Agroécologie 5 min

L’exposition préalable à une dose sublétale d’insecticide permet aux blattes de se protéger d’un traitement ultérieur à cet insecticide

La lutte contre les insectes, qu’ils soient des ravageurs des cultures ou des parasites pour l’homme, les animaux domestiques ou de compagnie, est rendue difficile par le développement de résistances aux insecticides. Durant de nombreuses années, les scientifiques ont étudié les mécanismes impliqués dans la résistance des insectes exposés à une dose importante d’insecticides. Le laboratoire angevin "Signalisation Fonctionnelle des Canaux Ioniques et Récepteurs" (SiFCIR, Université d’Angers, USC INRAE) en partenariat avec l’Unité INRAE, Plantes et Systèmes de culture Horticoles (PSH) s’est intéressé à l’exposition des insectes à une dose sublétale d’insecticide et a ainsi pu mettre en évidence un mécanisme original impliqué dans la diminution de la sensibilité des blattes à un traitement insecticide.

Publié le 12 janvier 2023

illustration L’exposition préalable à une dose sublétale d’insecticide permet aux blattes de se protéger d’un traitement ultérieur à cet insecticide
© INRAE

Un des défis de l’agriculture contemporaine est de fournir suffisamment de ressources alimentaires de qualité à un coût raisonnable à une population mondiale croissante tout en réduisant l’impact environnemental des pratiques agricoles. Etant donné que les insectes ravageurs de culture sont responsables d’une perte significative de la production agricole1, les insecticides sont utilisés pour protéger les cultures et augmenter les rendements. Cependant, l’utilisation de ces produits chimiques a conduit entre autres à l’apparition d’insectes résistants aux insecticides2. Les mécanismes utilisés par les insectes pour développer ces résistances sont étudiés depuis de nombreuses années. En effet, de nombreuses études ont montré que ces résistances pouvaient être dues par exemple à des mutations génétiques ou à un système de détoxication plus efficace3. L’étude des mécanismes impliqués dans l’émergence de ces résistances est généralement basée sur l’utilisation de doses importantes d’insecticides.

Les doses sublétales d’insecticide sont-elles sans effet ?

Ces dernières années, les scientifiques se sont intéressés à l’impact de doses plus faibles d’insecticides sur les insectes. Ces doses d’insecticides sont dites sublétales car elles n’entraînent pas de mortalité chez l’insecte. Après un traitement, un insecticide peut se disperser dans l’environnement par le vent ou l’eau et/ou se dégrader au cours du temps. Ainsi, les insectes peuvent être exposés à de faibles doses d’insecticides n’entrainant pas leur mort. Mais est-ce qu’une dose d’insecticide qui n’entraîne pas la mort de l’insecte est sans effet sur ce dernier ? Différentes études ont montré que cette exposition peut induire divers effets physiologiques chez l’insecte comme augmenter leur reproduction ou raccourcir leur cycle de développement4. Dans l’étude présentée ici5, les scientifiques ont souhaité savoir si ce type d’exposition modifiait la sensibilité de l’insecte à un insecticide et par quels mécanismes.

Figure : les blattes préalablement exposées à une dose sublétale d’imidaclopride pendant 30 jours (3) diminuent l’expression de la sous-unité a2 de leurs récepteurs nicotiniques les rendant moins sensibles à l’insecticide lors d’une exposition ultérieure à forte dose comparées aux blattes non préalablement exposées (1). Le même effet est obtenu sur des blattes non préalablement exposées à la dose sublétale d’imidaclopride chez lesquelles l’expression de la sous-unité a2 des récepteurs nicotiniques a été diminuée en utilisant des ARN double brins (dsRNA a2) (2) suggérant l’implication de ce gène dans ce mécanisme. Modifié d’après Bantz et al, 2022.

Etre exposée préalablement à une dose sublétale d’insecticide peut permettre à la blatte de s’adapter à une exposition ultérieure à une dose normalement létale

Bien qu’il ait été montré chez certains insectes, notamment chez l’abeille Apis mellifera, des effets délétères d’une exposition à une dose sublétale d’insecticide6, cette exposition peut parfois s’avérer bénéfique pour certains insectes. En effet, lorsque des blattes Periplaneta americana sont préalablement exposées pendant 30 jours à une dose sublétale d’imidaclopride, un insecticide néonicotinoïde, elles deviennent moins sensibles à cet insecticide et cet effet persiste au moins 30 jours après l’exposition. La cible moléculaire de l’imidaclopride au niveau des neurones est le récepteur nicotinique. La blatte exposée pendant 30 jours à l’imidaclopride va modifier l’expression de ces récepteurs. Ainsi, les modifications cellulaires et physiologiques induites par l’exposition des blattes à une dose sublétale d’imidaclopride leur permettraient de s’adapter à leur environnement ce qui a pour conséquence de les rendre moins sensibles à un éventuel traitement ultérieur.

Ces résultats illustrent qu’accroître nos connaissances sur les modifications cellulaires et physiologiques induites par l’exposition des insectes à une dose sublétale d’insecticide est nécessaire pour développer une stratégie de gestion durable contre les insectes résistants aux insecticides. D’une manière générale, l’environnement dans lequel les insectes évoluent et où ils peuvent se retrouver exposés à de nombreux insecticides en quantité sublétale doit également être pris en considération dans les stratégies de gestion des insectes.

Références
1. Oerke, E.-C. (2006). J. Agric. Sci. 144, 31–43.
2. Sparks, T. C.
et al. (2021). Pest Manag Sci 77, 2609–2619.3.
3. Ffrench-Constant, R. H. (2013). Genetics 194, 807-815.
4. Bantz, A. et al. (2018). Current Opinion in Insect Science 30, 73–78.
5. Bantz, A. et al. (2022). Pesticide Biochemistry and Physiology 181, 105014.
6. Catae, A. F. et al. (2018) Ecotoxicology 27, 109-121.

PARTENAIRES SCIENTIFIQUES : Myriam Siegwart & Sandrine Maugin - INRAE, UR 1115 Plantes et Systèmes de culture Horticoles (PSH), Avignon, France

FINANCEMENT : INRAE, Région Pays de la Loire, RFI Objectif Végétal

PUBLICATIONS ASSOCIEES 
Bantz A, Camon J, Froger JA, Goven D, Raymond V. (2018). Exposure to sublethal doses of insecticide and their effects on insects at cellular and physiological levels. Curr Opin Insect Sci. 30:73-78.
https://doi:10.1016/j.cois.2018.09.008.

Bantz A, Goven D, Siegwart M, Maugin S, Raymond V. (2022). Exposure to a sublethal dose of imidacloprid induces cellular and physiological changes in Periplaneta americana: Involvement of α2 nicotinic acetylcholine subunit in imidacloprid sensitivity. Pestic Biochem Physiol. 181:105014. https://doi.org/10.1016/j.pestbp.2021.105014.

Service communication INRAE Pays de la Loire Commmunication INRAE Pays de la Loire

Contacts scientifiques

Valérie RAYMOND SIFCIR (USC INRAE Université d'Angers)

Delphine GOVEN SIFCIR (USC INRAE Université d'Angers)

Le centre

Le département

En savoir plus

Alimentation, santé globale

La chlordécone, un poison pour longtemps

La chlordécone, un insecticide utilisé massivement en Guadeloupe et Martinique jusqu’en 1993, pour lutter contre le charançon du bananier, a contaminé les sols, les eaux souterraines, les rivières et le littoral marin. Aujourd'hui encore les animaux d'élevage sont contaminés via leur alimentation (fourrage, sol) et peuvent ainsi entraîner des risques de contamination chez l'Homme.

01 juillet 2020

Biodiversité

Des solutions alternatives aux néonicotinoïdes

Les produits insecticides à base de néonicotinoïdes, utilisés pour la protection des plantes, sont de plus en plus pointés du doigt pour des problèmes de sécurité environnementale, alimentaire et sanitaire. Un groupe de travail de l’Anses, dont certains chercheurs de l’Inra ont fait partie, publient dans la revue scientifique Environment International une liste de solutions pouvant remplacer l’utilisation de néonicotinoïdes.

19 août 2020

Biodiversité

Néonicotinoïdes : malgré le moratoire de l'UE, un risque persiste pour les abeilles

COMMUNIQUE DE PRESSE - Depuis 2013, un moratoire de l’Union européenne (UE) impose des restrictions à l’usage de trois néonicotinoïdes jugés nocifs pour les abeilles dans les cultures prisées de ces insectes. Cependant, des chercheurs du CNRS, de l’Inra et de l’Institut de l’abeille (ITSAP) viennent de montrer que des résidus de ces insecticides, notamment l’imidaclopride, restent détectables dans le nectar de colza de 48 % des parcelles étudiées, avec d’importantes variations selon les années. L’évaluation du risque pour les abeilles, basée sur les modèles et paramètres des agences sanitaires, a montré que 3 années sur 5, jusqu’à 12 % des parcelles présentaient une contamination pouvant entrainer la mort de 50 % des abeilles et bourdons les visitant. Ces travaux sont publiés en ligne le 28 novembre 2019 sur le site de Science of the Total Environment.

18 décembre 2019