Changement climatique et risques 5 min

Réflexions croisées sur la forêt méditerranéenne

La forêt méditerranéenne est un écosystème complexe, tout aussi complexe que la question de son adaptation à la sécheresse et plus largement au changement climatique. Une réflexion que nous livrent Bruno Fady et Guillaume Simioni, chercheurs INRAE, spécialistes en la matière.

Publié le 24 septembre 2020

illustration Réflexions croisées sur la forêt méditerranéenne
© INRAE

La forêt méditerranéenne est un écosystème rompu depuis longtemps à des étés chauds et secs dont les plantes doivent s’accommoder au moment où leur croissance devrait être optimale. Aujourd’hui, les scénarios de changement climatique laissent entrevoir, en été, une augmentation des températures et une diminution des précipitations, donc une aggravation de la sécheresse. Aggravation avec laquelle les forêts doivent désormais composer.

Sécheresse estivale et changement climatique affectent le cycle de l’eau et du carbone et la dynamique des plantes de la région méditerranéenne, en particulier lorsqu’elles s’y trouvent à la limite de leur aire de répartition. Ces perspectives rythment depuis plusieurs années les travaux de Guillaume Simioni, écophysiologiste et Bruno Fady, généticien, tous deux chercheurs au sein de l’unité Ecologie des forêts méditerranéennes, à Avignon.

Des signes alarmants, un constat partagé

Dans ces forêts méditerranéennes, l’étagement forestier est très marqué et de nombreuses essences se côtoient et se succèdent. Sur le site de Font-Blanche (13), les peuplements de pins d’Alep, Pinus halepensis, postérieurs à la deuxième guerre mondiale, sont encore jeunes. « On pourrait s’attendre à ce que ces peuplements continuent de se développer » indique Guillaume Simioni.

Ce serait sans compter avec le changement climatique dont les chercheurs constatent désormais les effets sur la croissance des arbres, toutes espèces confondues, évoquant une augmentation du stress hydrique, du déficit foliaire et de la mortalité. Du fait de sa grande tolérance aux sécheresses extrêmes, le pin d’Alep pourrait mieux s’en sortir que d’autres espèces moins bien armées pour des conditions plus arides.

Pour des arbres et des forêts moins sensibles à la sécheresse

Pour être moins vulnérables à la sécheresse et au changement climatique, les arbres peuvent migrer vers des conditions environnementales plus favorables en disséminant leurs graines au-delà de leur aire de répartition initiale. Néanmoins, cela pose de nouvelles questions. Pour reprendre l’exemple du pin d’Alep, saura-t-il s’adapter aux froids hivernaux qu’il serait susceptible de rencontrer dans des régions plus septentrionales ou à plus haute altitude ? Serait-il capable d’acquérir rapidement cette capacité d’adaptation au froid ?

Les gradients, topographique, édaphique ou encore climatique, qui caractérisent les forêts méditerranéennes constituent un atout pour les espèces végétales qui se déplacent avec leurs graines. « Avec le changement climatique, il est plus facile de se maintenir dans son habitat de prédilection quand les pentes sont très fortes parce que l’on a moins à se déplacer que lorsqu’on est en plaine » précise Bruno Fady.

Par le biais de la sélection naturelle, favorisée ou non par la gestion forestière, les arbres peuvent également s’adapter à leur nouvel environnement.

Font-Blanche, un observatoire précieux pour faire avancer les connaissances sur le fonctionnement des forêts méditerranéennes ​

Le dispositif de Font-Blanche permet d’étudier de nombreux aspects de l’écologie des forêts, dont la plasticité des arbres, c’est-à-dire la capacité d’un individu à modifier son fonctionnement, sa croissance ou sa morphologie, en fonction des facteurs environnementaux. Le site dispose d’une parcelle où une partie des pluies est exclue, ce qui permet d’augmenter artificiellement la sécheresse. « Il semblerait qu’il n’y ait pas vraiment d’adaptation physiologique vis-à-vis de la sécheresse mais plutôt un ajustement de la surface foliaire pour s’adapter à une ressource en eau qui va en diminuant » commente Guillaume Simioni.

A l’échelle des forêts, et notamment les forêts exploitées, la substitution des espèces vulnérables par du matériel forestier plus adapté ou le contrôle du couvert  et de la régénération par la sylviculture constituent d’autres alternatives face à la sécheresse et au changement climatique.

Au cœur de dispositifs expérimentaux répondant au joli nom de jardins communs, scientifiques et forestiers ont la possibilité de comparer les valeurs génétiques d’arbres d’origines géographiques différentes dont ils sèment les graines. L’idée : sélectionner des origines géographiques puis des individus qui auraient les caractères recherchés - résistance à la sécheresse ou au froid, rapidité de croissance, volume du tronc… « Aujourd’hui, pour le pin d‘Alep, on s’est arrêté à la comparaison des origines géographiques dans la mesure où il n’y a pas de pressions économiques fortes sur cette essence et qu’une question importante est plutôt de savoir comment gérer les ressources forestières existantes » souligne Bruno Fady.

Concevoir des mosaïques écosystémiques en réponse au changement climatique

Plus largement, la caractérisation de la diversité génétique des arbres et de leurs capacités d’adaptation au stress notamment hydrique ainsi que la gestion de cette diversité constituent un enjeu essentiel pour les généticiens (Projet GenTree, EU 2016-2020) et autres acteurs du domaine.

Cet enjeu est également porté par la Commission nationale des ressources génétiques forestières (CRGF) que préside INRAE et son pendant européen, le programme Euforgen  (en anglais, European forest genetic resources) dans lequel la France est représentée par INRAE. Plus que la variabilité individuelle, la variabilité populationnelle et au-delà, donne par exemple à imaginer la conception de mosaïques écosystémiques à même de tempérer et/ou tamponner le changement climatique.

Couramment pratiquée par les sylviculteurs, l’éclaircie favorise la production de fûts commercialement plus rentables. Les scientifiques ont aussi montré l’intérêt de cette pratique pour la résistance à la sécheresse de peuplements de cèdres de l’Atlas dans la forêt communale de Valliguières (30). La suppression d'une partie du feuillage d’un peuplement réduit le besoin en eau de celui-ci et améliore le bilan hydrique des arbres restants.

Si le sylviculteur peut agir pour rendre son peuplement plus résilient à la sécheresse et plus largement au changement climatique, plusieurs questions restent en suspens. Elles interrogent la limite de ces changements de pratique, leur viabilité économique, les conditions de leur mise en œuvre…. Elles sous-tendent des enjeux majeurs à prendre en compte, par exemple des enjeux de gestion du territoire au vu de la variabilité locale de l’environnement.

Les individus porteurs de caractères adaptés sont susceptibles de les transmettre à leur descendance à l’inverse des individus qui en seraient dépourvus et ne survivront pas. L’adaptation génétique existe et peut survenir rapidement, à l’échelle d’une génération. Sera-t-elle cependant suffisante pour compenser le changement climatique ? Pas sûr ! Le pin d’Alep se reproduit tôt ; à l’inverse, il faut attendre environ 40 ans pour le sapin. L'âge moyen des peuplements forestiers au moment de la récolte oscille entre 50 et 100 ans, un pas de temps tel que le climat que ces peuplements connaîtront en fin de révolution sera très différent de celui qu'ils ont connu au moment de leur installation.

Une question complexe

Suite à la canicule de 2003, une vague de mortalité a frappé les sapins du Mont Ventoux, se perpétuant pendant plusieurs années. Aujourd’hui, une régénération importante des peuplements se met spontanément en place :  de nouveaux individus voient le jour, donnant une touche d’optimisme dans ce que l’on aurait pu croire irrémédiable.

Cependant, la rapidité et l'ampleur du changement climatique en cours et à venir pose des défis majeurs et sans précédent à la forêt française : d’une part, celui d’endurer les effets de ce changement climatique, d’autre part, entre autres services écosystémiques, celui de séquestrer le carbone pour l’atténuer. Les forêts seront-elles capables d’assurer ce service à long terme ? Une étude en cours sur la canicule de 2019, réalisée dans le cadre de l’infrastructure européenne ICOS - - Système Intégré d'observation du carbone, dont INRAE est membre, montre que chaleur et sécheresse vont à l’encontre de la capacité de la forêt à stocker du carbone.

A ces aspects s’ajoutent par exemple, l’augmentation du risque incendie ou encore les dégâts que peuvent causer les ravageurs. Tous ces facteurs se conjuguent, si bien qu’aujourd’hui encore, le comportement des arbres et des forêts en réponse à la sécheresse et plus largement au changement climatique reste un processus difficile à appréhender.

 

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

Contacts

Bruno Fady Unité Ecologie des forêts méditerranéennes

Guillaume Simioni Unité Ecologie des forêts méditerranéennes

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