Biodiversité Temps de lecture 2 min
Le metabarcoding ADN sur insectes pour évaluer l’état de santé des forêts
COMMUNIQUÉ DE PRESSE - Comment mesurer l’impact du dépérissement forestier provoqué par les changements globaux sur la biodiversité ? Pour la première fois, une équipe internationale de recherche impliquant des scientifiques d’INRAE, du CNRS et de l’université de Tours, a analysé la diversité des communautés d’insectes qui représentent 60 % de la biodiversité forestière, grâce à la technique du metabarcoding ADN. Cette méthode permet l’analyse globale d’échantillons prélevés dans l’environnement, ici appliquée à plus de 200 échantillons d’insectes issus des sapinières des Pyrénées. Leurs résultats, publiés le 18 janvier dans Communications Biology, montrent que le dépérissement des sapinières provoque de forts changements dans la composition des communautés d’insectes et pourrait avoir un impact sur des services écosystémiques comme la pollinisation ou la décomposition. L’étude montre également que le metabarcoding ADN pourrait à l’avenir être utilisé par les gestionnaires forestiers pour le suivi de la biodiversité et l’adaptation de leur méthode de gestion.
Publié le 18 janvier 2022

Photo : Piège pour capturer des insectes dans une parcelle expérimentale à haut niveau de dépérissement forestier dans le Pays de Sault, Pyrénées françaises.
Les changements globaux affectent profondément les écosystèmes forestiers. Les sécheresses, combinées aux températures élevées et aux attaques des pathogènes ainsi que de certains insectes, entrainent une mortalité accrue de certaines espèces d’arbres clés de voutes des forêts d’Europe comme le sapin pectiné. La diversité en espèces, l'abondance et la biomasse des insectes, qui représentent 60 % de la biodiversité forestière, ont ainsi connu récemment un déclin marqué dans les forêts européennes. Jusqu’à présent, le suivi de la biodiversité forestière ne considérait qu’un nombre réduit d’espèces bioindicatrices1 et reposait sur des méthodes d’échantillonnages longues et coûteuses. Or la prise en compte de groupes hyper-diversifiés, comme certains groupes d’insectes, est indispensable pour avoir une meilleure indication de la santé des écosystèmes forestiers. C’est maintenant possible grâce au développement de nouvelles techniques d’analyse moléculaire comme le metabarcoding ADN : cette méthode innovante permet à la fois d’identifier rapidement les différents ADN présents dans un échantillon prélevé dans l’environnement, de connaître le nombre d’espèces présentes et d’en identifier la plupart grâce aux bases de données des codes-barres ADN de référence.
Près de 3 000 espèces d’insectes passées au crible du metabarcoding ADN
L’équipe a mené une étude sur 56 sapinières gérées dans les Pyrénées françaises qui souffraient d’un indice de dépérissement plus ou moins fort, conséquence des canicules répétées depuis 2003. Plus de 200 échantillons d’insectes furent collectés grâce à des pièges passifs au cours d’une année. Grâce à l’analyse metabarcoding ADN, les chercheurs ont pu identifier près de 3 000 espèces d’insectes dans les échantillons. Leurs résultats montrent que si le dépérissement des forêts n’affecte pas le nombre d’espèces présentes, la composition des échantillons est très différente entre les sapinières souffrant d’un fort dépérissement et celles ne présentant pas ou peu de dépérissement. En particulier, les assemblages d’espèces de deux groupes écologiquement très importants, les diptères (mouches, syrphes, moustiques, taons, moucherons) et les hyménoptères (guêpes, abeilles, fourmis, parasitoïdes et frelons) sont très marqués par des niveaux élevés de dépérissement. Cela peut ainsi induire des conséquences sur certaines fonctions écologiques essentielles comme la pollinisation, la décomposition, ou la régulation des populations d’arthropodes2.
Si le dépérissement se généralise au point d’impacter la totalité des sapinières, il pourrait augmenter le risque de perte d'espèces rares par l'homogénéisation des paysages. En revanche, la pratique de coupes sanitaires des sapins dépérissants, comme réalisées dans les Pyrénées ne semble pas avoir d’impact significatif ni sur la richesse spécifique ni sur la composition des communautés d’insectes. Cependant, il apparait essentiel de préserver certaines caractéristiques environnementales qui favorisent la biodiversité à différentes échelles. L’altitude et l’ouverture de la canopée sont les principaux facteurs régissant les changements de communautés d’insectes à l’échelle locale. La quantité de bois mort disponible ainsi que la diversité et la densité en dendromicrohabitats (ex : cavités d’arbres, écorces arrachées, etc.), pouvant abriter certaines espèces d’insectes très spécialisées, sont les déterminants environnementaux majeurs à des échelles spatiales plus larges pour préserver la diversité des communautés d’insectes.
Cette étude montre que le dépérissement forestier affecte significativement la composition des communautés d’insectes forestiers et les fonctions écologiques qui en résultent. Plus largement, elle a démontré la faisabilité d’utiliser le metabarcoding ADN pour le suivi de la biodiversité forestière, notamment pour évaluer l’impact des changements globaux et la capacité de résilience des forêts.
1 Bioindicateur : organisme ou groupe d’organismes dont la présence ou l’état renseigne sur certaines caractéristiques écologiques d’un écosystème et donne des informations sur l’incidence de modifications environnementales (ex : épisode de sécheresse, pollution…).
2 Invertébrés au corps formé de segments articulés dont font partie les crustacés, les insectes, les arachnides…
Référence
Sire L., Schmidt Yáñez P., Cai W. et al. (2022). Climate-induced forest dieback drives compositional changes in insect communities that are more pronounced for rare species. Communications Biology, 5 Article number: 57 (2022). DOI : https://doi.org/10.1038/s42003-021-02968-4
Étude réalisée dans le cadre du projet ANR CLIMTREE