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Combattre la guêpe par la guêpe : le succès de Torymus sinensis dans la lutte contre le cynips du châtaignier

Arrivé en France en 2007 et durablement établi en 2010, le cynips du châtaignier s’est vite imposé comme le principal ravageur des châtaigniers. Pouvant faire chuter la production fruitière de 80 %, cette guêpe galligène d’origine chinoise représentait une très forte menace pour nombre de castanéiculteurs. L’introduction de son ennemi naturel, Torymus sinensis, une micro-guêpe parasitoïde, a été testée comme moyen de biocontrôle par des scientifiques d’INRAE entre 2011 et 2015, avant d’être déployée largement dans les zones castanéicoles et de permettre à la production de redémarrer. Retour sur une opération de biocontrôle particulièrement réussie.

Publié le 17 août 2021

illustration Combattre la guêpe par la guêpe : le succès de Torymus sinensis dans la lutte contre le cynips du châtaignier
© INRAE, Jean-Claude MALAUSA

Le cynips du châtaignier, d’inconnu à ennemi n°1 des castanéiculteurs français  

Du haut de ses trois millimètres à l’âge adulte, difficile de croire que le cynips du châtaignier, de son doux nom scientifique Dryocosmus kuriphilus, mène la vie dure à des châtaigniers de 30 mètres. Et pourtant, cette petite guêpe a bien failli anéantir les principales zones de culture castanéicole dès son établissement durable en France, en 2010. Originaire de Chine, le cynips du châtaignier s’est progressivement étendu aux pays limitrophes, avant de conquérir le monde : repéré au Japon en 1941 et en Corée en 1958, il est signalé pour la première fois hors d’Asie en 1974 aux Etats-Unis, puis en 2002 en Italie.

A partir de cette tête de pont transalpine, il colonise nombre de pays européens : la Slovénie en 2005, la France en 2007, la Suisse en 2009, la Croatie en 2011… Partout où il arrive, le cynips du châtaignier provoque des ravages impressionnants. Causant une baisse de production de 60 à 80 % de la production fruitière, il peut même tuer les arbres sévèrement infestés.

Une guêpe à la croissance exponentielle

Le cynips du châtaignier a un cycle de vie annuel. « Les adultes pondent dans les bourgeons entre juin et août. Une fois écloses, les larves hivernent dans les bourgeons jusqu’au printemps suivant, où leurs sécrétions salivaires induisent la formation d’une galle, au dépend desquelles elles se nourrissent. Les adultes émergent de ces galles en été », détaille Nicolas Borowiec, ingénieur d’études INRAE dans l’équipe « Recherche et développement en lutte biologique » (RDLB) à l’Institut Sophia Agrobiotech.

Cynips du châtaignier femelle (Dryocosmus kuriphilus)
Cynips du châtaignier femelle (Dryocosmus kuriphilus) © INRAE, Jean-Claude MALAUSA

Durant la première hivernation des insectes, les plants de châtaigniers sont asymptomatiques : de quoi limiter la détection de l’infestation et permettre une dissémination encore plus rapide du ravageur. Deuxième avantage : les cynips du châtaignier sont tous des femelles ! L’espèce se reproduit par parthénogenèse thélytoque, c’est-à-dire que l’ovocyte n’a pas besoin de fécondation pour produire un descendant femelle. Conséquence néfaste : chaque individu atteignant l’âge adulte est automatiquement capable de pondre près de 300 œufs dans des dizaines de bourgeons, expliquant la courbe exponentielle de leur progression après quelques années.

Les ravages que le cynips cause sur les châtaigniers proviennent de la formation de galles multiloculaires, des galles de quelques centimètres de diamètres abritant plusieurs individus. Lorsqu’elles sont suffisamment grosses, ces galles bloquent la croissance des bourgeons sur lesquelles elles se développent, empêchant l’apparition de nouveaux rameaux et de fleurs, et donc de châtaignes. Les infestations peuvent atteindre une ampleur spectaculaire : « certains castanéiculteurs ont pour la première fois vu le soleil tomber au pied de leur châtaignier en plein été », rapporte Nicolas Borowiec.

L’auxiliaire de biocontrôle Torymus sinensis à la rescousse

Dès 2011, l’équipe RDLB de l’Inra, ancêtre d’INRAE, se mobilise pour trouver une solution durable et efficace contre le cynips du châtaignier, désormais solidement établi dans toutes les grandes régions castanéicoles de France. D’emblée, l’équipe s’oriente vers une opération relai de lutte biologique par acclimatation, c’est-à-dire l’importation d’un auxiliaire déjà identifié et utilisé par ailleurs, à savoir la micro-guêpe parasitoïde chinoise Torymus sinensis. Cette espèce, au cycle de vie calé sur celui du ravageur, pond ses œufs à l’intérieur des galles sur les larves de cynips du châtaignier, qui sont ensuite dévorées par les larves de Torymus sinensis au cours de leur développement.

Originaire de Chine où elle parasite uniquement le cynips du châtaignier, des scientifiques ramènent Torymus sinensis au Japon dans leurs bagages pour lutter contre le cynips du châtaignier à la fin des années 70, après le constat d’échec des précédents moyens de lutte. C’est un tel succès que le parasitoïde est introduit dès 1977 aux Etats-Unis, et en 2005 en Italie où il permet de contrôler l’invasion du cynips dès 2009.

Une success story scientifique et agronomique 

Entre 2011 et 2015, l’équipe RDLB d’INRAE organise des lâchers expérimentaux de Torymus sinensis, dont elle effectue le suivi jusqu’en 2017. Conclusion : 5 ans après les premiers lâchers, on observe une chute exponentielle des populations de cynips du châtaignier. « En 2017, les sites où avaient eu lieu les premiers lâchers dans le Sud-Ouest avaient retrouvés leur niveau de production d’avant le cynips », s’enthousiasme Nicolas Borowiec. Et sans changement surprise d’hôte de la part du parasitoïde Torymus sinensis… pour l’instant.

« Sous réserve d’obtenir des financements, INRAE compte refaire des campagnes de suivi sur ce même dispositif expérimental. Car même si Torymus sinensis est très spécifique du cynips du châtaignier, il y a toujours un risque qu’elle puisse ponctuellement s’attaquer à des espèces indigènes de cynips du chêne, en particulier depuis que les populations de cynips du châtaignier se trouvent à des niveaux très faibles », résume Nicolas Borowiec. Mais au vu des précédents japonais, américain et italien, le risque s’avère minime et la réussite de l’introduction est totale. « C’est une success story scientifique et agronomique, surtout quand on sait qu’un tiers des introductions d’espèces d’insectes auxiliaires parviennent à s’établir, et que seulement 10 % d’entre elles induisent un contrôle suffisamment efficace de leur cible », révèle Nicolas Borowiec. Un exemple qui inspire l’équipe RDLB à poursuivre la recherche d’auxiliaires contre d’autres envahisseurs, comme par exemple le carpocapse des pommes et des poires (Cydia pomonella) ou la drosophile à ailes tachetées (Drosophila suzukii).

Utiliser les lâchers de Torymus sinensis pour mieux comprendre les invasions biologiques

 

Introduire un auxiliaire exotique de lutte biologique, c’est implanter une espèce dans un nouvel environnement, avec l’espoir qu’elle s’y établisse durablement. Ça ne vous rappelle rien ? Il s’agit ni plus ni moins d’une invasion biologique, dans ce cas bénéfique et contrôlée. L’introduction d’un auxiliaire dans le cadre d’une lutte biologique par acclimatation est donc l’occasion pour les chercheurs d’étudier les mécanismes impliqués dans le succès ou l’échec des invasions biologiques.

Dans le cas du cynips du châtaignier, ce sont les mécanismes démographiques qui ont été étudiés. Pour ce faire, Nicolas Borowiec et son équipe ont introduit Torymus sinensis selon différentes modalités, avec des lâchers plus ou moins importants en nombre d’individus ou en fréquence de lâcher. Le suivi pluriannuel de la dynamique de Torymus sinensis et du ravageur sur ces sites a permis d’aboutir à plusieurs conclusions, présentées dans un article paru en 2018 dans Entomologia Experimentalis et Applicata.

Premièrement, toutes les modalités de lâcher ont abouties à une implantation solide de Torymus sinensis, quelques-soit le nombre ou la fréquence des introductions. Mais le fait de faire 10 lâchers géographiquement proches de 100 femelles est par exemple plus efficace pour la dissémination de l’espèce que de privilégier un unique lâcher de 1000 femelles. Enfin, introduire 100 femelles en une année a le même effet qu’introduire 50 femelles sur deux années consécutives au même site. Ces résultats ont servi à optimiser la méthodologie de dissémination de Torymus sinensis à l’ensemble des bassins de production touchés, dissémination prise en charge par des partenaires agronomiques (centres techniques, stations expérimentales, chambres d’agriculture, syndicat de producteurs, etc.) en lien fort avec l’équipe d’INRAE impliquée dans ce projet.

Lâchers de Torymus sinensis dans la Drôme par INRAE
Lâchers de Torymus sinensis dans la Drôme par INRAE © INRAE, Jean-Claude MALAUSA

Références :
- Nicolas Borowiec, Marcel Thaon, Lisa Brancaccio, Sylvie Warot, Sabine Risso, et al. (2013). Lutte biologique contre le cynips du châtaignier : Objectifs et enjeux de cette lutte biologique dite ”classique”. Phytoma, Groupe France Agricole, pp.32-36.
- Nicolas Borowiec, Marcel Thaon, Lisa Brancaccio, Benoît Cailleret, Nicolas Ris, Elodie Vercken (2018). Early population dynamics in classical biological control: establishment of the exotic parasitoid Torymus sinensis and control of its target pest, the chestnut gall wasp Dryocosmus kuriphilus, in France. Entomologia Experimentalis et Applicata, 166, 367-379. https://doi.org/10.1111/eea.12660

 

François MALLORDYRédacteur

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