Agroécologie 5 min

Entretien avec Marcel Thaon, éleveur d’insectes à INRAE

Pour faire face aux insectes ravageurs des cultures, le biocontrôle propose d’utiliser contre eux… des insectes « parasitoïdes », c’est-à-dire des insectes dont la larve se nourrit du corps de son hôte pour se développer. Mais avant d’introduire en toute sécurité dans notre environnement ces alliés des agriculteurs, de nombreuses expérimentations s’imposent dans des laboratoires très contrôlés. Marcel Thaon, technicien de recherche dans l’équipe Recherche et Développement en Lutte Biologique (RDLB) de l’Institut Sophia Agrobiotech (ISA), nous fait part de son quotidien d’éleveur d’insectes dans le laboratoire Entomopolis.

Publié le 13 septembre 2021

illustration Entretien avec Marcel Thaon, éleveur d’insectes à INRAE
© INRAE, François MALLORDY

Par quelle formation êtes-vous arrivé à l’élevage d’insectes en laboratoire ?

Mon parcours professionnel est atypique : je n’ai pas suivi de formation avant de passer le concours de technicien de la recherche. Avant cela, j’avais été pâtissier-chocolatier pendant 17 ans. J’ai souhaité me reconvertir pour me rapprocher des métiers agricoles que je connaissais déjà bien, grâce à mes parents agriculteurs. Je me suis présenté un peu par hasard au concours de technicien de la recherche INRAE en 1998, et j’ai réussi car j’avais déjà de bonnes notions concernant les insectes nuisibles. Cela fait maintenant 23 ans que je suis à INRAE, dont 15 ans à travailler sur l’acclimatation d’insectes auxiliaires de lutte biologique. J’ai élevé plus d’une trentaine d’insectes différents, mais tout s’apprend sur le tas. Il faut se former et « bricoler » pour chaque nouvelle espèce.

Quelles espèces d’insectes élevez-vous actuellement ?

Tubes d’élevage de différentes espèces de drosophiles
Tubes d’élevage de différentes espèces de drosophiles sur un milieu nutritif

Je travaille sur deux projets principaux : le projet « Drosophila suzukii » (financement CASDAR ; 2019-2021 ; Coordination : CTIFL) et le projet « BIOCCYD-Mastrus » (financement FranceAgriMer, 2019-2022 ; Coordination : INRAE). Le premier projet vise à tester l’efficacité et la spécificité de différentes microguêpes parasitoïdes contre Drosophila suzukii, une mouche originaire du Japon qui pond dans les fruits arrivés à maturité et qui a envahi l’Europe dans les années 2000. Je teste l’efficacité de différentes souches de parasitoïdes (genres Ganaspis et Leptopilina) originaires d’Asie contre Drosophila suzukii. Pour expérimenter la spécificité de ces souches [c’est-à-dire leur capacité à ne parasiter que Drosophila suzukii, NDLR], je mène également des tests sur des espèces européennes non-cibles, en particulier Ceratitis capitata, Drosophila melanogaster, D. subobscura, D. hydei, D. immigrans, D. buckii. Les résultats obtenus au cours de ces expérimentations ont servi de base au dépôt, en juillet dernier, d’un dossier de demande d’introduction dans l’environnement de deux souches de Ganaspis.

Dans le cadre du deuxième projet, le parasitoïde potentiel est déjà connu car nous bénéficions de travaux antérieurs menés en Israël et en Nouvelle-Zélande. Il s’agit de Mastrus ridens, une guêpe parasitoïde du carpocapse des pommes et des poires (Cydia pomonella), un papillon dont la larve ravage les fruits de plusieurs arbres fruitiers (pommier, poirier, noyer). La spécificité de Mastrus ridens contre le carpocapse est reconnue, mais il reste à démontrer ses capacités d’établissement et de dispersion en France (voire en Europe), ainsi que son efficacité à réduire les populations de carpocapse en situation de production.

Comment minimisez-vous le risque de fuite ou de croisement non-désirés entre insectes ? 

Tout matériel solide usagé est passé à l’autoclave
Tout matériel solide usagé est passé à l’autoclave à 121 °C pendant 20 minutes avant d’être évacué

Au vu des risques que peuvent représenter certains parasitoïdes, qu’on n’a le droit d’élever qu’en zone confinée pour empêcher toute évasion dans la nature, on ne travaille pas n’importe comment. Dans le bâtiment Entomopolis où sont élevés les insectes utilisés dans les programmes de lutte biologique, il y a une partie du laboratoire qui est confinée, dans laquelle ne peut rentrer que le personnel habilité. Dans les autres zones, toute personne extérieure au laboratoire doit être accompagnée par une personne habilitée. Dans chacune des salles climatiques où nous élevons les insectes, nous avons chacun une blouse nominative. A chaque changement de blouse, l’ancienne blouse est placée au frigo, puis autoclavée à 121 °C pendant 20 minutes.

Pour limiter les risques de fuite et de mélange involontaire entre souches, on élève les insectes dans différents contenants : tubes, cages d’élevage… De plus, pour limiter les contaminations, les élevages des ravageurs et de leurs parasitoïdes sont effectués dans des salles différentes. Pour limiter le risque de fuite, ces dernières sont en légère dépression par rapport au couloir, lui-même en légère dépression par rapport à l’extérieur, afin que d’éventuels insectes fugitifs soient toujours repoussés vers l’intérieur du laboratoire lors de l’ouverture des portes. Enfin, des pièges sont fixés dans chaque pièce et dans les couloirs pour attirer et détecter les insectes fugitifs, les circuits d’air sont filtrés en entrée et en sortie, l’eau est chlorée en sortie d’Entomopolis, et le bâtiment est pourvu de 2 sas d’entrée dont les portes ne peuvent pas être ouvertes en même temps.

A quoi ressemble votre journée-type au laboratoire ?

Marcel Thaon en train d’utiliser l’aspirateur à insectes
Marcel Thaon en train d’utiliser l’aspirateur à insectes développé à l’ISA sur une cage de Mastrus ridens

Il n’y a pas vraiment de journée-type, même si certaines tâches se ressemblent d’un jour à l’autre. Le matin, la première des choses est de vérifier la température et l’hygrométrie dans les salles climatiques. Un technicien doit aussi vérifier l’état de ses insectes tous les jours, et être capable de se mettre à leur place pour voir quand quelque chose ne va pas : par exemple, si les insectes sont peu mobiles et plus au fond de leur tube que d’habitude. 

Quand on travaille comme moi avec des ravageurs de cultures et leurs parasitoïdes, on organise les manipulations sur les ravageurs le matin, et l’après-midi sur les parasitoïdes, afin de ne pas risquer de détruire tous nos efforts par une introduction accidentelle du parasitoïde chez des souches du ravageur. Dans la journée, on aspire beaucoup d’insectes, pour les compter, pour les changer de tube… Mon métier reste très manuel et répétitif.

Menez-vous des expériences à l’extérieur d’Entomopolis ?

Lorsque l’autorisation d’introduction dans l’environnement est obtenue auprès du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, nous passons à une phase d’évaluation du parasitoïde sur le terrain. Pour cela, nous organisons des campagnes de lâchers sur une cinquantaine de sites répartis sur tout le territoire puis, pendant plusieurs années, nous réalisons des échantillonnages sur ces sites pour déterminer la capacité d’établissement et de dispersion du parasitoïde, ainsi que son efficacité à réduire les populations du ravageur ciblé. La méthodologie liée à ces lâchers et échantillonnages est différente pour chaque auxiliaire introduit.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?

Le fait de se former et d’apprendre en permanence, pour chaque nouvelle espèce d’insecte à élever. Pour être technicien de recherche il faut être bricoleur, imaginer des solutions originales à des problèmes concrets. Par exemple, j’ai développé des éclosoirs pour le cynips du châtaignier à partir de vieilles boîtes d’archives inutilisées et de tubes à essais, et j’ai dû trouver à tâtons un milieu nutritif adapté pour chaque souche de guêpe Ganaspis. C’est un vrai bonheur de réussir à trouver une solution efficace à un problème qui était jusque-là irrésolu.
 

François MALLORDYRédacteur

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Marcel THAON TechnicienInstitut Sophia Agrobiotech (ISA)

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