Alimentation, santé globale 5 min

Le petit-déjeuner, rythme des repas et classes sociales

Le petit déjeuner : que nous le prenions ou non, nous sommes convaincus que c’est par goût personnel, voire parce que notre corps l’exige ! Deux chercheuses en sociologie ont analysé les pratiques des classes populaires en matière de rythme alimentaire. Elles ont ainsi montré que manger et faire manger à ses enfants un petit-déjeuner permet de s’inscrire dans les rythmes sociaux de toute la société et de faire la preuve de sa respectabilité, un élément constitutif du statut social dans les classes populaires.

Publié le 07 mai 2017

illustration Le petit-déjeuner, rythme des repas et classes sociales
© INRAE

Le rythme alimentaire des Français, ce sont trois repas quotidiens : petit-déjeuner, déjeuner, dîner. En partantdu repas le moins solidement ancré dans les habitudes alimentaires, le petit-déjeuner, des chercheuses en sociologie de l’Inra et de l’Université Lyon 2, ont analysé les enjeux d’intégration et de distinction sociale que recèlent les pratiques alimentaires qui l’entourent. Comment ces pratiques alimentaires s’acquièrent-elles ? Comment se transmettent-elles de génération en génération ?

Le petit-déjeuner des enfants, un enjeu d’intégration sociale

Le fait que les enfants doivent déjeuner le matin s’impose comme une évidence aux parents enquêtés. Cette norme, largement diffusée par les politiques publiques et le marketing des produits alimentaires, ils l’ont d’abord reçue dans leur enfance par leurs propres parents, l’expérience familiale constituant une source de référence aussi importante que le savoir porté par les professionnels.
Si elle satisfait d’abord un besoin physiologique, cette norme vise également à inculquer un rythme quotidien aux enfants et à inscrire ce repas dans un temps collectif. Ces objectifs ne sont pas spécifiques aux classes populaires, mais pour ces populations l’inculcation du petit-déjeuner devient un enjeu d’intégration sociale, une manière de prouver que l’on s’inscrit dans le temps collectif et donc dans la société toute entière.
L’organisation du petit-déjeuner des enfants est largement prise en charge par les mères qui s’organisent au mieux pour donner elles-mêmes ou faire donner par des proches le petit-déjeuner aux enfants les plus jeunes.
Au quotidien, les parents sont par ailleurs fréquemment interpellés et jugés, notamment par les institutions éducatives que sont la crèche ou l’école, à travers le rythme alimentaire incorporé par leur enfant. Au-delà de la santé de leur enfant, les institutions renvoient ainsi les parents (et en particulier les mères) à leurs responsabilités éducatives. Or pour les femmes des classes populaires qui peuvent rarement se flatter d’une belle carrière professionnelle, être un « bon parent » est une source importante de reconnaissance sociale.

Le petit-déjeuner des adultes, statut social et trajectoire

Les adultes enquêtés déjeunent moins que leurs enfants. D’une manière plus générale, les adultes des
classes populaires sont moins nombreux que les membres des classes moyennes et supérieures à prendre
un petit-déjeuner. Ne pas déjeuner le matin est lié aux conditions d’existence plus contraintes des classes populaires – en particulier les horaires de travail que les ressources pécuniaires d’un foyer modeste ne permettent pas de contourner.
Les rythmes alimentaires ne sont toutefois pas figés. Ainsi, certains enquêtés se sont parfois réapproprié le petit-déjeuner à l’âge adulte, ils sont sur des trajectoires d’ascension sociale qui les rapprochent des classes moyennes.
Cette enquête montre que l’importance que les parents accordent au petit-déjeuner, par-delà les gestes réguliers et répétitifs du matin, révèle des enjeux de classe forts, qui visent essentiellement à maintenir leur statut social à la faveur d’un travail sur soi et malgré des contraintes matérielles indéniables. Elle suggère par ailleurs que si le message porté par les politiques publiques et le marketing alimentaire est si bien perçu, c’est non seulement parce qu’il permet de satisfaire un besoin physiologique mais plus encore parce qu’il fait sens par rapport à un ensemble de convictions inculquées dans l’enfance et véhiculées par la famille.

 

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

Contacts

Marie Plessz Centre Maurice Halbwachs (CNRS, ENS, EHESS, INRAE)

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