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Vous avez dit « interdisciplinarité » ?

La demande de recherches interdisciplinaires n’est pas nouvelle, mais elle s’est considérablement intensifiée au cours des deux dernières décennies. La mobilisation de la recherche pour répondre aux grands défis sociétaux en est un puissant moteur. Vous avez dit « interdisciplinarité » ? par Pierre-Benoit Joly, président du centre INRAE Occitanie-Toulouse.

Publié le 08 septembre 2023

illustration Vous avez dit « interdisciplinarité » ?
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On se souvient que le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’Evolution du Climat (GIEC) a reçu le prix Nobel en 2007. Mais qui se souvient qu’il s’agissait du prix Nobel de la paix et pourquoi ce Nobel là et non un prix scientifique ?

La réponse est simple : les prix Nobel scientifiques sont remis à des individus pour leur contribution exceptionnelle dans les domaines disciplinaires désignés par Alfred Nobel dans son testament (chimie, physique, physiologie ou médecine). Donc, pas de place pour les collectifs ni pour l’interdisciplinarité ! Autre exemple de la faible reconnaissance de l’interdisciplinarité. L’Academic Ranking of World Universities (ARWU, plus connu sous le nom « classement de Shangaï ») établit le classement des universités à partir de critères exclusivement disciplinaires, ce qui renforce le fait disciplinaire compte tenu de l’influence de ce dispositif sur les politiques publiques.

Entre injonction et spécialisation

Pourtant, l’injonction à l’interdisciplinarité a une place de choix dans les politiques de recherche et les orientations stratégiques des grandes institutions de recherche. Il apparaît en effet à l’évidence que, si l’on ambitionne de contribuer à la résolution de problèmes auxquels les sociétés contemporaines sont confrontées, il est essentiel de conjuguer l’approche de différentes disciplines, voire de développer des approches qui combinent les concepts et méthodes de ces disciplines. De longue date, les questions environnementales sont parmi celles qui ont fait l’objet de recherches interdisciplinaires. Rien d’étonnant si l’on songe à la complexité de ce que l’on appelle aujourd’hui les « systèmes socio-écologiques ».

Alors, comment combiner les exigences des recherches disciplinaires et la nécessité des recherches interdisciplinaires ?

L’évolution du climat en est un bon exemple. Le nombre de disciplines qu’il est nécessaire de mobiliser et d’intégrer pour comprendre le phénomène et pour prédire son évolution est considérable. Il faut ajouter que le degré élevé d’intégration propre à l’interdisciplinarité (par opposition à la pluridisciplinarité qui se suffit d’un assemblage de connaissances hétérogènes) a des effets générateurs. Un seul exemple encore lié à l’évolution du climat : pas de possibilité de connaître le rôle potentiel des puits de carbone sans spécialistes des cultures et des sols. Mais le concept lui-même de « puits de carbone » n’aurait pas existé sans un lien avec les recherches sur le climat et avec une meilleure connaissance des cycles bio-géo-chimiques.

Pour autant, l’influence des disciplines sur la recherche ne cesse d’augmenter avec le double-mouvement d’une croissance importante des connaissances et de l’augmentation de l’hyperspécialisation.

C’est au sein des disciplines que l’on retrouve les communautés de pairs qui jouent un rôle crucial pour l’évaluation de la qualité des recherches et pour le partage des connaissances.

Problématiser et conceptualiser

Même si la question a été travaillée de longue date, il n’existe pas de réponse unique et définitive. Faire une recherche entre disciplines comporte deux exigences. En premier lieu, un travail de problématisation commun : définir ensemble ce qui fait problème et quelles sont les différentes solutions envisageables. Deuxièmement, faire un travail d’intercompréhension des concepts et théories et des méthodologies. Le partage d’objets frontières, par exemple des bases de données, des sites d’observation ou encore des modèles, peut faciliter la coopération. Ce travail épistémologique et méthodologique peut générer des nouveaux concepts, comme indiqué plus haut. Tout cela prend du temps, mais ce temps et ces efforts sont indispensables pour dépasser un simple travail pluridisciplinaire qui procède par simple addition de disciplines.

Les difficultés sont plus ou moins élevées et sont fonction de la distance épistémologique. Toute chose égale par ailleurs, la difficulté sera d’autant plus grande que l’on cherche à conjuguer approches qualitatives et quantitatives, ou plus fondamentalement, sciences expérimentales et sciences historiques. Mais de nombreux exemples de recherches sur les systèmes socio-écologiques montrent qu’une telle ambition n’est pas vaine. Et l’on peut même aller plus loin en soulignant que l’histoire longue de l’INRA, aujourd’hui INRAE, révèle l’importance et la fécondité de telles recherches, notamment celles sur les systèmes agraires.

Sans doute l’aptitude à réaliser des recherches interdisciplinaires dépend-elle de la capacité à penser hors de la boîte, ce qui passe par la connaissance et la reconnaissance de la pluralité épistémologique. C’est-à-dire du fait qu’il existe une diversité des formes de production de connaissances scientifiques. Cette capacité pourrait être promue par une éducation renforcée en histoire, philosophie et sociologie des sciences.

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10 janvier 2020