Société et territoires

Les vins d’appellation vont-ils disparaître ou renaître avec le changement climatique ?

En France, la production de vins est liée à 90% à des appellations. Pour garantir la qualité ou certaines caractéristiques des vins, les producteurs suivent des cahiers des charges spécifiques. Cet article, publié par The Conversation France, explore comment l'évolution du climat modifie les pratiques de culture et impacte les caractéristiques de la production, pour questionner la nécessité de réviser les cahiers des charges des vins d'appellation

Publié le 17 octobre 2022

illustration Les vins d’appellation vont-ils disparaître ou renaître avec le changement climatique ?
© INRAE - C. Maître

En France, plus de 90 % de la production des vins est signalée par des « appellations », c’est-à-dire des indications géographiques, AOP ou IGP, qui garantissent que la qualité ou certaines caractéristiques de ces vins sont liées à leurs origines géographiques, et, dans le cas des AOP, à un terroir et des savoir-faire locaux reconnus. Mais le changement climatique vient remettre en cause ces liens construits historiquement, inscrits dans des cahiers des charges et garantis par l’INAO.

Les vins d’appellation sont-ils voués à disparaître ou peuvent-ils survivre au changement climatique, et alors à quelles conditions ?

Cette question est étudiée depuis 2012 à travers le projet INRAE LACCAVE dont les résultats viennent d’être présentés en juillet 2022 dans deux colloques internationaux : Perspective mondiale des IG et TERCLIM.


Le vignoble de l'appellation Cabrières, en Languedoc. Une petite appellation touchée par le changement climatique où cohabitent une cave coopérative dynamique (L'estabel) et l'un des entrepreneurs les plus connus du vin, Gérard Bertrand, qui investit dans la viticulture bio et biodynamique.

 Le changement climatique menace les vins d’appellation

L’augmentation de la température moyenne, les modifications de la pluviométrie et la variabilité croissante du climat modifient en effet rapidement les conditions de production du vin dans tous les vignobles français.

Les stades de développement de la vigne sont partout plus précoces, depuis l’éclosion des bourgeons qui deviennent plus vulnérables au gel au sortir de l’hiver, jusqu’aux vendanges qui ont maintenant en moyenne plus de 3 semaines d’avance par rapport aux années 1980.

Les stress hydriques sont aussi plus prononcés, en particulier en zone méditerranéenne, ce qui limite les rendements et modifie les processus de maturation des raisins. Les raisins deviennent plus sucrés, leurs acides se dégradent plus rapidement, la composition en précurseurs d’arômes change… En conséquence la qualité des vins se modifie dans tous les vignobles. Ils sont plus alcoolisés, avec par exemple en Languedoc près de 14° en moyenne depuis 2015, contre 11° dans les années 1980.

Le Banyuls est le vignoble le plus au sud de la France, avec des rendements en baisse, mais qui se maintient grâce à l’oenotourisme. Replanter les vignes plus en altitude est une alternative face au changement climatique, mais il faut pour cela gérer collectivement l’évolution du paysage

Les vins ont aussi moins d’acidité, des profils aromatiques nouveaux, par exemple des goûts plus marqués de « fruits cuits » pour certains cépages rouges… Ces évolutions ne sont pas forcément négatives, surtout pour les vignobles plus septentrionaux, mais ils s’accélèrent et expriment un décalage progressif avec des profils qui avaient été identifiés et codifiés dans les cahiers des charges des appellations, avant les années 1980.

Le changement climatique a aussi d’autres impacts sans doute plus préoccupants. La variabilité climatique croissante accentue les effets de millésime, pouvant déstabiliser la gestion des qualités de chaque appellation. Surtout, les risques économiques augmentent avec les vagues de chaleur, qui peuvent brûler les raisins comme en 2019 dans l’Hérault et le Gard, avec la grêle ou les pluies violentes qui détruisent les récoltes ou les parcelles (phénomène d’érosion accru).

La pression des maladies et ravageurs peut également devenir plus forte en cas d’année chaude et humide, comme en 2018 dans le midi. Plus globalement, ce sont les écosystèmes et paysages qui sont touchés, avec des risques d’incendies plus fréquents et plus importants, comme en 2022, ce qui affecte directement les vignes (destructions, goût de fumée…), mais aussi l’image et l’attractivité touristique des vignobles d’appellation.

Le changement climatique remet donc en cause les qualités des vins, leurs variabilités et leurs liens aux territoires, en menaçant la rentabilité des entreprises, en modifiant l’image et l’attractivité des terroirs viticoles… Le système actuel des vins d’Appellation serait-il condamné ?

Les stratégies d’adaptation peuvent aussi remettre en cause les vins d’appellation

Les leviers d’adaptation au changement climatique sont heureusement nombreux, expérimentés à la fois par les viticulteurs et la recherche. Mais ils peuvent aussi déstabiliser les vignobles et vins d’appellation !

Une première solution est de planter des cépages plus tardifs, résistants à la sécheresse, aux hautes températures et aux maladies, ou produisant moins de sucre et conservant l’acidité… Dans plusieurs vignobles, comme à Bordeaux, sont ainsi testés des cépages venant de régions plus chaudes, des cépages anciens qui avaient été délaissés ou, au contraire, de nouvelles variétés créées par la recherche, comme celles du réseau Oscar… mais les impacts sur le goût et l’identité des vins d’appellation posent question. Une autre option est de modifier les pratiques agronomiques, en particulier la gestion du sol par l’ajout de matière organique ou un « paillage » pour mieux conserver l’eau, mais aussi la taille, la conduite du feuillage ou la plantation d’arbres pour gagner en fraîcheur et protéger les raisins.

L’irrigation est également mise en avant mais elle fait l’objet de nombreux débats car elle peut modifier l’enracinement des vignes et ses liens au terroir. Des pratiques œnologiques comme la désalcoolisation par membrane ou l’ajustement de l’acidité peuvent corriger les impacts du changement climatique sur la qualité du vin, mais elles présentent pour les vins d’appellation un risque d’industrialisation et de standardisation.

Vignoble irrigué en goutte goutte dans l’Aude. L’irrigation est une solution possible face au changement climatique, mais elle ne peut se généraliser et doit se faire sous conditions de pratiques économes, agroécologiques et en se préoccupant de la durabilité des ressources en eau

L’adaptation ne repose pas que sur des solutions techniques. La relocalisation des plantations est une autre option déjà engagée, au sein d’une même zone de production (parcelles avec exposition, altitude ou sol différents) ou dans de nouvelles régions qui deviennent suffisamment chaudes, comme en Bretagne, Haut de France, Nord de l’Europe… Des « pionniers viticulteurs » s’y lancent, sont médiatisés, prennent des risques. Le changement climatique modifie ainsi les concurrences entre régions et remet en cause la « carte des vins » sur laquelle se sont calés historiquement les vignobles d’appellation.

Enfin l’adaptation passe aussi par le développement de nouvelles institutions et relations de R&D pour favoriser les partages de connaissance, et par de nouveaux services d’alerte, de conseil, et, bien sûr, d’assurance dans la ligne de la réforme du régime de l’assurance récolte prévue pour 2023. Plus globalement, ce sont des révisions stratégiques qui sont en cause, combinant les solutions précédentes à différentes échelles d’action, et pouvant aussi viser une diversification des activités, une meilleure prise en compte des perceptions des consommateurs au regard des évolutions de la qualité, mais aussi de leurs attentes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, avant tout liés à la logistique du vin et aux bouteilles, le conditionnement clé des vins d’appellation.

Une voie reste possible : la cogestion adaptative des vins et terroirs viticoles

Le changement climatique place donc les vins d’appellation entre deux impasses : une voie conservatrice, qui ne retiendrait que des adaptations compatibles avec les cahiers des charges actuels (certaines pratiques agronomiques, les assurances…), mais incapables de répondre à l’intensité du changement climatique ; une voie d’innovation radicale fondée sur les seules promesses technologiques (créations variétales, irrigation, œnologie corrective, relocalisation massive) qui entraîneraient une artificialisation de la viticulture, réduisant ses liens au terroir, le fondement des appellations.

Les travaux de LACCAVE suggèrent qu’une autre voie reste possible, souhaitée par une large majorité de viticulteurs et amorcée par de premiers changements politiques et réglementaires.

En partant d’une prospective pour la viticulture française en 2050, les forums que nous avons organisés dans les sept principales régions viticoles françaises montrent en effet une volonté générale d’aller vers une stratégie de type « innover pour rester » maintenant un ancrage territorial du vin.

Il s’agit de passer d’une vision « conservatrice » d’un vin d’appellation (où terroir, pratiques et qualité seraient considérés comme « immuables ») à une définition « procédurale », garantissant que les viticulteurs adoptent une démarche de valorisation et différenciation des produits fondée sur une gestion adaptative des ressources territoriales. Dans ce cas, l’innovation est possible pour les vins d’appellation, privilégiant des « solutions fondées sur les ressources locales » respectant des délibérations locales et plus ouvertes aux autres acteurs utilisant ces ressources.

Cette troisième voie reste soumise à une série de conditions :

  • un réchauffement climatique le plus modéré possible, proche des objectifs de la COP21, qui limiterait les impacts sur les vins et offrirait plus de marges de manœuvre pour l’adaptation ;
  • le maintien d’une reconnaissance par les consommateurs et pouvoirs publics d’une qualité liée à l’origine, associée à la production de biens publics ;
  • des procédures plus faciles de révision des cahiers des charges, poursuivant l’évolution engagée par l’INAO autorisant depuis 2018 l’introduction de nouveaux cépages « à des fin d’adaptation » ou une irrigation d’appoint « à des fins qualitatives » ;
  • le développement d’actions d’atténuation, inscrites dans les cahiers des charges et pouvant aller jusqu’à un système local de compensation carbone favorisant un oenotourisme et des exportations responsables ;
  • le développement de recherches participatives et d’une nouvelle « ingénierie des terroirs », associant compétences de diagnostic, de simulation climatique et de gestion adaptative de projets locaux.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Contacts

Jean-Marc Touzard Directeur de rechercheUMR Innovation

Nathalie Ollat Ingénieur de RechercheUMR Ecologie et Génomique Fonctionnelle de la Vigne

Les centres

En savoir plus

Changement climatique et risques

LACCAVE : 10 ans de recherche en partenariat pour l’adaptation de la viticulture au changement climatique

COMMUNIQUÉ DE PRESSE - Après 10 ans de travaux sur l’adaptation de la viticulture au changement climatique, le projet LACCAVE s’est achevé fin 2021. Rassemblant depuis 2012 une centaine de chercheurs pour étudier les conditions de l’adaptation au changement climatique dans le secteur de la vigne et du vin, ce projet a été financé et coordonné par INRAE, et mené en partenariat avec le CNRS, des universités, l’institut Agro et Bordeaux Sciences Agro, ainsi que les principales organisations de la filière, l’INAO, FranceAgriMer, les chambres d’Agriculture, l’IFV, les interprofessions et syndicats d’appellation. Le projet a été clôturé à Montpellier par un séminaire scientifique (24-26 novembre) puis une série de conférences et d’ateliers participatifs au salon professionnel du SITEVI (30 novembre-2 décembre). Les conclusions des chercheurs réunis le soulignent : les impacts du bouleversement climatique sur les vignobles s’accentuent, mais des solutions pour l’adaptation sont possibles si l’augmentation de la température moyenne est contenue à moins de 2 °C et si la mobilisation conjointe des acteurs de la filière, des pouvoirs publics et de la recherche se poursuit.

07 décembre 2021

Changement climatique et risques

Laccave, des vins adaptés au climat de demain

Plus concentré, plus riche en alcool, moins acide. Voilà ce à quoi pourrait bien ressembler notre verre de vin rouge en 2050. Les effets du changement climatique ont été décrits sur la vigne et le vin. Aussi les recherches visent-elles dorénavant à préparer l’ensemble de la filière vitivinicole au climat de demain. La seconde phase du projet Laccave, porté par INRAE depuis 2012, s’attache à fournir des pistes opérationnelles d’adaptation au niveau national, région par région, vignoble par vignoble. Questions à Nathalie Ollat, ingénieure de recherche à Bordeaux.

11 février 2019