Biodiversité 3 min

Les graines de pin maritime gardent en mémoire les changements de température

COMMUNIQUÉ DE PRESSE - Les graines de pin maritime gardent en mémoire les températures auxquelles elles ont été exposées pendant leur formation. Cette mémoire persiste après germination lors de la croissance des jeunes arbres pendant au moins 2 ans. C’est ce que montrent pour la première fois des scientifiques d’INRAE, de l’université d’Orléans, de l’université de Perpignan, du CEA, de l’institut technologique FCBA et de l’université de Lisbonne. Cette mémoire est d’origine épigénétique, c’est-à-dire des modifications induites par l’environnement qui n’affectent pas la séquence ADN des gènes mais leur activité. Les chercheurs ont identifié 10 gènes qui accumulent de telles marques épigénétiques, impliqués dans des réponses de défense, d’adaptation et de développement de l’arbre. Cette étude, publiée dans Plant Physiology, ouvre la possibilité de conditionner très précocement les arbres à des variations de la température ou à d’autres facteurs environnementaux et leur permettre ainsi de s’adapter à un environnement changeant tout au long de leur vie.

Publié le 13 novembre 2024

© FCBA

Avec le dérèglement climatique, les projections indiquent une hausse significative des températures qui exposera la plupart des forêts à des épisodes de chaleur et de sécheresse récurrents et plus sévères. Des stress qui peuvent s’exercer dès la formation de la graine qui contient l’embryon du futur arbre. Depuis la fin des années 2000, un déclin de la production de graines est observé chez le pin maritime, un arbre de plantation majeur dans tout le bassin méditerranéen, en France en particulier (voir encadré). Comprendre comment ces arbres répondent à des variations de température lors de la formation des embryons (embryogenèse) et quelles en sont les conséquences pour le développement des semis jusqu’à l’âge adulte est donc un enjeu important.

Les scientifiques ont d’abord observé que la température à laquelle a été exposée une graine de pin maritime affecte les aspects biologiques et biochimiques du développement de l’embryon qu’elle contient puis la croissance de l’arbre après germination pendant au moins 3 ans. Les effets de la température persistent donc du stade de l’embryon au jeune arbre, mais ne sont plus détectés après 5 ans. Cela suggère une origine épigénétique plutôt que génétique de ces phénomènes, c’est-à-dire des processus qui induisent des modifications de l’expression des gènes sans modifier leur séquence ADN, qui sont transmissibles par division cellulaire au cours du développement et possiblement réversibles.

Afin d’étudier plus facilement ces processus épigénétiques complexes, les scientifiques ont utilisé des embryons multipliés à partir d’une seule graine de pin maritime (il s’agit donc d’un clone d’un unique arbre). Ils ont exposé et cultivé 3 lots de ces embryons à 3 températures différentes (23 °C pour la référence, 18 °C pour la plus faible et 28 °C pour la plus élevée) pendant toute la phase de maturation de l’embryon qui dure 3 mois. Puis, la germination de tous les lots a été réalisée à 23 °C et les plants obtenus ont été observés pendant 5 ans au laboratoire, en serre et après plantation en conditions extérieures. Comme le génome du pin maritime est gigantesque (8 fois celui du génome humain) et pas encore entièrement séquencé, les scientifiques ont mis au point une technique de capture des régions d’intérêt du génome où sont situés les gènes. Puis, grâce à une méthode de séquençage spécifique, ils ont analysé un type de modification épigénétique (la méthylation de l’ADN) qui peut induire des changements dans l’expression des gènes qui sont transmissibles par division cellulaire au cours du développement. L’analyse des lots à 3 stades du développement a permis d’identifier plusieurs milliers de ces modifications épigénétiques qui avaient été induites par la température de maturation des embryons et qui ont été fidèlement retrouvées chez les arbres 2 ans plus tard. 

3 illustrations montrant la germination, un jeune pin en pt, et un jeune pin planté en extérieur
Des embryons de pin maritime ont été placés au cours de leur maturation (photo de gauche) à 3 températures différentes (23 °C comme température témoin, 18 °C ou 28 °C). Puis, après germination, les arbres ont été suivis pendant 5 ans, de l'acclimatation en serre (dans des pots, photo du milieu) à la plantation en extérieur (photo de droite). Crédits illustration : S. MAURY (INRAE) / Crédit photos : FCBA.

Les scientifiques ont identifié 10 gènes de fonctions connues qui accumulent ces modifications épigénétiques persistantes. Ils sont notamment impliqués dans les réponses de défense aux stress et d’adaptation à la température ainsi que le développement de l’embryon. Ce sont les meilleurs candidats pour l’établissement d’une mémoire épigénétique de la température pendant l’embryogenèse chez le pin maritime qui perdure chez l’arbre en croissance.

Cette étude démontre, chez les arbres et plus largement les plantes, la transmission de modifications épigénétiques de la phase embryonnaire à la phase post-embryonnaire (croissance du semis après germination). Ce résultat ouvre la possibilité de conditionner très précocement les plantes à long cycle de vie comme les arbres par la température ou d’autres facteurs environnementaux pour induire de nouvelles caractéristiques d’intérêt pour la gestion forestière. Ces effets de mémoire épigénétique pourraient également être cruciaux pour permettre aux arbres de réagir à des stress récurrents, comme le stress thermique, et de s’adapter rapidement à un environnement changeant tout au long de leur cycle de vie. Cela pourrait offrir aux gestionnaires de nouveaux leviers d’adaptation et de conservation durable des ressources génétiques forestières pour faire face aux changements globaux en cours.

Le pin maritime en France

Le pin maritime couvre environ 6,4 % des surfaces boisées en France, particulièrement dans les régions du Sud-Ouest (environ 1 million ha). Pouvant supporter des sols sablonneux et pauvres, c’est cette essence qui compose quasi-exclusivement le massif des Landes de Gascogne (plus de 800 000 ha). Principalement exploité pour son bois, le pin maritime représentait 14 % des sciages, 16 % du bois d’œuvre et 30 % du bois d’industrie en France en 2022.

Référence

Trontin J.-F. et al. (2024). Epigenetic memory of temperature sensed during somatic embryo maturation in 2-year-old maritime pine trees. Plant Physiology DOI : 10.1093/plphys/kiae600

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