illustration Préserver la santé, dur comme fer !
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Alimentation, santé globale 5 min

Préserver la santé, dur comme fer !

La question est bien précise mais d’importance pour la société. Le lien entre consommation de viande rouge, charcuteries et cancer du côlon est au cœur des recherches de l’équipe « Prévention et promotion de la cancérogenèse par les aliments » du centre INRAE Occitanie-Toulouse. Récompensée par le Laurier collectif « Impact de la recherche 2020 » d’INRAE, cette équipe, reconnue pour son expertise, génère des données scientifiques, éclaire les débats et conseille les décideurs publics comme les industriels. Ses travaux bénéficient directement à notre santé comme à l’avenir du tissu économique de la filière viande et charcuteries.

Publié le 08 décembre 2020

Plus de 43 000 nouveaux cas de cancer du côlon sont détectés chaque année en France. Fréquent aussi bien chez l’homme que chez la femme, il représente la deuxième cause de décès par cancer tous sexes confondus. Véritable question de santé publique, sa prévention est une urgence. Confirmant le lien étroit entre santé et alimentation, un rapport du World Cancer Research Fund* met en cause la consommation de viande rouge et de charcuteries dès 2007. Depuis près de 25 ans, l’équipe « Prévention et promotion de la cancérogénèse par les aliments » (PPCA) de l’UMR Toxicologie alimentaire (Toxalim) du centre INRAE Occitanie-Toulouse étudie le lien entre cancer du côlon et consommation de viande rouge et explore des solutions pour réduire le risque.

Identifier le risque

Le fer héminique, une piste prometteuse

Si, depuis les années 90, le lien entre consommation de produit carné et risque du cancer du côlon est suspecté, on s’est longtemps demandé quel constituant alimentaire en était responsable. Des hypothèses épidémiologiques montraient que la consommation des aliments carnés augmentait le risque, mais sans en apporter la preuve. En 1997, une équipe de l’école nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT) travaillant sur les xénobiotiques s’intéresse à cette problématique et formule une hypothèse : le fer héminique, particulièrement concentré dans la viande rouge et la charcuterie, serait-il responsable ? Dirigée à l’époque par Denis Corpet, cette équipe rejoint l’UMR Toxalim spécialisée sur les questions de toxicologie alimentaire et commence à travailler sur le sujet.

Dans le même temps, des études internationales s’interrogent sur d’autres hypothèses de toxicité : la teneur en protéine, la teneur en graisse ou le mode de cuisson sont mis en cause, mais sont vite écartés. La viande blanche, qui réunit ces facteurs, n’est pas associée au cancer colorectal. Or, elle ne contient presque pas de fer héminique. Pas de doute, l'équipe tient une piste prometteuse. Les premiers tests sur les animaux confirment ce postulat et apportent un éclairage décisif au début des années 2000 : l’hémine, l'hémoglobine mais aussi la viande de bœuf et le boudin noir riches en fer héminique favorisent la cancérogenèse colorectale chez le rat.

Une fois les données expérimentales consolidées, il faut trouver un moyen d’extrapoler les données à l’Homme, au-delà des tests cellulaires et animaux. Deux solutions, travailler chez l’Homme mais à très court terme avec des biomarqueurs féco-urinaires prédictifs du risque ou travailler avec les cohortes qui étudient la relation entre santé et nutrition. « On a une relation très forte avec l’équipe qui coordonne NutriNet-Santé », explique Fabrice Pierre, coresponsable de l’équipe. Cette cohorte de 170 000 « nutrinautes », suivis individuellement et dans le temps, permet d’identifier sans biais les circonstances associées à la survenue des événements de santé d’intérêt comme le cancer du côlon. Et grâce aux biomarqueurs et à une collaboration avec le Centre de recherche en nutrition humaine Clermont-Auvergne, l’équipe publie en 2013 dans la revue American Journal of clinical nutrition la validation du rôle du fer héminique dans l’effet promoteur de la cancérogenèse des charcuteries chez l’humain.

Une expertise mobilisable par les décideurs publics

Au-delà du travail d'expertise, il faut communiquer et sensibiliser le grand public

Dès sa constitution et par l’essence même de ses recherches, l’équipe est impliquée dans les questions de santé publique. Elle apporte son expertise et reste en interaction permanente avec les agences sanitaires. Par deux fois, le législateur l’a sollicitée lors de grandes auditions parlementaires : à propos des aliments ultratransformés qui incluent les charcuteries, mais aussi à propos de l’utilisation des nitrites dans la filière (audition en cours). D’autres institutions comme l’Institut national du cancer (INCa) ou des associations comme la Ligue contre le cancer font de même, légitimant toujours plus les recherches du groupe et confirmant leur impact sur la société. Au-delà du travail d'expertise, il faut communiquer et sensibiliser le grand public à travers les sollicitations médiatiques, toujours plus nombreuses. « C’est une vraie mission de participation au débat public », analyse Fabrice Pierre, « il faut expliquer le risque sans être inutilement anxiogène et c’est une occasion pour nous de présenter les nouvelles données de prévention ».

Octobre 2015 marque une étape décisive. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), classe la consommation de charcuteries en cancérigène et la viande rouge en probablement cancérigène pour l’humain. Cette date historique marque la reconnaissance des travaux menés par l’ensemble des chercheurs de l’équipe, depuis les années 90. « Denis Corpet a été sollicité pour être dans le groupe d’expert et l’OMS s’est appuyée entre autres sur les publications de l’équipe », témoigne Françoise Guéraud, responsable adjointe. La reconnaissance de ce travail d’expertise publique a ouvert des portes pour la suite des recherches. « Cela nous a confortés dans notre travail sur la prévention », confirme Fabrice Pierre.

Trouver des stratégies de prévention

Les recherches auraient pu prendre fin avec cette reconnaissance internationale, mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Les chercheurs s’interrogent sur « l’après ». Comment réduire le risque dans la population générale ?

Grâce au soutien d'INRAE, en particulier du département Alimentation humaine, les travaux de l’équipe ont montré que le fer héminique agit sur la cancérogenèse via l’oxydation des lipides et son interaction avec les nitrites. L’apport d’antioxydants dans l’alimentation serait donc bénéfique. Les recommandations nutritionnelles le précisent : réduire la consommation de viande rouge et charcuteries et/ou manger des fruits et légumes, riches en antioxydants, réduit le risque. « Ces recommandations sont claires, mais ne permettent pas de toucher tout le monde », constate Françoise Guéraud.

Le problème ? Les sociologues de l’alimentation le montrent : même connus, ces risques n’empêchent pas une partie importante des consommateurs de manger trop de viande rouge et de charcuteries. Alors quels leviers utiliser pour éviter les risques de cancer induits par une alimentation trop riche en fer héminique ou en nitrites ?

Il faut reformuler les produits mis sur le marché

L’équipe a misé sur le traitement du produit dès sa fabrication. « Nous apportons une réponse complémentaire. Il faut reformuler les produits mis sur le marché », explique Fabrice Pierre. « Par le biais de contrats spécifiques développés par INRAE avec le centre technique de la filière (Ifip) et en partenariat avec 22 industriels et le syndicat filière, nous recherchons des solutions applicables pour la fin 2022. » Les chercheurs de l’équipe PPCA, en association avec les chercheurs de l’unité Qualité des produits animaux du centre INRAE Clermont-Auvergne-Rhône-Alpes et de l’unité Sécurité et qualité des produits d'origine végétale du centre d’Avignon, travaillent avec les industriels pour trouver des solutions afin de faire évoluer les modes de fabrication. Ils misent sur l’ajout d’antioxydants tels que la vitamine E ou des extraits naturels qui limitent les effets délétères du fer héminique. Ces antioxydants associés ou non à des alternatives aux nitrites permettront de limiter le risque sans changer les habitudes alimentaires. Le prix, le visuel et le goût entrent également dans l’équation. Pour prendre en compte ces critères, l’équipe de Toulouse travaille en étroite synergie avec des chercheurs du département Économie et sciences sociales de l’Institut, du Centre du goût et de l’alimentation à Dijon, et du département ou le réseau Nacre (National alimentation cancer recherche). Enfin, des collaborations avec les chercheurs du département INRAE Physiologie animale et élevages mais aussi l’Ifip ou la société Valorex permettent de proposer de nouvelles stratégies de prévention basées sur l’enrichissement en antioxydants de la ration animale.

Une équipe unique pour une question unique

L’équipe profite de la diversité de ses compétences : physiologistes, biochimistes, vétérinaires, biologistes cellulaires ou chimistes analytiques… Chacun apporte sa pierre à l’édifice !

Tous s’accordent sur le plaisir de travailler ensemble dans l’objectif de protéger la population. « Je me sens utile », confie Nathalie Naud « et ce laurier récompense toute l’équipe, qu’on soit technicien, ingénieur ou chargé de recherche ! » Pour Fabrice Pierre, « c’est une grande fierté que cet axe de recherche sur le cancer soit reconnu au niveau de l’Institut ». Le Laurier « Impact de la recherche 2020 » ne peut pas mieux correspondre à cette équipe qui fait bouger les lignes, apportant, grâce à sa pluridisciplinarité et à la qualité de son expertise, une réponse pertinente à une question de santé publique.

*WCRF. Food, nutrition, physical activity, and the prevention of cancer: a global perspective. Washington DC: WCRF and American Institute for Cancer Research; 2007. p. 1537.

Les Lauriers 2020 

Charlotte Hénaff

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Françoise Guéraud, Fabrice PierreUMR Toxalim

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