Société et territoires 4 min
Ghislain Géniaux, un scientifique foncièrement engagé
Ghislain Géniaux est chargé de recherche en économétrie au sein de l’unité Ecodéveloppement du département Action, transitions et territoires d'INRAE à Avignon. Spécialiste de l’analyse des marchés fonciers et pionner de la modélisation à l’échelle parcellaire de l'occupation du sol en France au service des décideurs publics, il a récemment participé à une expertise scientifique collective (Esco) sur l’artificialisation des sols.
Publié le 27 juillet 2020
Depuis plus de 25 ans, Ghislain Géniaux se consacre à l’économétrie spatiale, un domaine mal connu mais crucial dans les décisions de politique économique appliquées aux territoires. Par les mathématiques et les statistiques, elle permet en effet d’estimer la validité des modèles économiques, ces représentations simplifiées de la réalité économique. Après de premiers travaux sur l’évaluation des biens non marchands et l’économie de l’environnement au sein du Groupement de recherche en économie quantitative d’Aix-Marseille (GREQAM) et un doctorat en Sciences Economiques, Ghislain Géniaux a intégré l’unité d’Ecodéveloppement de l'Inra en 1999. « Je souhaitais travailler sur des modèles économiques un peu plus complexes, avec une gamme plus importante de descripteurs, mais aussi sur la préservation des espaces naturels », explique-t-il.
Mieux évaluer les méthodes de préservation
Le jeune chercheur commence à s’orienter vers des questions foncières pour ouvrir des pistes de politique publique de préservation. « J’ai appliqué des outils de modélisation aux prix des biens et situations de marché pour explorer les déterminants de la valeur des lieux », se souvient Ghislain Géniaux. « Mais qui dit valeur dit pression foncière : il me fallait aussi identifier les variables complexes décrivant les stratégies et interactions entre promoteurs, élus locaux, propriétaires et acheteurs ». En travaillant sur ces sujets, Ghislain Géniaux constate l’importance d’intégrer dans les modèles des spécificités françaises de la gestion centralisée du sol, d’étudier des instruments de régulation limitant la rente urbaine à des fins de protection des espaces naturels et agricoles, mais aussi de trouver les moyens de simuler les marchés fonciers afin d’évaluer les effets à moyen terme de ces instruments de régulation. « C’est important pour des outils nouveaux comme la compensation écologique, qui s’avéraient prometteurs pour valoriser des usages tels que la protection de la biodiversité ou la filtration d’eau, mais où l’on manquait d’expériences et de recul ».
Un outil d’aide à la décision publique en constante évolution
Convaincu de l’utilité de rassembler des informations exhaustives sur les territoires à l’échelle des décideurs finaux, propriétaires et gestionnaires du foncier, mais aussi de mettre au point des méthodes adaptées à l’analyse de ces « big data » spatiales, Ghislain Géniaux animera pendant 13 ans Urbansimul, un projet lancé par l’Inra d’Avignon et le Cerema Méditerranée. Un patient travail de collecte de millions de données sur le foncier et sa régulation permettra de construire cet outil de simulation de l’occupation des sols et d’évaluation foncière. Depuis 2017, Urbansimul est accessible en ligne à tous les acteurs publics de la région PACA : collectivités territoriales, agences d’urbanisme, bureaux d’études, etc. Et il ne cesse d’évoluer avec un déploiement national en cours dans le cadre du montage d’une filiale INRAE/Cerema. Ghislain Géniaux envisage d’y intégrer une notion d’évitement, en amont même de la compensation : « Lors d’un choix d’une zone pour une extension urbaine, l’outil pourra suggérer aux concepteurs des Plans locaux d’urbanismes (PLU) des zones alternatives aux caractéristiques urbanistiques équivalentes mais avantageuses pour la protection des zones naturelles et agricoles ».
L’artificialisation des sols, sujet complexe, enjeu politique
Selon Ghislain Géniaux, « il y a principalement deux façons d’agir en tant que chercheur sur les politiques publiques : créer des outils d’aide à la décision et produire du rapport éclairé comme une expertise scientifique collective (Esco) ». De fait, il participera, parmi de nombreux projets scientifiques, à une Esco sur l’artificialisation des sols demandée à l’Ifsttar et à l’Inra, publiée en 2017. « Une Esco est un exercice particulier, puisqu’il s’agit de proposer un état des lieux commenté de toutes les connaissances scientifiques publiées à un moment donné sur un sujet », remarque Ghislain Géniaux. « Or l’artificialisation des sols est un sujet complexe parce que transversal : il touche tous les secteurs de l’action publique sur le territoire et fait intervenir plusieurs disciplines ayant des démarches différentes ». L’artificialisation des sols, qui correspond à la diminution progressive globale de la part des sols affectée aux activités agricoles et forestières ou aux espaces naturels au profit du développement des villes, logements, routes, usines et zones commerciales, représente un enjeu majeur de débat public et de préoccupations politiques.
« Etre mêlé à toutes ces disciplines était très enrichissant pour comprendre à la fois leurs problématiques spécifiques et les solutions de chacune d’entre elles sur un sujet commun ».
Une expertise collective pluridisciplinaire pour comprendre l’étalement urbain
Or grâce à ses travaux, Ghislain Géniaux dispose de données susceptibles de fournir des outils élaborés pour la mesure de l’artificialisation de sols, notamment auprès des géographes et des scientifiques de l’environnement. « Les travaux que j’ai menés sur l’étalement urbain à partir de données administratives permettent de stabiliser des mesures d’évaluation sur des critères différents des données satellitales et plus en lien avec l’échelle des décisions agissant sur l’étalement urbain », explique-t-il. Il apporte aussi à la discussion sa conviction de l’importance du contexte de terrain, notamment réglementaire, pour aborder ce sujet. Tâche acrobatique, puisqu’il lui fallait « utiliser la littérature principalement anglosaxonne pour parler de la complexité de la décision publique autour du foncier en France ». Il apparaît ainsi que parmi la palette d’instruments de régulation du foncier, comme les Zones Agricoles Protégés (ZAP) ou les outils liés à la taxation de la sous-densité, restent sous-utilisés en France pour limiter l’artificialisation des sols.
Une démarche qui rassemble les savoirs et casse les idées reçues
Ghislain Géniaux anime plusieurs chapitres de l’Esco sur la question de la préservation des espaces agricoles en zone rurale et péri-urbaine, notamment les contributions d’un géographe sur les espaces côtiers, d’un économiste sur la notion d’aménité et de sociologues sur les relations de la ville à la campagne. Parmi les autres contributions de l’expertise, il appréciera particulièrement les travaux des chercheurs en biodiversité qui « bousculent beaucoup d’idées reçues sur la perte des lieux intéressants pour la qualité des sols ». Travaillant déjà dans un laboratoire regroupant économistes, écologues, agronomes et sociologues, Ghislain Géniaux n’est pas perdu dans cette pluridisciplinarité, bien au contraire : « L’intérêt d’une expertise collective repose sur l’association équilibrée entre les interactions des différentes disciplines et le balisage marqué de chaque scientifique ». Selon lui, l’expertise collective est également un exercice très instructif sur son propre domaine : « Elle pousse à un effort de recherche bibliographique qui dépasse ce qu’on a l’habitude de faire et permet de réinterroger certaines questions, quitte à contredire ses intuitions de départ ».
Marié, 2 enfants
- Depuis novembre 1999 : chargé de recherche à l’Inra (aujourd'hui INRAE) unité d’Ecodéveloppement à Avignon ;
- 1999 : Doctorat en Sciences économiques ; thèse « Evaluation et régulation des impacts environnementaux » soutenue à l’Université de la Méditerranée ;
- 1994 –1997 : Allocataire de Recherche MRT au GREQAM ;
- 1993 : DEA en Economie mathématique et Econométrie ;
- 1992 : Maîtrise d’Econométrie.