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Réduction d’usage des phytosanitaires et émissions de gaz à effet de serre en systèmes de grande culture
En contexte de grandes cultures céréalières et industrielles du nord de la France, 7 systèmes de culture mis en place sur le domaine expérimental d’Estrées-Mons dans la Somme ont été suivis de 2018 à 2024 afin d’évaluer un gradient de réduction de la protection phytosanitaire via le recours à des leviers agronomiques compensateurs. L’expérimentation mise en place propose une approche transversale combinant la réduction de l’usage des produits phytosanitaires et l’amélioration du bilan des gaz à effet de serre, notamment par la réduction de la fertilisation azotée. Les systèmes de culture conçus pour réduire l’usage des pesticides ont permis de réduire l’indicateur de fréquence de traitement (IFT) de 70 à 100% sans nuire de façon significative aux rendements tout en assurant la maîtrise des adventices.
Publié le 01 mars 2025

Une réduction des résidus de fongicides et herbicides dans les sols a aussi été mesurée. Les leviers mobilisés pour réduire l’usage des produits phytosanitaires ont un effet neutre sur les émissions de GES, voire favorable lorsque des légumineuses ayant pour objectifs la couverture du sol et l’équilibrage du bilan azoté sont introduites dans la succession.
Systèmes betteraviers et céréaliers-oléo-protéagineux performants
Les ambitions de réduction d’usage des pesticides sont partagées par les agriculteurs, scientifiques, citoyens et législateurs. Toutefois, la soutenabilité des systèmes se passant partiellement ou totalement des pesticides reste un défi. Dans le nord de la France en particulier, les cultures céréalières (blé tendre d’hiver, orge de printemps) et industrielles (betterave sucrière, colza d’hiver) peuvent en effet être soumises à de fortes pressions biotiques. Au-delà de l’enjeu de réduction de l’usage des pesticides, la contribution de l’agriculture à l’atténuation du changement climatique est également un défi majeur, que ce soit à travers la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou via le maintien, voire l’accroissement, des stocks de carbone organique du sol.
En France, le réseau DEPHY vise à expérimenter des systèmes de culture économes en produits phytosanitaires pour différents types de production. Dans ce cadre, le projet System-Eco+ est centré sur deux types de systèmes de grande culture pour lesquels des alternatives réduisant ou supprimant l’usage des pesticides ont été mises en place : des systèmes betteraviers (blé tendre d’hiver, colza d’hiver, betterave sucrière en rotation de référence) et des systèmes céréaliers-oléo-protéagineux (pois de printemps, colza d’hiver, blé tendre d’hiver, maïs, orge de printemps). Dans le cas des systèmes céréaliers, ces objectifs ont été couplés avec des objectifs de réduction partielle ou totale de la fertilisation minérale azotée. Dans ce travail, ces systèmes sont évalués à la fois sur le plan de la réussite agronomique (gestion des maladies mais surtout des adventices, préservation des rendements, atteinte des objectifs de diminution d’usage des produits phytosanitaires) et sur celui des conséquences environnementales, en cherchant à identifier les synergies ou antagonismes entre les objectifs de réduction d’usage des pesticides et d’atténuation des émissions de GES.
Amélioration du bilan des gaz à effet de serre grâce à une reconception du système
Les résultats obtenus permettent de tirer une conclusion à deux niveaux. D’une part, il semble possible de réduire fortement l’usage des produits phytosanitaires (y compris des herbicides) dans des systèmes de grandes cultures sans remettre significativement en cause les performances agronomiques, que ce soit au niveau de la gestion des adventices et autres bioagresseurs ou au niveau des rendements obtenus. Cette réduction est rendue possible par la reconception de la rotation (allongement et diversification) en combinaison avec d’autres leviers agronomiques : travail du sol (alternance labour/non labour, répétition des faux semis), désherbage mécanique, décalage des dates de semis, choix variétal. L’intégration de cultures étouffantes peut être nécessaire pour atteindre une forte diminution des herbicides. Cette évolution se traduit par une diminution de la présence de substances actives de produits phytosanitaires dans le sol, même si la très forte rémanence dans le temps de certaines substances est confirmée. D’autre part, on n’observe pas de différence très marquée entre systèmes de culture en matière d’évolution des stocks de carbone organique du sol et d’émissions de N2O, ce qui est plutôt positif du fait que cela ne génère pas d’antagonisme. Dans certains cas, on a plutôt un effet bénéfique additionnel, qui semble apparaître sur des systèmes où la réduction des phytosanitaires et des apports azotés de synthèse est réalisée en passant par une reconception du système. La prise en compte des effets amont (fabrication de l’engrais notamment) fait toutefois pencher la balance en faveur des systèmes bas intrants ou en agriculture biologique, avec une forte réduction ou suppression des pesticides et de la fertilisation azotée, liant ces deux enjeux, avec toutefois des rendements réduits.
> Lire l’article complet :
Valentin C., Belleville P., Darras S. et al. (2024). Réduction d’usage des phytosanitaires et émissions de gaz à effet de serre en systèmes de grande culture du Nord de la France (System-Eco+). Innovations Agronomiques, 98, 161-174. 10.17180/ciag-2024-vol98-art11
> A écouter sur France culture :
Le Grand Reportage - Les Hauts-de-France peuvent-ils sortir des pesticides ?
- Avec la participation de Sophie Thoyer, directrice de recherche INRAE, Centre d'économie de l'environnement, Montpellier.