Agroécologie 4 min

Le plan Ecophyto 2025 pour réduire l’usage des pesticides : les raisons d'espérer

Des agronomes et des sociologues d'INRAE ont analysé les plans Ecophyto 1 et 2 lancés par le gouvernement pour diminuer l’usage des pesticides en agriculture. Interview de Jean-Marc Meynard, un des auteurs de la publication.

Publié le 19 avril 2017

illustration Le plan Ecophyto 2025 pour réduire l’usage des pesticides : les raisons d'espérer
© INRAE, B. Cauvin

Alors que le plan gouvernemental Ecophyto 1 lancé en 2008 visait une réduction de l’utilisation de pesticides de 50% en 2018, force est de constater que l’objectif est loin d’être atteint. On a observé au contraire entre 2009 et 2013 une augmentation de 5% de la consommation nationale de pesticides, selon un des indicateurs retenus pour le suivi du plan (1). Fin 2015, le gouvernement a annoncé le plan Ecophyto 2 avec le même objectif de réduction des pesticides de 50%, mais à l’horizon 2025. Des agronomes et des sociologues de l’Inra se sont penchés sur les causes de l’échec d’Ecophyto 1, et les raisons d’espérer.

L’objectif de 50% de diminution de l’usage de pesticides est-il réaliste ?

Jean-Marc Meynard : Il n’y a pas d’obstacles d’ordre technique à la réalisation de cet objectif, mais il nécessite de changer profondément les systèmes de culture, en particulier en diversifiant les rotations et en introduisant de nouvelles cultures. Même s’il est sans doute peu réaliste à l’horizon 2025, cet objectif ambitieux affirme une volonté de « produire autrement ». Il encourage les pionniers qui expérimentent des systèmes de culture innovants et perfuse parmi les jeunes générations, plus sensibles aux impacts santé des pesticides. L’expertise de l’Inserm de 2013, qui établit les risques professionnels de l’exposition aux pesticides, avait été peu relayée à l’époque par la presse agricole, mais fait son chemin.

La prise de conscience des consommateurs est aussi un facteur clé qui peut se refléter dans leur comportement d’achat, en particulier avec moins d’exigence pour des fruits et légumes extérieurement parfaits, ce qui ne peut être obtenu qu’avec des pesticides.

Il ne faut pas minimiser l’ampleur des évolutions nécessaires, qui ne sont donc pas que techniques, mais aussi culturelles, cognitives ou sociales. Et ne concernent pas que les parcelles, mais aussi les territoires et les filières.

Pourquoi est-il si difficile de changer ?

J-M M. : En agriculture, comme dans d’autres secteurs, il existe des phénomènes dits de « verrouillage sociotechnique ». C’est à dire que tout le monde s’est organisé autour d’une technologie : les normes marchandes, les savoirs et savoir-faire, les réseaux d’acteurs sont configurés en fonction de cette technologie, à tel point que lorsqu’une technologie alternative arrive, même si elle est plus intéressante, elle trouve difficilement sa place. En grande culture par exemple, il y a eu depuis les années soixante une intensification et une spécialisation sur les espèces les plus rentables, blé, colza, maïs au détriment des autres espèces, et en particulier des légumineuses (luzerne, pois protéagineux …), avec un raccourcissement des rotations. Cette évolution favorise  les adventices et les pathogènes et accroît la dépendance aux pesticides. Les méthodes agronomiques de lutte contre les maladies et ravageurs, qui pourraient remplacer les pesticides, sont découragées par les filières, car elles obligeraient à modifier l’organisation des échanges, ou les process de transformation. Les semenciers investissent peu dans les espèces mineures. Ainsi, tous les acteurs des filières ont adapté leur stratégie à l’existence de la « solution pesticides » et la stratégie de chacun renforce celle des autres.

Comment font certains agriculteurs pionniers pour innover ?

J-M M. : Ces 5 à 10% d’agriculteurs pionniers ont un profil particulier : ils sont motivés par des convictions profondes, par le goût de l’expérimentation, et sont capables de résister à la pression ambiante. Ils peuvent assumer un champ de blé jaune en début de cycle (2) ou accepter de produire des fruits présentant quelques défauts. Ils passent aussi plus de temps à chercher des partenaires pour valoriser leurs cultures de diversification.

Pour « dévérouiller » le système, il faut une mobilisation simultanée et coordonnée de tous les acteurs des filières, et pas seulement des agriculteurs. Ca a été le cas par exemple pour le développement d’une culture de diversification, le lin oléagineux, dont les qualités nutritionnelles (rapport omega3/omega6) ont été suffisamment reconnues pour monter une filière de produits alimentaires (œufs, lait, viande) riches en omega 3, avec une alimentation des animaux basée sur les graines de lin (3).

Par contre, le pois protéagineux n’a pas pu s’imposer dans l’alimentation animale face à la concurrence des tourteaux de soja et de colza. Un mouvement se dessine cependant en faveur des légumineuses pour l’alimentation humaine (lentilles, haricot, …) depuis que le PNNS (4) les recommande pour leur taux intéressant de protéines, alors que jusqu’en 2016, ils étaient considérés comme des féculents !

La diversification des assolements, incontournable pour la réduction des pesticides, suppose la création de nouvelles filières, ce qui implique tous les acteurs : agriculteurs, transformateurs, distributeurs, consommateurs, semenciers…Et pour sortir des marchés de niche et changer d’échelle, le soutien de l’Etat et des régions est fondamental, en créant des signes de qualité par exemple, et en favorisant la coordination des acteurs. Pourquoi ne pas monter des pôles de compétitivité pour le pois, la lentille, le sarrasin, et pas seulement pour le blé ?

Enfin, la recherche et la formation sont aussi des leviers essentiels.

Comment améliorer le plan Ecophyto 2 pour plus d’efficacité ?

J-M M. : Nous avons analysé dans notre publication les modalités du plan Ecophyto 1, afin de tirer les leçons de son échec. Nous proposons d’infléchir les deux dispositifs phares du plan : le bulletin de santé du végétal (BSV) et le réseau de fermes DEPHY. Ce sont des aménagements à coût modique mais qui permettraient d’éviter les écueils du premier plan.

Le BSV est basé sur la surveillance d’un ensemble de parcelles « représentatives » (5) sur lesquelles la présence de maladies et de ravageurs est signalée en temps réel. Il doit ainsi éviter le traitement préventif systématique. Dans les faits, les messages d’alerte envoyés dès l’apparition de bioagresseurs inquiètent parfois plus les agriculteurs qu’ils ne les aident à raisonner. Nous proposons  de choisir le réseau de parcelles de manière à mettre en évidence les techniques agronomiques qui réduisent  les risques de bioagresseurs. Ainsi, on traiterait moins, et de plus, on gagnerait des connaissances pour développer une vraie culture diagnostique.

Quant au réseau DEPHY, il comprenait, lors de sa phase test, 178 fermes choisies pour leur engagement dans la réduction des pesticides. Bien caractériser ces fermes a permis de dégager les combinaisons de techniques permettant de faire face à un problème donné, par exemple, diminuer les herbicides ou juguler les pucerons. Le réseau comporte actuellement 1900 fermes, choisies sur la base du volontariat, dont un grand nombre ne sont pas particulièrement économes en pesticides. Beaucoup de temps et d’énergie sont consacrés à acquérir des données sur l’évolution de ces fermes, au détriment d’un travail d’analyse et de conception de systèmes réellement innovants. Le plan Ecophyto 2 prévoit d’élargir encore le réseau à 3000 fermes avec diffusion des pratiques de réduction des pesticides vers 30 000 fermes, mais l’exemple suffira-t-il à faire adopter ces pratiques ?

 

(1) NODU : nombre de doses unités (efficaces) de substance active. Il est calculé annuellement à partir des déclarations de vente de pesticides par les distributeurs. Comme l’IFT (indice de fréquence de traitement), il tient compte du niveau d’efficacité des différentes substances actives et permet de les sommer.

(2) En mettant moins d’azote, le champ de blé est moins vert, mais aussi moins sensible aux maladies.

(3) La filière BBC : Bleu-Blanc-Cœur de production de lin oléagineux est caractérisée par une contractualisation en cascade entre industriels, coopératives et agriculteurs. Ceux-ci sont donc encouragés à introduire cette culture dans leurs rotations par les acteurs de l’aval.

(4) PNNS : Programme national nutrition santé, lancé en 2001, ensemble de recommandations nutritionnelles déclinées en messages opérationnels largement diffusés.

(5) En réalité, ce sont souvent les parcelles les plus sensibles qui sont surveillées.

Jean-Marc Meynard est agronome, directeur de recherche à INRAE, spécialiste de la conception de systèmes de culture innovants, de l'échelle de la parcelle à celle du paysage.

 

Référence : Laurence Guichard, François Dedieu, Marie-Hélène Jeuffroy, Jean-Marc Meynard, Raymond Reau et Isabelle Savini. 2017. Le plan Ecophyto de réduction d’usage des pesticides en France : décryptage d’un échec et raisons d’espérer. Cah. Agric. 26, 14002. DOI: 10.1051/cagri/2017004

 

 

Pascale MollierRédactrice

Contacts

Jean-Marc Meynard UMR1048 SADAPT Sciences pour l'Action et le Développement : Activités, Produits, Territoires

Laurence Guichard UMR0211 UMR Agronomie

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