Biodiversité 6 min

Joie ou peur, les chevaux sentent nos émotions !

Des tests comportementaux ont montré que les chevaux savent détecter la différence entre une personne qui ressent de la joie et une personne qui ressent de la peur, à partir de l’odeur qu’elles émettent, qui est spécifique de chacune de ces émotions.

Publié le 22 mai 2023

illustration Joie ou peur, les chevaux sentent nos émotions !
© Plotine Jardat

De précédentes études des scientifiques de l’unité Physiologie de la Reproduction et des Comportements (INRAE, CNRS, Université de Tours, IFCE), ont montré que l’ouïe* et la vue** sont des sens par lesquels les chevaux perçoivent les émotions humaines et peuvent être influencés par elles. Ces perceptions peuvent affecter les interactions entre les chevaux et leurs propriétaires, cavaliers ou soigneurs.
La question traitée dans cette nouvelle étude était la suivante : les chevaux peuvent-ils aussi distinguer les émotions humaines grâce à leur odorat, et donc sentir nos émotions au sens propre ?
La chémoréception*** (perception chimique) est le sens le plus primitif et le plus répandu chez les mammifères ; les régions du cerveau responsables du traitement des odeurs font partie des structures les plus anciennes de leur évolution. Nous savons d’une part que les signaux chimiques sont impliqués dans la communication entre espèces et d’autre part que ces odeurs peuvent être associées à différents états émotionnels (peur, stress, activité sexuelle, etc.). Par contre, très peu d'études ont clairement montré que les animaux peuvent percevoir les émotions humaines par l'odorat.

L’odeur de la peur

Les chercheurs ont mis en œuvre un protocole pour déterminer si les chevaux peuvent distinguer les odeurs produites par des sujets humains qui ressentent de la peur ou bien de la joie. Ils ont prélevé les odeurs corporelles (sueurs) de volontaires qui ressentaient soit l’une, soit l’autre de ces émotions. Pour cela, les volontaires ont regardé deux extraits vidéo : une comédie et un film d’horreur.

L'ordre du visionnage a été choisi au hasard pour chaque participant et contrebalancé entre les participants (la moitié des participants a d'abord regardé la vidéo engendrant la peur et l'autre moitié a regardé en premier la vidéo provoquant la joie). Juste avant de regarder la vidéo, les participants devaient se laver les aisselles avec des cotons humides sans odeurs. Ils ont ensuite placé sous chaque aisselle deux compresses, fixées avec du ruban adhésif chirurgical. Ils portaient un t-shirt en coton non parfumé fourni par les concepteurs du protocole. A l’issue de chaque séance, les participants ont placé les compresses et les t-shirts dans des sacs hermétiques, conservés dans un congélateur à - 20°C.

Ces T-shirts et compresses ont ensuite été préparés et présentés aux chevaux selon un protocole standardisé dit d’« habituation-discrimination ». Pour cela, une même odeur (soit celle de peur, soit celle de joie) leur était présentée deux fois de suite, afin qu’ils s’y habituent (habituation). Juste après, cette même odeur leur était présentée simultanément à l’autre, provenant de la même personne (discrimination). Voir la  vidéo.
Les chercheurs s’attendaient à observer une diminution du temps de flairage lors de l’habituation, lorsque la même odeur est présentée plusieurs fois de suite. Puis, si les chevaux étaient capables de distinguer les deux odeurs présentées ensemble lors de la phase de discrimination, les chercheurs s’attendaient à ce que le temps de flairage soit plus long envers l’odeur nouvelle, les animaux étant attirés par la nouveauté.
Au final, c’est ce qui s’est produit : les chevaux ont flairé l'odeur nouvelle plus longtemps que l'odeur répétée, ce qui indique qu'ils sont capables de les discriminer.
Ils ont donc détecté que l’odeur d’une personne joyeuse est différente de celle d’une personne qui a peur. Cette capacité de discrimination montre que les chevaux sont bel et bien capables de sentir nos odeurs émotionnelles.

La joie contagieuse

En analysant plus précisément le comportement des chevaux lors du test grâce à une analyse vidéographique approfondie, les chercheurs ont constaté qu’ils utilisaient préférentiellement leur naseau gauche pour sentir l’odeur de joie, mais pas pour l’odeur de peur.  De précédentes études scientifiques ont expliqué cette latéralité : les chevaux utilisent davantage l’hémisphère gauche de leur cerveau (et donc leur naseau gauche dans le cas d’une odeur) pour analyser des stimuli à valence émotionnelle positive. Ce résultat suggère des différences dans le traitement émotionnel des deux odeurs.

Cette étude a donc montré grâce à des tests d'habituation-discrimination que les chevaux peuvent discriminer les odeurs humaines associées à la joie ou à la peur et que ces odeurs pourraient être perçues respectivement comme positive et négative par ces animaux. Des études supplémentaires permettraient de mieux comprendre comment les chevaux  perçoivent ces odeurs et quelles réactions cela peut déclencher chez eux. Elles pourraient permettre également d’étendre ces observations à d’autres émotions et à d’autres animaux comme le mouton afin de déterminer si cette compétence se retrouve dans d’autres espèces domestiques.

 

*Léa Lansade, Miléna Trösch, Céline Parias, Alice Blanchard, Elodie Gorosurreta, Ludovic Calandreau, Horses are sensitive to baby talk : Pet-directed speech facilitates communication with humans in a pointing task and during grooming. Animal Cognition 2021. DOI : https://doi.org/10.1007/s10071-021-01487-3
https://www.inrae.fr/actualites/parler-aux-chevaux-parle-aux-jeunes-enfants

**Trösch M, Cuzol F, Parias C, Calandreau L, Nowak R, Lansade L. Horses Categorize Human Emotions Cross-Modally Based on Facial Expression and Non-Verbal Vocalizations. Animals (Basel) . 2019 Oct 24;9(11):862. DOI: https://doi.org/10.3390/ani9110862

***La chémoréception est la capacité à détecter des substances chimiques, grâce à des cellules adaptées, qui transmettent un signal nerveux en conséquence. La gustation et l'olfaction fonctionnent selon ce principe.

Sylvie AndréRédaction

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