Mesurer l’invisible pour anticiper les risques liés aux glaciers : la mission de Mylène Bonnefoy-Demongeot

Mylène Bonnefoy-Demongeot, glaciologue et cartographe à l’Institut des géosciences de l’environnement, observe, mesure et documente les glaciers depuis presque dix ans pour mieux comprendre leurs évolutions face au changement climatique. Depuis les hauteurs du glacier Blanc jusqu’aux laboratoires de Grenoble, elle participe activement à la surveillance de ces milieux sensibles avec un objectif : anticiper les risques naturels liés à l’eau en montagne – crues glaciaires, poches d’eau, avalanches – et apporter des outils concrets aux collectivités locales.

Publié le 24 juillet 2025

© NICOLAS Bertrand / INRAE

Comprendre les glaciers pour prévenir les risques

Quand je dis qu’on connaît presque chaque caillou par cœur, c’est pour dire qu’on y retourne chaque saison, chaque année, toujours au même endroit, pour observer, comparer, documenter, etc. C’est un investissement sur le long terme.

Chaque année, Mylène Bonnefoy-Demongeot et son équipe remontent vers le glacier Blanc, à pied, skis ou crampons aux pieds selon la saison. À 3 heures de route de Grenoble, puis 1 300 mètres de dénivelé jusqu’au refuge des Écrins, le terrain impose son tempo. Et la météo aussi : les campagnes de mesures se déroulent entre le printemps et l’automne, parfois en une mission de 4 à 5 jours, parfois en plusieurs allers-retours selon les conditions.
Les Alpes se transforment à vue d’œil. Année après année, les glaciers fondent, les milieux se déstabilisent, et de nouveaux risques émergent. Ces transformations impactent directement les territoires de montagne : crues soudaines, effondrements, poches d’eau invisibles sous la glace, etc. Face à ces bouleversements, la recherche joue un rôle d’alerte et d’anticipation.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le travail de Mylène Bonnefoy-Demongeot. En lien avec les collectivités et les acteurs publics, elle participe à une surveillance fine des glaciers. Son objectif : mieux comprendre les mécanismes de fonte, suivre l’évolution de l’eau stockée dans la glace, et prévenir les risques naturels liés au réchauffement climatique.
Au fil des années, Mylène Bonnefoy-Demongeot a développé une relation intime avec son terrain d’étude : le glacier Blanc. Pour elle, la recherche n’est pas une suite de protocoles abstraits, mais une présence continue sur le terrain, un engagement patient au service de la connaissance.

La barre des Ecrins vue depuis le Glacier Blanc le mardi 20 août 2024
La barre des Ecrins vue depuis le Glacier Blanc.


Mesurer l’invisible pour anticiper les risques et protéger les territoires  


 

Installation de balises sur le glacier Blanc pour mesurer dans le temps la fonte et le déplacement du glacier.
Mission d'une équipe de l'Institut des géosciences et de l'environnement) pour l'installation de balises sur le glacier Blanc. Le but est de mesurer dans le temps la fonte et le déplacement du glacier.

Glaciologue à l’IGE (CNRS, INRAE, IRD, UGA, Grenoble INP), Mylène Bonnefoy-Demongeot observe les glaciers alpins au fil des saisons. Son terrain de recherche ? Le glacier Blanc, dans les Hautes-Alpes, qu’elle sillonne chaque année, à pied, en équipe, avec des capteurs pour faire des mesures, et beaucoup de patience.
Parmi les risques qu’elle étudie : les poches d’eau intraglaciaires. Invisibles à l’œil nu, ces cavités d’eau piégées sous la glace peuvent, si elles cèdent brutalement, provoquer des crues soudaines et dévastatrices. Pour prévenir ces risques, Mylène et son équipe mobilisent des outils de haute précision, parfois mis en œuvre pour la première fois dans ce genre de thématiques. Exemple emblématique : une technologie de résonance magnétique initialement développée pour détecter les aquifères dans les bassins versants africains, adaptée ici pour mesurer le volume d’eau caché dans la glace. 

Et c'est vrai qu'on a cette richesse-là dans le milieu scientifique, c'est d'avoir tout un panel de personnes qui travaillent sur des thématiques différentes et avec des compétences très pointues.

Au-delà des outils scientifiques, Mylène Bonnefoy-Demongeot souligne l’importance de la coordination interdisciplinaire. Suite à la catastrophe de la Bérarde en juin 2024, plusieurs laboratoires grenoblois se sont ainsi mobilisés au côté du service de restauration des terrains en montagne (ONF), pour produire, en quelques mois, une expertise collective à destination des pouvoirs publics. Une réponse rapide, concrète, fondée sur la complémentarité des savoirs. 
Elle insiste aussi sur la proximité avec les acteurs publics, notamment le service RTM de l’ONF qui relaie les besoins des élus locaux. C’est cette articulation entre recherche, ancrage territorial et gestion de crise qui structure son travail au quotidien.
Cette logique de collaboration se double d’une vigilance sur l’impact environnemental des pratiques de recherche.


Une science en appui à la sécurité des territoires

Le grand public ne le perçoit pas toujours mais, derrière chaque décision politique en lien avec les risques climatiques, il y a souvent des années d’observation et de recherche. Mylène Bonnefoy-Demongeot en est un maillon. Son travail contribue aux recommandations du GIEC et nourrit les réflexions sur la prévention des risques en montagne. Grâce à la surveillance des glaciers et à l’anticipation des poches d’eau intraglaciaires, elle aide à éviter de nouvelles catastrophes comme celle du glacier de Tête Rousse en 1892, dont la rupture avait provoqué une crue meurtrière.

Ce ne sera pas forcément visible du grand public mais il y a tout un travail en amont qui permet d'apporter notre contribution à une gestion du territoire en faveur de la sécurité des personnes, etc. C'est un travail un peu dans l'ombre. 


Une relation avec les milieux de montagne

Ce qui motive profondément Mylène Bonnefoy-Demongeot, c’est sa connexion intime avec les milieux qu’elle étudie. Native de la montagne, elle a grandi skis aux pieds, la neige comme terrain familier. Cette proximité sensible devient un moteur puissant pour sa recherche.
Ce respect profond de la nature se traduit aussi dans sa volonté de transmettre. À travers des publications accessibles sur les sites du Parc national des Écrins ou du World Glacier Monitoring Service, ses données alimentent des ressources ouvertes. Mais Mylène insiste : le travail scientifique ne s’arrête pas aux chiffres. 
Son métier a évolué avec les années, de la neige vers les glaciers, de la mesure de terrain vers l’analyse et la coordination. Mais l’essentiel reste : porter une recherche utile, adaptée à chaque site.
« C’est important d’essayer de comprendre l’environnement dans lequel on vit, de s’en approprier les codes, de savoir comment ça fonctionne…et d’en profiter dans le bon sens, tout en y laissant le moins d’impact possible. »

Ce portrait fait partie d’une série réalisée par Otar Dalakishvili lors de son stage de 2nde année de master Information communication publique et médias (Université Grenoble Alpes) . L’objectif est de rendre accessibles les recherches scientifiques au grand public et aux médias, à travers une mise en lumière humaine et vulgarisée de celles et ceux qui font vivre la science au quotidien.

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