Biodiversité 3 min

Le séquençage massif des génomes, une fenêtre ouverte sur le passé des plantes, source d’innovations en recherche

L’accès à un nombre croissant de nouveaux génomes de plantes a rendu possible l’étude de l’évolution des plantes à fleur (angiospermes). C’est ce qui est réalisé depuis de nombreuses années dans le cadre de collaborations impliquant des équipes appartenant à trois Laboratoires de la Région Auvergne- Rhône-Alpes : l’UMR GDEC (INRAE-UCA) de Clermont-Ferrand, l’UMR RDP (CNRS-INRAE-UCBL-ENS) de Lyon et l’UMR PCV (CEA-CNRS-INRAE-UGA) de Grenoble. La masse de données génomiques acquises ces 20 dernières années a permis d’améliorer considérablement la compréhension de l’organisation et de la régulation des génomes des plantes. Six découvertes majeures et récentes dans ce registre sont présentées dans cet article.

Publié le 25 novembre 2020

illustration Le séquençage massif des génomes, une fenêtre ouverte sur le passé des plantes, source d’innovations en recherche
© INRAE

La qualité et l’originalité des résultats publiés par ces trois Laboratoires leur permettent de bénéficier aujourd’hui d’une véritable reconnaissance internationale dans le domaine très compétitif de l’évolution des plantes.

Le développement d’outils de séquençage de plus en plus performants et d’équipements facilitant la reconstitution des génomes complexes et de grande taille, outils disponibles en particulier au sein de la plateforme régionale Gentyane (http://gentyane.clermont.inra.fr/ ), ouvrent la voie à la poursuite de l’analyse de l’histoire évolutive des plantes à une échelle jamais atteinte à ce jour et sur près de 200 millions d’années. De plus, le séquençage des génomes de nouvelles espèces d’intérêt, dont certaines stratégiques pour la Région comme les céréales, offre désormais l’opportunité d’élucider les déterminismes (epi)génomique de l’adaptation au changement climatique, du développement de la fleur/fruit/graine, de la régulation des stomates… et de mener une approche de biologie évolutive du développement (EVO-DEVO) pour l’identification des bases génétiques de caractères agronomiques majeurs apparus au cours de l’évolution (par exemple l’assimilation du carbone C3/C4) à des fins appliquées de recherche translationnelle pour l’agriculture.

 

Décryptage du génome de la toute première plante à fleur

Afin de modéliser le génome de l’ancêtre des plantes à fleurs, les chercheurs ont analysé 37 génomes de plantes très différentes : riz, maïs, sorgho, brome, vigne, arabette, peuplier, papaye, soja, pêcher, pommier… Ces différents génomes ont des structures très diverses, de 20 000 à 40 000 gènes, un nombre de chromosomes allant de 5 à plus de 20, des tailles variées. Le génome ancestral, reconstruit à partir des gènes conservés entre les espèces comparées, est constitué de 15 chromosomes porteurs de plus de 20 000 gènes fondateurs communs à toutes les espèces. Ces gènes fondateurs codent pour des fonctions biologiques de « base », notamment impliquées dans le développement et l’architecture de la plante. Il existe aussi des gènes spécifiques à chaque espèce qui sont engagés dans des fonctions plus « spécialisées ». Au cours de l’évolution, les chromosomes ancestraux ont été remaniés et ont fusionné entre eux pour donner naissance à de nouvelles espèces aux génomes distincts. Ainsi, les génomes de plantes modernes apparaissent comme une mosaïque de chromosomes ancestraux réarrangés. Toutefois, les espèces n’ont pas évolué à la même vitesse. Au-delà des réarrangements des chromosomes ancestraux, les scientifiques ont montré que le doublement du contenu chromosomique (polyploïdie) a également joué un rôle majeur dans l’acquisition d’une plasticité génomique au cours de l’évolution. En effet, ces duplications ont fourni des copies en surnombre de gènes, qui se sont alors spécialisées, permettant aux plantes d’acquérir de nouvelles fonctions biologiques et permettant sans doute une meilleure adaptation aux contraintes environnementales.

 Contact : jerome.salse@inra.fr, UMR GDEC

 

Le mystère de l’origine des plantes à fleurs élucidé ?

Alors que les végétaux ont colonisé la terre ferme voici plus de 400 millions d’années, les plantes à fleurs ne sont apparues que depuis 150 millions d’années. Avant elles, il existait un groupe appelé les gymnospermes, dont le mode de reproduction est plus rudimentaire et qui compte les conifères comme principaux représentants actuels. Les plantes à fleurs, par rapport aux groupes précédents, présentent plusieurs innovations : la fleur rassemble les organes mâles (étamines) et femelles (pistil), entourés par des pétales et des sépales, et les ovules, au lieu d’être nus, sont protégés au sein du pistil. En étudiant une plante gymnosperme assez originale appelée Welwitschia mirabilis, les chercheurs ont élucidé une partie du mystère de l’origine des plantes à fleurs. Cette plante, qui peut vivre plus d’un millénaire, pousse dans les conditions extrêmes des déserts de Namibie et d’Angola et, comme les autres gymnospermes, possède des cônes mâles et femelles séparés. Chose exceptionnelle, ses cônes mâles possèdent quelques ovules stériles et du nectar, ce qui révèle une tentative échouée d’inventer la fleur bisexuelle.  Or, chez cette plante, les chercheurs ont trouvé des gènes similaires à ceux responsables de la formation des fleurs, et organisés selon la même hiérarchie (l’activation d’un gène déclenchant celle du suivant, et ainsi de suite). Cette similitude chez les plantes à fleurs et leurs cousins gymnospermes, indique qu’il s’agit là d’un héritage d’un ancêtre commun. Ce mécanisme n’a pas eu à être inventé au moment de l’origine de la fleur : il a simplement été hérité et réutilisé par la plante, un processus souvent à l’œuvre dans l’évolution.

Contact : francois.parcy@cea.fr , UMR LPCV

 

Le développement des nectaires des fleurs

En étudiant le développement des nectaires (glande sécrétant le nectar) chez Petunia et Arabidopsis, des chercheurs ont pu montrer que les mêmes gènes déclenchent le développement des nectaires dans chaque espèce, malgré leur généalogie distante et le positionnement différent de leurs nectaires. Ces résultats indiquent une origine génétique commune du développement de leurs nectaires datant de plus de 100 millions d’années. Par ailleurs un changement de l’activité de ces gènes au cours de l’évolution explique pourquoi leurs nectaires se développent à des endroits différents.

Contact : michiel.vandenbussche@ens-lyon.fr, UMR RDP

 

Le génome de la rose décrypté : de l'origine des rosiers modernes aux caractéristiques de la fleur

Célébrée depuis l’Antiquité par de nombreux artistes, appréciée pour son parfum et la beauté de sa fleur, la rose est aujourd’hui la fleur coupée la plus achetée en France tandis que le rosier est une plante ornementale incontournable de nos jardins et de nos balcons, fruits de nombreux croisements et hybridations.

Grâce à un consortium international impliquant INRAE, le génome du rosier a été décrypté : une étape essentielle pour comprendre sa biologie et l’origine de sa diversité. Ce travail a fourni un génome de référence du genre Rosa de très haute qualité, considéré actuellement comme un des 3 meilleurs assemblages avec le riz et Arabidopsis. Une telle qualité a permis la reconstitution de l’histoire de la rose au sein de la famille des Rosacées, de comprendre la domestication du rosier, de retracer les contributions respectives des rosiers européens et chinois au génome du rosier moderne, et de faire des découvertes très intéressantes sur les gènes impliqués dans la définition des caractères les plus appréciés chez le rosier moderne, comme la floraison, l’architecture de la fleur, la reproduction, la fragrance, la couleur et régulation simultané de traits comme la couleur et le parfum.

Les résultats obtenus constituent ainsi une base solide pour démêler les mécanismes moléculaires et génétiques qui régissent les caractères du rosier et leur diversité, et ils contribueront à accélérer le travail de sélection et l’amélioration de la reine des fleurs.

Contact : mohammed.bendahmane@ens-lyon.fr, UMR RDP

 

L’origine des blés modernes explorée

La comparaison des séquences de 41 032 gènes des variétés de blés modernes avec ceux de leurs ancêtres sauvages a permis de retracer l’histoire évolutive du blé. Celle-ci est composée d’une succession de processus d’hybridations et de flux de gènes entre les ancêtres à différents niveaux de ploïdie qui, sur plusieurs millions d’années, ont façonné les blés modernes. Ces hybridations successives sont considérées comme un moteur de l’adaptation du blé en brassant de manière récurrente la diversité pouvant ainsi conduire à l’apparition de nouvelles lignées mieux adaptées à leur environnement. Un tel brassage pourrait être à l’origine de la capacité du blé à avoir été cultivé sur l’ensemble des continents avec des conditions environnementales et pédoclimatiques variées.

Le génotypage par puce de plus de 4 500 variétés de blé a également permis de retracer l’origine des blés modernes, en apportant un éclairage nouveau sur la structuration de la diversité génétique mondiale et son évolution, depuis le Néolithique jusqu’à nos jours. Elle met en évidence une structuration de la diversité originelle en huit sous-populations issues de la migration à partir du Croissant Fertile, vers l’Europe et l’Asie. Elle montre également que la diversité génétique mondiale s’est structurée à partir de cette diversité originelle, au gré de l’histoire des populations humaines.

L’analyse de cette diversité est précieuse pour implémenter les prochains programmes de sélection, et exploiter de façon la plus appropriée les ressources génétiques disponibles au regard des évolutions actuelles.

  Contacts : etienne.paux@inrae.fr, jerome.salse@inrae.fr, UMR GDEC

 

Des éléments clés de la biologie des plantes à fleurs sont apparus chez les algues, très tôt dans l’évolution de la « lignée verte »

 L’auxine est une hormone végétale qui joue des rôles essentiels chez les plantes à fleurs. Elle intervient par exemple dans le développement des racines ou dans le positionnement des fleurs. Chez la plante modèle Arabidopsis thaliana, on connait bien les éléments moléculaires impliqués dans la réponse à cette hormone : les récepteurs sur lesquels l’hormone se fixe et les évènements que cela déclenche, que l’on nomme collectivement une « cascade de signalisation ». En étudiant les génomes de différentes espèces ayant divergé très tôt dans l’évolution des plantes, les chercheurs ont pu comprendre comment cette cascade avait vu le jour chez les mousses. Les mousses sont les premières plantes à avoir colonisé la terre ferme il y a environ 450 millions d’années et l’auxine joue chez elles un rôle essentiel dans le développement des tiges feuillues ou les rhizoïdes (sortes de racines rudimentaires). Les études ont révélé que certains des éléments de la cascade de signalisation sont très anciens : ils sont apparus il y a près d‘un milliard d’années chez les algues où ils n’avaient aucun lien avec l’auxine et où leur rôle demeure encore inconnu. Ils ont ensuite été rassemblés dans une même cascade (ou chaîne moléculaire) permettant ainsi aux mousses de répondre à l’auxine. Ces résultats illustrent une découverte récente et qui ne se restreint pas à l'auxine : très tôt dans l’évolution des plantes, alors qu’elles n’avaient pas encore conquis la terre ferme (et notamment chez les algues), il s’est produit une explosion d’innovations qui deviendront capitales dans le fonctionnement et le développement des plantes terrestres ultérieurement (chez les plantes à fleurs en particulier). 

Contact : francois.parcy@cea.fr , UMR LPCV


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Biodiversité

Claudia Bartoli, le microbiote des plantes

Claudia Bartoli est une jeune chercheuse qui a intégré récemment l’Institut de Génétique environnement et protection des plantes (IGEPP) du centre de recherche Inra Bretagne-Normandie. Elle étudie le microbiote de la plante et plus particulièrement les interactions Brassicaceae-microbiote-bioagresseurs afin de réduire l’usage de produits phytosanitaires dans les cultures.

17 décembre 2019

L’annotation des génomes animaux domestiques made in France

COMMUNIQUE DE PRESSE - Annoter le génome d’une espèce d’intérêt, c’est établir le rôle des différents éléments de celui-ci. Cette cartographie fonctionnelle permet ensuite de mieux comprendre les liens entre les gènes et les phénotypes (1). Des chercheurs d’INRAE ont lancé le projet pilote français FR-AgENCODE afin d’enrichir l’annotation du génome de quatre espèces animales d’élevage (vache, poule, chèvre et porc). Les résultats de ce travail, parus le 30 décembre 2019 dans BMC Biology, permettent d’améliorer la connaissance du fonctionnement des génomes de ces espèces, et contribuent aux objectifs de l’initiative internationale FAANG (« Functional Annotation of Animal Genomes ») (2).

13 janvier 2020

Agroécologie

Le génome de la rose décrypté : de l'origine des rosiers modernes aux caractéristiques de la fleur

COMMUNIQUE DE PRESSE - Le rosier... une plante ornementale emblématique de l'histoire de l'humanité d'un point de vue culturel et économique. Un consortium international impliquant l’Inra, l'ENS de Lyon, le CEA, le CNRS et l’Université Claude Bernard Lyon 1, a décrypté le génome du rosier. Ces travaux ont permis de retracer les contributions respectives des rosiers européens et chinois au génome du rosier moderne et d'identifier l'ensemble des gènes impliqués dans les voies de biosynthèse du parfum et de la couleur. Publiés dans la revue Nature Genetics le 30 Avril 2018, ils sont essentiels pour concevoir des variétés qui optimiseront notamment les qualités de la fleur dans un contexte de changements globaux.

12 février 2020