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Réponse des présidents de l'Inra et du Cirad à l'avis 11 du Comité d'éthique sur les nouvelles techniques d'amélioration génétique des plantes

Faisant suite à l'avis 11 du Comité d'éthique Inra-Cirad-Ifremer sur les nouvelles techniques d'amélioration génétique des plantes, les présidents de l'Inra et du Cirad, Philippe Mauguin et Michel Eddi, livrent leur réponse. L’avis du Comité d’éthique a contribué à nourrir la stratégie de l’Inra en matière d’utilisation des technologies d’édition du génome végétal.

Publié le 31 octobre 2018

illustration  Réponse des présidents de l'Inra et du Cirad à l'avis 11 du Comité d'éthique sur les nouvelles techniques d'amélioration génétique des plantes
© INRAE

À la suite d’une saisine conjointe par les présidents du Cirad, de l’Ifremer et de l’Inra, le Comité d’éthique commun aux trois organismes a adopté en mars 2018 un nouvel avis sur les nouvelles techniques d’amélioration génétique des plantes.

Le travail proposé à la réflexion du Comité d’éthique concernait les enjeux environnementaux, économiques et éthiques de l’utilisation posés par l’usage des nouvelles biotechnologies, en recherche et pour des innovations, dans le domaine des productions végétales et animales. Le Comité d’éthique a choisi, dans un premier temps, d’aborder le champ des nouvelles techniques d’amélioration génétique des plantes, et en particulier les techniques d’édition du génome.

S’il revient à l’Union Européenne et à ses États Membres de fixer, pour le territoire européen, le cadre réglementaire pour l’utilisation en agriculture de plantes obtenues par édition de génome, des questions de nature éthique sont à prendre en compte par les équipes et les organismes de recherche, que leur espace d'activité soit centré sur l'Union Européenne ou qu'il le soit en dehors et en particulier en partenariat au Sud. Le Comité d’éthique a choisi d’appuyer sa réflexion éthique et politique sur le système d’édition CRISPR-Cas9, en considérant les risques environnementaux et sanitaires éventuels, le statut juridique des organismes et produits dérivés du système CRISPR-Cas9, la propriété intellectuelle sur les connaissances, et la compatibilité des innovations dérivées avec les approches de l’agro-écologie.

Nous tenons à remercier sincèrement le Comité d’éthique pour la qualité et l’intérêt du travail réalisé. L’avis apporte en particulier un éclairage original au débat en le replaçant à un niveau philosophique. Il prend en effet en compte les différentes représentations du rapport de l’homme avec la nature qui sous-tendent les incompréhensions et les confrontations au sein de la société et alimentent le débat public. L’avis met en avant l’opposition entre la perspective objectiviste propre aux sciences de la nature et les courants intellectuels biocentrique et écocentrique contemporains de l’éthique de l’environnement. Il pointe le fait que ces deux visions sont porteuses de jugements de valeurs et de représentations symboliques du monde qui sont différentes, et donc porteuses de projets de société divergents.C’est ainsi que l’agro-écologie peut, soit être conçue comme une approche systémique de l’agronomie favorisant la compréhension et la maîtrise des interactions entre organismes au sein des écosystèmes, soit intégrer les liens sociaux et politiques des créateurs de variétés ou des agriculteurs.

Les risques et les craintes associés à l’édition des génomes des plantes, qu’ils soient de nature environnementale, sanitaire, agricole, économique, sociale ou politique (souvent intrinsèquement liés), sont également discutés par le Comité d’éthique au regard de la préoccupation des citoyens à pouvoir agir sur des objets d’intérêt commun.

L’Inra et le Cirad ont engagé dès 2012 des recherches sur l’édition des génomes des plantes dans le cadre du projet GENIUS (Genome Engineering Improvement for Useful plants for a Sustainable Agriculture, financé par le plan d'investissements d'avenir PIA), qui rassemblait à sa création 10 laboratoires de recherche publique (Inra, Cirad, Université de Lyon 3) et quatre partenaires privés et associait des équipes de biologistes à des chercheurs en économie et en philosophie. Malgré cette tentative d’ouverture réciproque, et l’organisation de journées de discussion ouvertes au public, les difficultés de dialogue entre sciences biotechniques et sciences sociales dans le cadre du projet illustrent bien la complexité,  soulignée dans l’avis du Comité d’éthique, d’arriver à un consensus voire à un compromis en matière de biotechnologies végétales. Ce projet a contribué néanmoins à prendre conscience de la diversité des points de vue et a posé les bases pour de futures discussions, notamment dans le cadre de l’Association internationale pour des recherches et des innovations responsables dans le domaine de l’édition des génomes (ARRIGE), à laquelle plusieurs chercheurs de l’Inra et du Cirad participent.

L’avis du Comité d’éthique est également important pour sa contribution en termes de responsabilité sociale en recherche, tant au niveau des équipes que des organismes de recherche. Tout en reconnaissant qu’un consensus de la société sera difficile à atteindre sur l’utilisation des nouvelles techniques d’amélioration des plantes, le Comité d’éthique souligne que l’objectif est de décider ensemble du progrès scientifique jugé acceptable sur le double plan culturel et moral. Il rappelle également la nécessité, pour les chercheurs d’un organisme public de recherche, de tenir compte des risques susceptibles de découler de leurs travaux, en étant prêts à entendre les différents points de vue de la société.

En complément de son analyse, le Comité d’éthique adresse aux directions des organismes de recherche 10 recommandations. Bien qu’elles soient émises dans le cadre d’un avis sur les nouvelles technologies d’amélioration des plantes, et en particulier l’édition des génomes, la plupart de ces recommandations sont applicables à l’ensemble des stratégies d’amélioration des plantes cultivées. En complément de ces 10 recommandations, il nous semble important que les instituts de recherche favorisent, pour un intérêt et un bénéfice mutuels, le partage des compétences et des connaissances sur les nouvelles technologies d’amélioration des plantes avec leurs partenaires des pays du sud, afin de leur permettre de jouer en toute indépendance un rôle d'appui aux politiques publiques dans leurs Etats respectifs.

Dans un contexte de transitions à l’échelle de la planète, l’Inra a aujourd’hui l’ambition de contribuer à la transition de l’agriculture française vers des agricultures répondant aux objectifs de production et de durabilité environnementale, économique et sociale, en mobilisant conjointement les compétences de ses équipes de recherche dans les domaines de l’agronomie, de la génétique, des biotechnologies, de la santé des plantes, de l’écologie, des sciences numériques et des sciences économiques et sociales. Cette ambition se retrouve dans le document d’orientation #INRA2025, dont une des priorités est de contribuer à la mise en œuvre d’agricultures diverses et multi-performantes par des approches de l’agro-écologie (considérée comme une approche systémique de l’agronomie pour comprendre et maîtriser les interactions entre organismes au sein des écosystèmes) combinées à des innovations technologiques, organisationnelles, économiques et sociales permettant d’assurer un revenu aux agriculteurs.  Avec une formulation différente car liée à son mandat de coopération avec les pays du Sud, on retrouve une démarche comparable dans le document de programmation scientifique et partenarial (OSSP2) du Cirad 

Considérant que les technologies d’édition des génomes faisaient partie des leviers disponibles en génétique et amélioration des plantes et qu’elles pouvaient, en complément/avec d’autres approches, contribuer à la transition agro-écologique en améliorant des caractères ou des espèces s’inscrivant dans une logique de durabilité environnementale, économique et sociale, le collège de direction de l’Inra a souhaité clarifier la stratégie d’utilisation de l’édition des génomes de l’Institut dans le cadre de ses recherches sur les plantes. Cette stratégie s’inscrit pleinement dans les valeurs de l’Institut. Elle tient compte des recommandations de l’avis du Comité consultatif commun d’éthique Inra-Cirad-Ifremer, que je remercie pour l’éclairage qu’il nous a apporté. Les six principes sous-tendant cette stratégie ont été approuvés par le Conseil Scientifique de l’Inra réuni le 19 novembre 2018. Un document de même nature est en cours d’élaboration au CIRAD qui intégrera la dimension fortement partenariale de son activité de recherche avec des institutions des pays du sud qui sont confrontées aux mêmes questionnements éthiques.

Nous souhaitons pour terminer rappeler que l’Inra et le Cirad ont adopté chacun une charte de déontologie. Chaque agent a la possibilité, selon son statut, de saisir les délégués à la déontologie et à l’intégrité scientifique de son établissement pour dialoguer sur les implications éthiques d’actions de recherche qu’il conduit. De plus, les chercheurs sont encouragés à mener une réflexion avec leur collectif de travail sur les implications éthiques des programmes de recherche qu’ils conduisent.

 

Philiipe MauguinPDG de l'INRAE

Michel EddiPDG du Cirad

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