Changement climatique et risques 3 min
Un projet pour la pérennité des alpages face aux aléas climatiques
Le pastoralisme joue un rôle essentiel dans la vie des montagnes. Il participe notamment à l’entretien des paysages, à la vie économique et touristique locale, et au maintien d’une biodiversité prairiale riche. Mais face aux changements récents induits par le réchauffement de l’atmosphère, ces systèmes de production fragiles pourront-ils survivre ? Des chercheurs spécialistes des prairies et de l’élevage en montagne, basés à Clermont-Ferrand et Grenoble, en collaboration avec des experts en socio-économie basés à Avignon, se sont penchés sur la question au travers d’un projet de recherche appliquée, mené actuellement en partenariat dans les alpes franco-italiennes. Ils tentent d’avancer des solutions, avec des changements de pratiques potentielles pour ces zones montagnardes.
Publié le 16 juillet 2020
Financé par l’Union européenne dans le cadre du programme LIFE, le projet PASTORALP (2017-2022), intégrant une démarche participative, met en évidence le foisonnement des interrogations des acteurs sur l’influence possible de l’évolution climatique sur les activités humaines et inversement, et sur les liens entre les différents processus à l’œuvre.
L’Université de Florence et INRAE se sont alliés pour ce projet, impliquant 2 parcs nationaux aux abords de la frontière franco-italienne, afin d’étudier et réduire la vulnérabilité des pâturages alpins aux changements climatiques. Les 2 parcs étudiés sont le Parc des Ecrins en France (avec ses 91000 hectares et une population de 16000 personnes) et le Parc du Grand Paradis en Italie (qui couvre 71000 hectares et abrite 8000 habitants).
Anticiper l’impact des aléas climatiques
La démarche mise en œuvre par les chercheurs dans le projet associe observations climatiques et agronomiques in situ, modélisation de l’impact climatique sur les alpages et projections et analyses socioéconomiques, les scientifiques visant à obtenir de nouvelles données pour une gestion durable des alpages. Par ailleurs, ils s’appuient sur des entretiens avec des acteurs locaux (espace de dialogue ouvert), au fil desquels émergent des questionnements autour de nouvelles mesures de nature sociale et économique qui seraient nécessaires pour l’adaptation des systèmes pastoraux montagnards aux changements climatiques.
Ces dernières années, il est devenu évident que les zones de montagne et méditerranéennes sont particulièrement exposées aux bouleversements climatiques. Au cours des 120 dernières années, les températures dans les Alpes ont augmenté d'environ 1,6 °C, soit près du double de la moyenne mondiale, et les précipitations estivales ont diminué de 30%, entraînant une augmentation des extrêmes de températures chaudes et d’aridité.
En mobilisant des outils de modélisation, les scientifiques jouent un rôle déterminant dans l’analyse de vulnérabilité des prairies. Les simulations climatiques indiquent ainsi que les températures devraient augmenter dans les 2 parcs, surtout en été, avec un risque accru de périodes de sécheresse. Nos projections nous indiquent également un allongement de la saison de croissance de la couverture végétale d'environ deux mois dans un avenir proche, associé à une réduction du manteau neigeux.
Quel pourrait être l'avenir des pâturages de nos montagnes ?
Réduction des ressources estivales influant sur les stocks hivernaux (fourrages), composition des cortèges floristiques évoluant vers une moins bonne qualité fourragère, fonte du manteau neigeux plus précoce limitant l’accès à l’eau d’abreuvement... Ce ne sont que des exemples de la multitude des facteurs de risque qui chamboulent les repères des éleveurs. Ils illustrent l’effet des aléas climatiques avec lesquels les éleveurs alpins doivent composer dès aujourd’hui et qui ont une influence sur la production pastorale. Les résultats économiques de ces systèmes fragiles peuvent être affectés, tout comme l’attractivité des estives.
En réunissant les différents utilisateurs du monde rural alpin, les chercheurs du projet PASTORALP ont ouvert un espace participatif pour faire émerger les idées, mutualiser, fédérer et agir en commun. Les prémices de la mise en place d’actions et d’infrastructures partagées, permettant une meilleure gestion des ressources fourragères sous climat changeant, sont engagées. Les élus locaux, le personnel des parcs et les représentants du monde agricole sont ainsi embarqués aux côtés des scientifiques afin de faire avancer la recherche et trouver des pistes ou leviers d’adaptation.
Les principaux constats issus des groupes de travail avec les éleveurs portent surtout sur la nécessité d'un cadre juridique nouveau pour accompagner l’évolution de la PAC, le recours croissant de l'économie alpine au tourisme (considéré comme un élément clé pour favoriser le développement économique des Alpes), l’adoption de pratiques pastorales plus durables face au nouveau paradigme climatique, les conflits pour la gestion des terres et enfin sur la problématique de la prédation par les loups, parfois critique pour les éleveurs. Les acteurs du territoire constatent également que le risque de disparition de certaines espèces animales et végétales spécifiques des régions alpines reste élevé, ainsi que le risque d'érosion des pentes.
Quelles peuvent donc être les mesures à prendre afin de réduire la vulnérabilité des alpages et augmenter leur résilience face à la perte de biodiversité ou aux changements de la structure socio-économique des communautés locales ?
La modélisation au secours des prairies
Le principal problème pour les gestionnaires et acteurs locaux est l’absence de mesures au niveau européen pour faire face aux impacts du réchauffement de l’atmosphère. C'est pourquoi, en utilisant de longues séries de données météorologiques, les chercheurs essaient de reproduire la croissance des pâturages à l'aide de modèles, afin de prévoir leur évolution selon des scénarios de climat futur. A partir de ces résultats, de nouvelles manières de gérer les pâturages pourront être inventées. L’intégration de ces éléments dans les politiques publiques, qu’elles soient européennes ou régionales, sera déterminante pour l’avenir des territoires impactés. En ce sens, l'apport de la télédétection satellitaire ouvre une voie nouvelle d'investigation pour produire des cartographies utiles au pilotage de la gestion et à alimenter le travail de modélisation dynamique entrepris pour tester les scénarios futurs.
Même si le projet n’en est qu’à mi-parcours, il permet néanmoins d’anticiper quelques stratégies et approches novatrices. La première d’entre elles pourrait consister à renforcer les partenariats scientifiques avec les gestionnaires territoriaux, notamment pour mieux gérer, collecter et diffuser des informations et données agronomiques, climatiques et socio-économiques. Le travail des chercheurs serait alors également de mesurer plus en détail les incidences sur les milieux, pour mieux comprendre les mécanismes de la chaîne climat-ressources végétales–production animale, et des effets sur la biodiversité. Par exemple, un point de sensibilisation des acteurs important concerne une répartition équilibrée des surfaces pâturées dans le respect de taux de chargement animal faibles. Parallèlement, les systèmes pastoraux peuvent contribuer à stocker du carbone et la question se pose : comment valoriser cette potentialité ? Une autre piste prometteuse est celle de la diversification des espèces et des races d’animaux d'élevage (caractérisées par un comportement de pâturage différent) afin de maximiser les performances animales et, en même temps, améliorer l'utilisation des zones les plus marginales. In fine, la mise au point et l’appropriation d’outils, facilitant l'adoption de stratégies d'adaptation dans les 2 parcs, pourront être transposées dans d'autres systèmes pastoraux montagnards. Mais l’urgence est déjà là pour essayer d’éviter des dégâts irréversibles pour le pastoralisme de montagne. Point encourageant, les pâtres et les communautés alpines bénéficient d'une expérience et d'une tradition qui sont des gages pour l’avenir.