A la recherche de la diversité génétique perdue : de l’utilité de la conservation des ressources génétiques
La diversité génétique fait l’objet de nombreuses études visant à caractériser son potentiel pour adapter les animaux d’élevage à de nouvelles conditions de milieu. Alors que les mesures de conservation visent principalement à limiter son érosion au fil des générations, des chercheurs INRAE ont proposé une approche originale de réintroduction de diversité. Leur étude, publiée dans la revue Genetics Selection Evolution, présente un cas unique d’utilisation de ressources génétiques cryoconservées (semence) pour réintroduire dans la race bovine Abondance de la diversité génétique perdue au cours du temps. Les résultats démontrent l’efficacité à court et à long terme de cette approche, qui pourrait s’appliquer à d’autres races domestiques ou à des populations sauvages menacées. Cet exemple souligne l’importance de la conservation des ressources génétiques et le rôle des centres de ressources biologiques (CRB) comme outil de gestion dynamique de la diversité génétique, au-delà de leur rôle de sauvegarde des populations en cas de disparition.
Publié le 13 septembre 2023
Fig. : Les barres grises représentent l’évolution au cours du temps du nombre de descendants issus de la première (période en bleu) et de la seconde (période en vert) utilisation de Naïf (échelle de gauche). La courbe en pointillés représente la contribution génétique de Naïf à la race Abondance dans son ensemble (échelle de droite).
La diversité génétique est nécessaire au maintien des espèces et des populations : elle est le support de la sélection, naturelle ou artificielle, et permet l’adaptation des populations à de nouvelles conditions de milieu. Cette diversité génétique est souvent réduite dans les populations dont l’effectif est limité, ce qui les rend encore plus vulnérables. Il est donc important de la conserver et de la gérer sur le terrain. Si l’introduction d’individus provenant d’autres populations génétiquement proches est parfois envisagée, elle peut être associée à une perte de typicité de la population (ou de la race) receveuse. Une autre option possible est l’utilisation d’une ressource génétique distante, non pas dans l’espace, mais dans le temps, en l’occurrence l’utilisation du sperme congelé d’individus de la même population prélevés plusieurs générations en amont. Cette option permet de réintroduire une partie de la diversité génétique perdue au cours du temps sans introduire de gènes « extérieurs » qui pourraient nuire à l’identité ou la spécificité de la population receveuse. Cependant, malgré de travaux de simulations semblant prouver son efficacité, cette stratégie n’a à ce jour jamais été mise en œuvre et évaluée à long terme chez les animaux.
Dans cette étude, les chercheurs se sont focalisés sur un cas unique d’utilisation de la semence congelée d’un taureau de race Abondance appartenant à une famille ancienne, et réintroduit comme reproducteur 27 ans après sa naissance (soit 6 à 9 générations plus tard). En effet, dans les années 1980, des croisements au sein de la race Abondance avec des reproducteurs de la race Red Holstein visant à augmenter la production avaient conduit à l‘abandon de certaines lignées familiales de la race Abondance, jugées moins productives. Cette stratégie d’infusion par croisement a été stoppée dans les années 1990 et s’est accompagnée d’une volonté de revenir à la race Abondance « originale ». Cependant, l’utilisation exclusive des reproducteurs Abondance « purs » encore disponibles aurait pu conduire à une réduction trop importante de la diversité génétique de la race. Ce risque a incité les sélectionneurs à réintroduire, via l’utilisation de semence congelée, certaines lignées Abondance précédemment éteintes. Dans cette étude, les chercheurs ont détaillé la réintroduction du taureau Naïf, représentant de la lignée disparue Amiens. En conduisant cette étude de cas dans une espèce animale domestique, les chercheurs ont pu avoir accès à un grand nombre d’informations de manière quasi exhaustive (données moléculaires, généalogies, performances pour l’ensemble de la population sur plusieurs générations). L’étude a donc permis de réaliser une évaluation précise, complète et à long terme de l’efficacité de cette stratégie de réintroduction de diversité génétique, une information utile également pour étendre la stratégie à la gestion des populations naturelles, dans lesquelles toutes ces données sont rarement accessibles.
Grâce aux données moléculaires, les chercheurs ont constaté que les descendants issus de la réutilisation de Naïf présentaient, en moyenne, une diversité génétique plus importante que les autres individus de la population et ce jusqu’à 3 générations après sa réintroduction. Une diversité plus grande peut être particulièrement utile pour l’adaptation à de nouvelles conditions d’élevage ou climatiques. Naïf a également apporté plus de variabilité pour des caractères d’intérêt comme la production laitière et la reproduction. Au moment de sa réintroduction, ce taureau ancien avait certes un potentiel génétique inférieur à celui de la population actuelle pour la production laitière, mais ce retard a été rapidement comblé grâce à des accouplements judicieux avec des femelles choisies pour leurs bonnes qualités laitières. Ceci a été rendu possible grâce aux données moléculaires disponibles et aux procédures d’évaluations génomiques mises en place par INRAE. De plus, la descendance de Naïf présentait de très bonnes performances de reproduction, un caractère qui s’était dégradé avec le temps dans la population actuelle.
En conclusion, cette étude est le premier cas concret d’utilisation de semence cryoconservée, analysée à long terme avec des données aussi complètes. Les résultats démontrent l’efficacité d’une utilisation judicieuse des ressources génétiques conservées ex situ (en cryobanques) pour maintenir la diversité des populations in situ. Des recherches dans ce sens et des efforts de conservation sont donc à poursuivre pour enrichir les Centres de Ressources Biologiques (CRB) et valoriser les collections inestimables de ressources génétiques qu’ils hébergent afin d’accélérer la transition agroécologique des élevages et l’adaptation des animaux au changement climatique. De telles approches, combinant la génétique des populations et la génétique quantitative, associées à des données moléculaires, pourraient aussi s’appliquer aux populations sauvages menacées.
Réf. : Jacques, A., Leroy, G., Rognon, X. et al. Reintroducing genetic diversity in populations from cryopreserved material: the case of Abondance, a French local dairy cattle breed. Genet Sel Evol 55, 28 (2023). https://doi.org/10.1186/s12711-023-00801-6
pour aller plus loin
Le Centre de ressources biologiques pour les animaux domestiques
Les Centres de ressources biologiques (CRB) ont pour mission la conservation et la fourniture d'échantillons biologiques et des données associées, à des fins de recherche, de conservation du patrimoine, de pédagogie ou de valorisation économique. Bien que la semence de Naïf soit issue de collections privées cela met en lumière l’intérêt de telles ressources. INRAE est un acteur majeur du pilotage des CRB pour les ressources génétiques animales domestiques et de la caractérisation de leurs collections. En effet, l’infrastructure CRB-Anim, initiée par INRAE, a vocation à rassembler l’ensemble des données et des échantillons des différents CRB animaux afin d’en faciliter l’accès à des fins de recherches et de conservation des ressources génétiques.
CRB-Anim, INRAE, 2018. Centre de Ressources Biologiques - Pilier Animal, https://doi.org/10.15454/1.5613785622827378E12