Agroécologie 3 min

Des lâchers de Ganaspis cf. brasiliensis pour sauver la cerise

Une équipe de recherche INRAE de l’Institut Sophia Agrobiotech a procédé, à la fin de l’été et sur plusieurs sites en France, aux lâchers de Ganaspis cf. brasiliensis, une guêpe parasitoïde exotique, afin de réduire efficacement et durablement les populations de la mouche Drosophila suzukii qui provoque de sérieux dégâts en culture de petits fruits rouges, et en particulier dans les cerisiers.

Publié le 20 octobre 2023

illustration Des lâchers de Ganaspis cf. brasiliensis pour sauver la cerise
© INRAE

Ganaspis cf. brasiliensis G1, de l’étude à l’introduction

La drosophile à ailes tachetées, Drosophila suzukii, originaire d’Asie et présente en Europe et en Amérique depuis 2008, provoque des pertes considérables dans les cultures de petits fruits (cerise, fraise, framboise, myrtille, prune...). Du fait de son développement rapide et de sa forte capacité de reproduction, cette mouche représente un véritable fléau incontrôlable pour les arboriculteurs qui sont amenés à utiliser entre autres des pesticides comme moyen de lutte. Devant les difficultés de gestion, les effets délétères des pesticides et le retrait de nombreuses matières actives, il existe une urgence à identifier des méthodes alternatives pour lutter contre ce ravageur.

Dans le cadre de différents projets de recherche (CASDAR « Drosophila suzukii », FP7 KBBE DROPSA, CASDAR DS2), l’équipe Recherche et Développement en Lutte Biologique (RDLB) de l’Institut Sophia Agrobiotech d’INRAE, en collaboration avec de nombreux partenaires nationaux et internationaux, s’est intéressée de près à des parasitoïdes larvaires exotiques, parmi lesquels Ganaspis cf. brasiliensis, afin de développer une lutte biologique par acclimatation, durable et respectueuse de l’environnement.

Les différentes études menées en laboratoire sur G. cf. brasiliensis G1 ont montré une forte spécificité vis-à-vis de D. suzukii. La souche G1 de G. cf. brasiliensis présente en effet une spécialisation marquée pour la niche écologique de D. suzukii, seule espèce de drosophiles en France et en Europe à se développer sur des fruits en cours de maturation. Le risque très limité sur les communautés indigènes a été confirmé par des expérimentations de choix en conditions semi-naturelles qui ont établi que la souche G1 était très spécifique de D. suzukii

Au vu des résultats prometteurs de ces études, l’équipe RDLB a déposé une demande d’introduction dans l’environnement auprès des autorités compétentes en 2021 et a obtenu l’autorisation d’introductions de G. cf. brasiliensis G1 en 2022 (Arrêté du 17 août 2022 du Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire et du ministère de la Transition Ecologique). 

Des résultats observables à moyen terme

L’équipe RDLB a prévu, dans le cadre du projet Ecophyto SUZoCARPO (2023-2025), d’effectuer une dizaine de lâchers de G. cf. brasiliensis G1 en 2023 et 2024. Cette année, cinq lâchers ont eu lieu en septembre dans trois régions différentes. Un lâcher dans le Sud-Ouest sur le site de Toulenne en collaboration avec l’unité expérimentale arboricole et l’unité Biologie du Fruit et Pathologie d’INRAE. Deux lâchers dans le Vaucluse en partenariat avec le CTIFL et le GRCETA Basse-Durance en lien avec des producteurs locaux. Et enfin, deux lâchers en Alsace en partenariat avec la FREDON Grand-Est.

Comme l’indique Nicolas Borowiec, ingénieur d’étude INRAE dans l’équipe RDLB « l’idée est de cibler des bassins différents dans des conditions différentes. Nous avons choisi des sites de production de petits fruits (cerise) sur lesquels existent des zones refuges diversifiées (haies, bosquets, forêts…) où des plantes hôtes de D. suzukii sont présentes. En effet D. suzukii se développe sur de très nombreuses plantes-hôtes, la plupart sauvages. Ces réservoirs sont d’ailleurs une des causes de la difficulté à gérer ce ravageur dans les zones cultivées ». Après avoir augmenté la production de la guêpe parasitoïde au laboratoire, c’est donc 700 femelles (et 350 mâles) qui ont été introduites au total en 2023, avec des modalités différentes d’introduction (100 ou 200 femelles par site). 

Nicolas Borowiec souligne que « l’objectif principal est de diminuer les populations de D. suzukii à l’échelle du paysage, et notamment dans les réservoirs où elle est particulièrement présente. La dispersion de G. cf. brasiliensis G1 se fera par ces réservoirs naturels ». C’est d’ailleurs pour cela que les lâchers ont été effectués dans ces zones refuges, d’où le parasitoïde pourra ensuite coloniser les zones cultivées adjacentes. Il précise également que « l’efficacité de ces lâchers ne pourra être visible que d’ici quelques années et que des suivis post-introduction de cinq ans au minimum sont nécessaires sur ce genre d’opération ».

L’année prochaine, au printemps, les membres de l’équipe RDLB retourneront sur les cinq sites pour effectuer les suivis auprès des cerisiers et des autres plantes sauvages. Ils récolteront des fruits pour constater, ou non, si G. cf. brasiliensis G1 s’est bien acclimaté. « Nous n’excluons pas en 2024 de renforcer les populations sur les sites où nous avons déjà procédé à des lâchers mais aussi d’effectuer de nouveaux lâchers » indique Nicolas Borowiec. 

Un projet de recherche sous contraintes

Nicolas Borowiec précise également qu’en amont des lâchers, il y a eu un travail colossal de réalisé par l’équipe RDLB et ses partenaires : « G. cf. brasiliensis G1 est arrivé dans notre labo en 2015 et l’autorisation de lâcher n’a été donnée qu’en 2022. Pendant sept ans, il y a eu beaucoup de travail de caractérisation sur cette guêpe parasitoïde ». L’élevage de G. cf. brasiliensis G1 est une contrainte forte car il prend beaucoup de temps du fait qu’il n’existe pas de milieu artificiel pour son élevage. De plus, un délai de quatre à six semaines est nécessaire entre le moment où la femelle parasitoïde pond et le moment où les adultes émergent, ce qui est assez long comparé à d’autres parasitoïdes. La planification des lâchers doit donc se faire plusieurs mois à l’avance pour disposer de suffisamment de matériel. L’équipe RDLD étudie parallèlement de nouvelles techniques d’élevage pour améliorer la production de G. cf. brasiliensis G1.

Malgré les attentes de la filière cerise pour trouver des solutions efficaces et durables contre ce ravageur, l’équipe RDLB s’avère être assez isolée à ce jour pour mettre en œuvre ces opérations de lutte biologique par acclimatation, en particulier pendant la phase d’évaluation sur le terrain (production d’insectes, lâchers et suivis post-introduction). Une fois cette dernière terminée, le passage à la phase de déploiement représente un autre challenge. L’émergence d’acteurs choisissant de se lancer dans leurs propres élevages pour répondre aux besoins de leurs collectifs d’agriculteurs en matière d’insectes auxiliaires pourrait -être une opportunité pour l’équipe. Développer avec eux la lutte biologique par acclimatation permettrait de passer à la vitesse supérieure pour le déploiement de cette méthode de biocontrôle en France. Ces stratégies restent néanmoins coûteuses et demandent des investissements significatifs encore trop peu disponibles actuellement pour des déploiements à large échelle. 

DATES CLÉS

  • 2009 : Premières détections de D. suzukii en 2009 près de Montpellier et dans les Alpes-Maritimes, puis signalements dans de nombreuses régions à partir de 2010.
  • 2010 : Premiers dégâts signalés en 2010-2011 sur cerises, fraises, framboises (Corse, PACA).
  • 2013 : Plusieurs projets au sein de l’Institut Sophia Agrobiotech (INRAE) :
    Projet CASDAR "D. suzukii" (2013-2016) porté par le CTIFL. 
    Projet européen DROPSA (2013-2016) avec des prospections en Asie et évaluations au laboratoire.
  • 2015-2016 : Prospections réalisées en Chine et au Japon. Les premiers parasitoïdes sont ramenés et placés en quarantaine à l’Institut Sophia Agrobiotech.
  • 2017 : Premières études menées en laboratoire à l’Institut Sophia Agrobiotech sur G. cf. brasiliensis (tests de spécificité notamment).
  • 2019 : Démarrage du projet CASDAR DS2 (2019-2022), porté par le CTIFL : fin des évaluations au laboratoire, mise en place d’expérimentations en serre S2 et dépôt du dossier de demande d’introduction dans l’environnement.
  • 2020 : Identification et caractérisation de G. cf. brasiliensis G1 avec la publication d’un article du Centre for Agricultural Bioscience International (Seehausen et al. 2020).
  • 2021 : Demande d’introduction de G. cf. brasiliensis G1 au MASA (DGAL) et à l’Anses le 27 juillet 2021.
  • 2022 : Avis favorable d’introduction de G. cf. brasiliensis G1 de l’Anses le 1er mars 2022, et arrêté publié le 17 août 2022.
  • 2023 : Cinq premiers lâchers de G. cf. brasiliensis G1 réalisés entre le 6 septembre et le 3 octobre 2023.

 

Arnaud RidelRédacteurDépartement Santé des Plantes et Environnement

Contacts

Nicolas Borowiec IngénieurInstitut Sophia Agrobiotech

Le centre

Le département

En savoir plus

Agroécologie

Cydia pomonella et Drosophila suzukii, deux ravageurs dans le collimateur de SUZoCARPO

Lauréat de l’appel à projets national Ecophyto, le projet SUZoCARPO vise à acclimater des parasitoïdes exotiques afin de lutter contre les insectes ravageurs Drosophila suzukii et Cydia pomonella. Pour mener à bien ce projet, l’équipe de recherche et développement en lutte biologique de l’Institut Sophia Agrobiotech a recruté une jeune technicienne, Mélanie Huguet, qui a pour mission d’élever ravageurs et parasitoïdes afin de développer sur le terrain une lutte biologique efficace et durable. Celle-ci permettra de diminuer les densités de ravageurs tout en limitant l’usage de pesticides.

11 avril 2023

Agroécologie

Entretien avec Marcel Thaon, éleveur d’insectes à INRAE

Pour faire face aux insectes ravageurs des cultures, le biocontrôle propose d’utiliser contre eux… des insectes « parasitoïdes », c’est-à-dire des insectes dont la larve se nourrit du corps de son hôte pour se développer. Mais avant d’introduire en toute sécurité dans notre environnement ces alliés des agriculteurs, de nombreuses expérimentations s’imposent dans des laboratoires très contrôlés. Marcel Thaon, technicien de recherche dans l’équipe Recherche et Développement en Lutte Biologique (RDLB) de l’Institut Sophia Agrobiotech (ISA), nous fait part de son quotidien d’éleveur d’insectes dans le laboratoire Entomopolis.

13 septembre 2021