Biodiversité Temps de lecture 5 min
Sauver le corégone
Pour mieux comprendre les dynamiques d’évolution du corégone, un poisson emblématique des lacs périalpins et gérer les ressources durablement, un programme de suivi des populations mobilise, depuis 1992, scientifiques et pêcheurs au chevet du lac d’Annecy. Ce projet de « science participative » a permis de montrer que la situation des corégones s’est améliorée. Il illustre de nouvelles pratiques sociétales dans lesquelles citoyens et groupes d’acteurs collaborent avec les scientifiques et produisent des connaissances de façon active et délibérée.
Publié le 27 août 2020

Connaissez-vous le corégone, Coregonus lavaretus ? Ce poisson lacustre, de la famille des Salmonidés, est peut-être plus connu sous le nom de féra que lui donnent les riverains du Léman et du lac d’Annecy, surtout lorsqu’il s’affiche à la carte des restaurants. Dans la plupart des lacs de la région Rhône-Alpes, ses populations ont drastiquement chuté dès les années 1980, notamment à cause de l’eutrophisation, c’est-à-dire l’augmentation des substances nutritives dans les eaux qui favorise la prolifération d’algues et impacte les cycles de reproduction. Cependant l'histoire est un peu différente à Annecy dont le lac en a été préservé. Malgré tout, une baisse des prises s’est d’abord fait ressentir chez les pêcheurs amateurs à partir de 2004, puis chez leurs homologues professionnels. Chacun rejetant la faute sur l’autre, des conflits ont opposé les deux groupes dans les années 2007 et 2008.
Un projet de sciences participatives pour suivre les populations de corégones
Pour mieux comprendre les dynamiques et gérer les ressources durablement, un programme de suivi des populations a été mis en place par Daniel Gerdeaux en 1992 dans le lac d’Annecy. Dirigé aujourd’hui par Chloé Goulon et Jean Guillard du Centre alpin de recherche sur les réseaux trophiques des écosystèmes limniques (INRAE, Univ. Savoie Mont Blanc), il associe des citoyens et des acteurs-gestionnaires de l’environnement local.
Les sciences et recherches participatives sont des formes de production de connaissances scientifiques auxquelles participent, avec des chercheurs, des acteurs de la société civile, à titre individuel ou collectif, de façon active et délibérée (Charte des sciences et recherches participatives en France, 2017).
A la pêche aux informations
Sur ce plan d’eau, on compte actuellement deux pêcheurs professionnels et quelque 800 pêcheurs amateurs. Tous ont été invités à collecter de précieuses informations : taille et nombre de poissons pêchés, zone de pêche, effort consenti (nombre de prises par unité de temps), échantillons d’écailles prélevés pour la détermination de l’âge... Depuis août 2020, les pêcheurs amateurs ont la possibilité de renseigner ces précieuses informations directement sur leur smartphone (application FISHOLA). A terme, cette application permettra de générer plus de données (renseignement par plus de pêcheurs, sur plus de lacs) mais aussi d’acquérir des données supplémentaires sur de larges échelles spatiales et temporelles (répartition spatiale des prises, photographies des poissons pour analyses morphométriques, analyses des attaques d’autres prédateurs…).
Une situation qui s’améliore
Les données recueillies montrent qu’aujourd’hui la situation des corégones s’est améliorée. Deux explications sont possibles. D’abord la réglementation relative à la pêche, modifiée en 2011, a changé la taille légale des prises, les quotas accordés à chaque pêcheur amateur et le nombre de licences professionnelles. Ensuite, des conditions ont été favorables à la reproduction naturelle et à la survie des larves de corégones.
Selon Pierre Boutillon, président de l’association des pêcheurs amateurs du lac d’Annecy, le bilan de leur participation est très positif. Les pêcheurs accordent plus de valeur aux études auxquelles ils ont été associés et peuvent devenir plus « exigeants » dès lors qu’ils mettent la main à la pâte. Ils souhaitent intensifier leur participation.
L’amélioration de la situation du corégone observée va-t-elle perdurer ? Rien n’est moins sûr tant le changement climatique s’accompagne de fluctuations importantes et imprévisibles de l’environnement. Là aussi, le programme participatif joue un rôle essentiel : il permettra d’anticiper ces effets. L’application smartphone FISHOLA, en augmentant le nombre de données, va permettre de mieux suivre les évolutions de la pêche dans les grands lacs alpins et de pouvoir ainsi accompagner les changements futurs.

Qu'y a-t-il de commun entre un hippocampe et un poisson-lune, un esturgeon et une carpe… ? Ce sont des poissons.Un ouvrage pour mieux comprendre et respecter ce groupe étonnant.