variétés de plantes portant des résistances. Ces systèmes se sont avérés efficaces, entraînant une diminution du nombre de nématodes présents dans le sol ainsi qu’une résistance des plantes plus durable dans les sites analysés. Cette expérimentation ouvre la voie à des techniques alternatives pour la gestion des nématodes à galles.

08 juin 2020