Société et territoires 5 min

Analyser les questions éthiques et politiques posées par l’édition du génome des végétaux

L’édition du génome et son utilisation pour l’amélioration des plantes soulèvent des enjeux éthiques et politiques jusqu’à présent peu discutés. Le comité d’éthique Inra-Cirad-Ifremer s’est livré, dans son 11e avis, à un exercice de défrichement de ces questions, éclairé par l’analyse des systèmes de valeurs et des représentations symboliques qui sous-tendent la diversité des enjeux identifiés. Ses réflexions s’appuient sur l’exemple du système d’édition CRISPR-Cas9.

Publié le 28 mars 2018

illustration Analyser les questions éthiques et politiques posées par l’édition du génome des végétaux
© INRAE

Parmi les nouvelles techniques d’amélioration des plantes (NPBT pour New Plant Breeding Techniques), l’édition du génome permet d’effectuer des modifications précises et ciblées du génome en quelques jours. Depuis des millénaires, le génome des plantes cultivées est façonné par les longs processus de domestication, par les croisements et sélections récurrentes réalisés par les agriculteurs pour adapter les populations végétales à leurs besoins, en s’appuyant sur la diversité des caractères exprimés dans l’espèce ou les espèces voisines. Au siècle dernier, les techniques de multiplicationin vitro, de mutagénèse, puis de transgenèse ont ouvert de nouvelles possibilités. Dans les années 2000 émergent les NPBT. Plus précis, rapide, facile à mettre en œuvre et moins onéreux, le système CRISPR-Cas9 a été choisi par le Comité d’éthique comme point focal de ses réflexions, dans la mesure où il permet de penser de manière concrète le déploiement de ces nouvelles techniques. Il permet d’inactiver un gène – qui ne s’exprimera donc plus dans la plante – de modifier précisément un gène ou encore d’en insérer un nouveau, qui peut soit provenir d’un autre organisme, avec lequel un croisement classique serait impossible, soit peut être construit en laboratoire.

 

Le Comité d’éthique a examiné :

  • Les risques associés aux nouvelles techniques d’édition de génome ;
  • Le statut juridique des organismes et produits dérivés du système CRISPR-Cas9 ;
  • La propriété intellectuelle dans le secteur végétal ;
  • La compatibilité avec l’agroécologie.

Les risques : pluriels et intriqués

Les risques associés aux nouvelles techniques d’édition du génome sont pluriels et intriqués entre eux : environnementaux, sanitaires, agricoles, économiques, sociaux et politiques. Ceux spécifiquement associés à ces nouvelles techniques sont peu nombreux : principalement le bioterrorisme qui reste toutefois une menace abstraite pour les végétaux. De la sorte, le précédent des plantes génétiquement modifiées (PGM, obtenues par transgenèse) a permis d’investiguer et documenter la plupart des risques environnementaux et sanitaires existants. Pour les risques agricoles, l’édition du génome peut à la fois être un facteur réduisant l’agro-biodiversité mais aussi une solution pour l’enrichir et répondre à de nouveaux enjeux. Dans son 11e avis, le Comité d’éthique analyse également les risques économiques, sociaux et politiques et relève que différentes interrogations pointent vers une préoccupation commune : faire en sorte que ces nouvelles technologies, associées aux régimes de propriété intellectuelle, ne dépossèdent pas les citoyens de leur capacité d’action sur des objets d’intérêt commun. Ce qui invite à repenser les liens entre techniques et systèmes agricoles.

Quel statut juridique ?

Faut-il fonder le statut juridique des organismes et produits dérivés du système CRISPR-Cas9 sur la technique, le procédé utilisé pour les obtenir ? Ou bien sur le produit qui en résulte (le phénotype) ? Les avis penchent majoritairement en faveur de la 2e option, alors que le droit européen actuel s’appuie sur la première option pour réglementer les OGM.A travers ces deux conceptions, une vision instrumentale des plantes s’oppose à l’idée d’une valeur intrinsèque des végétaux. Chacune de ces conceptions de notre rapport aux plantes est portée par des groupes d’acteurs qui s’affrontent dans l’arène politique. Le comité relève que des solutions de compromis sont possibles mais nécessitent un dialogue.

Brevet ou Certificat d’obtention végétale (COV) ?

Au sujet de la propriété intellectuelle, le Comité observe que « le système du brevet s’inscrit dans un ensemble de valeurs axées sur l’appropriation et la recherche du profit par l’intermédiaire d’une forme de contrôle qui s’oppose à l’aspiration humaniste caractérisant le système du certificat d’obtention végétale (COV) ». Aussi, poursuit-il, malgré une certaine similitude entre les deux formes de protection, « sur le plan de l’éthique, le système du COV apparait, en définitive, supérieur », garantissant à la fois une juste reconnaissance intellectuelle et la disponibilité des ressources génétiques à des fins de sélection. Le Comité d’éthique note ensuite que le régime d’open sourcepourrait être une option à considérer : il favoriserait les petits semenciers par le libre accès aux composants de base et permettrait d’éviter les monopoles acquis par les grands groupes à la suite de l’achat de licences onéreuses. Pour les agriculteurs, ce système garantirait plus de transparence et d’indépendance à l’égard des semenciers. Cela pourrait renforcer les chances de diffusion des innovations techniques.

Édition du génome et agroécologie

L’édition du génome est-elle compatible avec l’agroécologie ? Le Comité d’éthique observe, tout d’abord, l’évolution du concept d’agroécologie. L’agroécologie pourrait désormais avoir pour principes, selon les mots de Michel Griffon : « l’écologie comme guide technologique, l’équité comme inspiration sociale ». Dès lors, à quelles conditions est-elle compatible avec l’édition du génome ? Le Comité d’éthique invite à :

  • Prendre le temps d’améliorer, soulignant que les « ciseaux moléculaires » offerts par CRISPR-Cas9 ne pourront apporter les solutions aux problèmes de l’agriculture qu’à la condition qu’on leur donne le temps de s’éprouver dans des milieux ouverts. Mener ces études exige « patience et longueur du temps », soit 10, 20, parfois 30 ans de recherches et d’essais. Le Comité d’éthique insiste ainsi sur la nécessité de « libérer le temps propre à la recherche » ;
  • Ouvrir les systèmes d’évaluation des innovations, avec la nécessité de compléter l’évaluation de type risques/bénéfices par d’autres systèmes de valeurs pour assurer des objectifs d’équité, d’autonomie, de justice sociale et de soin des paysages ;
  • Ouvrir la recherche à la société. « L’arbitrage entre des systèmes de valeurs hétérogènes implique une délibération rationnelle qui ne saurait être de la seule responsabilité de chercheurs et concepteurs de nouvelles variétés ». Une réflexion collective et inclusive doit être produite en amont.

Il est donc question de la responsabilité sociale en recherche. Les scientifiques, qu’ils mènent des recherches finalisées ou non, doivent être prêts à faire face publiquement aux questions de valeurs que suscitent leurs activités, que ce soit pour les équipes de recherche ou pour les institutions. Ceci amène le Comité d’éthique à formuler dix recommandations aux directions des trois organismes (page 27-28 de l'avis ci-contre).

Vers leur réponse

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