illustration Vincent Ferrer, orange scientifique
© Laurent Julhia, INRAE

Alimentation, santé globale 5 min

Vincent Ferrer, orange scientifique

Bénéficiaire d’une convention Cifre qui associe INRAE et la société Cointreau, Vincent Ferrer s’intéresse aux arômes des bigarades et des oranges, éléments clés de la liqueur d’orange de la marque. Son travail porte sur l’étude des facteurs de variabilité des arômes des huiles essentielles de ces agrumes. Science d’un côté, monde de l’entreprise de l’autre, le dispositif Cifre est intéressant pour chacun des partis et favorable au développement de la recherche partenariale sur fond de compétitivité et d’innovation. Témoignage.

Publié le 04 juillet 2022

Des études de science à Toulouse, une formation d’ingénieur agronome à Dijon, et voici Vincent Ferrer prêt à commencer une thèse en Corse, dans l’unité Amélioration génétique et adaptation des plantes méditerranéennes et tropicales, entre Monte Castello d’Osari et mer Tyrrhénienne. Une thèse réalisée dans le cadre d’un dispositif Cifre qui associe la société Cointreau et INRAE au profit de la science. Commencée en juin 2019, elle porte sur les arômes d’oranges mais pas n’importe lesquels, ceux qui donnent au triple-sec de la marque son parfum si spécifique.

Arômes d’orange : les goûts et les odeurs, ça se discute

Fruité, zesté, floral, épicé… au cœur de la liqueur de Cointreau se mêlent les arômes des zestes d’orange douce, Citrus sinensis, et d’orange amère ou bigarade, Citrus aurantium, en une savante combinaison qu’il convient de maitriser afin de garantir la stabilité aromatique de la boisson.
Si les arômes de la pulpe d’orange ont été largement étudiés, notamment du point de vue de leur composition chimique, ceux des zestes, qui renferment les huiles essentielles, l’ont moins été. Ils constituent un champ de recherche auquel Vincent se consacre depuis trois ans. Il s’intéresse, notamment, à l’impact des variétés, de la nature du porte-greffe, du stade de maturité des fruits et des processus post-récolte de traitement des zestes sur les arômes.

Contribuer au développement de la recherche partenariale

Il a ainsi étudié quelque 50 variétés d’oranges et autant de bigarades, sélectionnées dans le Centre de ressources biologiques (CRB) Citrus et représentatives de la diversité de ces espèces. Analyses sensorielles, chimiques et statistiques l’ont accompagné dans sa compréhension de la variabilité de leurs arômes.

La diversité aromatique des oranges douces est faible tandis que leur diversité génétique est pour ainsi dire nulle – pour mémoire, leur diversité variétale repose sur des modifications spontanées naturelles que l’homme a repérées et maintenues voire amplifiées par greffage. Celle des bigarades est plus faible que celle des oranges douces contrairement à leur diversité génétique, un peu plus élevée du fait de l’intégration d’hybrides naturels à la cohorte des variétés issues de la sélection de mutants naturels. En matière d’arômes, ces différences s’expliquent certainement par une sélection au long cours intensive pour l’orange, destinée à la consommation, alors que la bigarade a été peu sélectionnée sinon pour d’autres utilisations, en tant que porte-greffe par exemple.

Parmi les facteurs à même d’influencer les arômes des fruits, le stade de maturité du zeste est important. Les zestes récoltés à un stade de développement peu avancé ont une composition chimique très différente de celle du fruit mûr : ils contiennent beaucoup de composés oxygénés, porteurs de groupements ester, aldéhyde ou alcool, qui jouent un rôle clé dans l’arôme des zestes. Qu’ils proviennent de l’orange ou de la bigarade, ces composés conduisent à des arômes atypiques intéressants. Les traitements post-récolte des fruits jouent également un rôle clé et doivent être maitrisés et standardisés pour garantir la qualité aromatique des zestes.

De son travail, Vincent Ferrer nous livre une vision très finalisée. « L’essentiel, c’est de comprendre quels sont les paramètres qui font varier la composition des arômes et d’identifier ce qui est important pour avoir un produit constant à partir de lots différents. A terme, mon travail servira à donner des indications à l’ensemble des opérateurs de la chaine d’approvisionnement de la matière première (producteurs et acheteurs) : privilégier tel ou tel porte-greffe, récolter au moment voulu, traiter dans des conditions déterminées... Ce que l’on appelle un cahier des charges, en fait. »

Dans le secret de la distillerie Cointreau, le maitre distillateur Carole Quinton, qui assemble des lots de zestes d’orange venus des quatre coins du monde, a d’ores et déjà commencé les essais.

Au jardin des Hespérides

Côté arôme, Vincent consacre également une partie de son temps à un fruit de bouche, issu du croisement d’un clémentinier et d’un oranger, le tangor. Un travail plus exploratoire dans lequel il s’intéresse au devenir de l’arôme d’orange dans les zestes de ces hybrides : est-il transmissible à la descendance ? Comment va-t-il se répartir dans celle-ci ? Quels sont les supports génétiques de l’arôme des zestes des huiles essentielles ? Le but ? Comprendre l’architecture génétique de l’arôme d’orange du fait du brassage génétique généré par le croisement.

Parmi la descendance, quelques hybrides avec des profils aromatiques proches de celui de l’orange ont été identifiés. Malheureusement, ces travaux n’ont pas permis d’établir un lien entre la composition de ces hybrides et le profil aromatique orange. Cela est certainement dû à la grande complexité de l’arôme orange où interviennent de très nombreux composés non détectés par les méthodes actuelles d’analyse car présents en de trop faibles quantités. Cependant des régions chromosomiques responsables de la production de composés dotés d’activités aromatiques importantes ont été mises en évidence. Ces régions pourront ainsi servir à l’avenir à réaliser des programmes de sélection variétale en effectuant une sélection précoce sur la descendance. Cela permettra d’économiser du temps et de l’argent car il ne faut pas moins de cinq ans pour qu’un arbre porte ses premiers fruits !

Des Cifre et des lettres

Esprit scientifique, esprit d’entreprise

Chiffres en hausse car le dispositif Cifre n’a cessé de gagner en attractivité depuis sa création, en 1981 : 1 387 Cifre alloués en 2019 (pour 16 000 inscrits en première année de doctorat) et un objectif de 2 150 Cifre alloués en 2027 soit une augmentation de 55 % (source : ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation-MESRI). A INRAE, 54 doctorants Cifre ont été accueillis en 2021, portant à 160 les thèses Cifre en cours dans l’Institut. D’ailleurs Vincent qui « à l’époque » croisait les scientifiques INRAE dans sa formation d’agronome, avait bien vite remarqué l’offre de thèse Cifre que proposait alors INRAE à San Giuliano.

Lettres de noblesse pour la convention industrielle de formation par la recherche. Et Vincent Ferrer ne tarit pas d’éloges. Ce qu’il apprécie ? C’est d’être dans « la vraie vie » (lui aussi), un pied dans la recherche, un autre dans le secteur privé tout en profitant des cultures des deux mondes. Plus encore le sentiment de pouvoir transférer et valoriser les connaissances académiques au bénéfice du monde de l’entreprise. Le salaire d’embauche est plutôt attractif et Vincent n’est pas mécontent de gagner un peu plus que la moyenne des thésards « qui, d’ailleurs gagnent trop peu compte tenu des études et du travail fourni ». En 2018, les données du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation faisaient état d’un salaire mensuel minimal de 1 957 € brut (soit 23 484 € brut par an) pour les doctorants Cifre contre 1 758 € brut pour les doctorants contractuels des établissements publics d’enseignement supérieur ou de recherche. A la sortie, Vincent se projette déjà, confiant qu’il est dans la possibilité d’obtenir un emploi rapidement après sa thèse. Porté par la dynamique qui anime le dispositif, Vincent a bien en tête que « 90 % des docteurs Cifre trouvent un emploi dans les 6 mois » (données 2020, source MESRI). Une opportunité ? Plus que ça, un tremplin vers le futur.

Un futur qui s’annonce radieux, à long terme et… très occupé, à très court terme, puisque Vincent Ferrer soutiendra sa thèse le 11 juillet 2022. Quelques semaines encore qui vont lui permettre de peaufiner sa présentation. On parie sur un gâteau à l’orange pour fêter le résultat ? L’avenir nous le dira !

La convention industrielle de formation par la recherche (Cifre)

Le dispositif Cifre associe trois partenaires.

  • Une entreprise. Elle recrute en CDD de 3 ans, voire en CDI, un diplômé de grade master, et lui confie des travaux de recherche, objet de sa thèse. Elle reçoit de l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), qui gère les conventions Cifre pour le compte du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, une subvention annuelle de 14 000 € pendant 3 ans.
  • Un laboratoire de recherche académique. Il encadre les travaux du salarié-doctorant, lequel à ce titre est inscrit dans l’école doctorale de rattachement du laboratoire.
  • Un doctorant. Il consacre 100 % de son temps, partagé entre l’entreprise et le laboratoire académique, à ses travaux de recherche.

Une combinaison gagnante dont la vocation est de renforcer les échanges entre les laboratoires de recherche publique et les milieux socioéconomiques, de favoriser l’emploi des docteurs dans les entreprises et de contribuer au processus d’innovation des entreprises établies en France.
Depuis 1981, les Cifre ont réuni 9 000 entreprises, plus de 4 000 laboratoires et 25 400 doctorants autour de projets de recherche. Présents dans toutes les régions de France, ces dispositifs couvrent tous les secteurs d’activité et sont conclus tant avec les grandes entreprises qu’avec les petites et moyennes entreprises (PME) ou les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Les associations et collectivités territoriales sont également éligibles.

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Mini-CV

28 ans

Depuis 2019 : Doctorat - Etude de l’hérédité et des facteurs de variation du rendement, de la composition et des propriétés aromatiques des huiles essentielles d’oranges (Citrus sinensis (L.) Osbeck) et de bigarades (C. aurantium L.), université de Corse.
2018 : Ingénieur agronome, AgroSup Dijon.
2012 : Baccalauréat, Toulouse.

Références

Ferrer V. et al. Influence of the Rootstock and the Ploidy Level of the Scion and the Rootstock on Sweet Orange (Citrus sinensis) Peel Essential Oil Yield, Composition and Aromatic Properties. Agriculture 2022, 12, 214.

Ferrer V. et al. Intercultivar Diversity of Sour Orange (Citrus aurantium L.) Based on Genetic Markers, Phenotypic Characteristics, Aromatic Compounds and Sensorial Analysis. Agronomy 2021, 11, 1084.

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

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