Société et territoires

La forêt : un espace de nature aux représentations contrastées

Les forêts représentent avant tout un espace de nature pour la plupart des français, y compris pour les propriétaires forestiers, mais les fractures entre visions écologique et productive de cet écosystème restent d’actualité. Décryptage en compagnie du sociologue Philippe Deuffic.

Publié le 17 mars 2022

illustration La forêt : un espace de nature aux représentations contrastées
© INRAE - François Lebourgeois

Quelles représentations avons-nous des forêts en France ?

De menaçante, la forêt devient menacée

Des représentations contrastées ! Et ce contraste naît dès le Moyen-âge de ses trois principaux usagers. Les nobles l’associent à un espace de loisir où ils peuvent chasser, les ordres monastiques à un espace de méditation et le peuple à un espace de subsistance d’où ils peuvent tirer de quoi s’alimenter ou se chauffer. Peu aménagée, la forêt est aussi un refuge pour les parias de la société, un espace de liberté mais aussi un espace hostile, voire menaçant. Au XVIIIe siècle, les forêts deviennent une ressource stratégique pour la royauté : elles fournissent le bois nécessaire à la production des navires, aux forges et au chauffage des premières grandes villes. Colbert, via l’ordonnance de 1669, pose alors les premières règles de gestion et d’aménagement des forêts à grande échelle et codifie fortement les droits d'usage. Malgré ce volontarisme étatique, la surface forestière française ne cesse de diminuer jusqu’à la Révolution. De menaçante, la forêt devient menacée : en 1840, seulement 16% du territoire métropolitain reste boisé [contre 31% en 2021]. Une vision esthétique des forêts émerge alors au XIXe siècle sous la dynamique d’artistes, tels que les peintres de Barbizon. Ce mouvement valorise la grandeur et les bienfaits de la nature, et lutte farouchement contre le déboisement, aboutissant à la création des premières réserves à Fontainebleau. A cette époque, deux visions s’affrontent aussi chez les forestiers : celle d’une forêt relativement « naturelle » où l’action de l’homme est peu visible et les besoins des populations locales définissent ses différents usages, et son opposée, objet d’une gestion plus centrée sur la production d’arbres, souvent de la même espèce et du même âge, visant à satisfaire les besoins de l’industrie naissante. Cette dernière vision dite de l’Ecole de Nancy, sera favorisée dans le 1er code des Eaux et Forêt de 1827. Aujourd’hui encore, alors que les forêts représentent avant tout un espace de nature pour la plupart des français (propriétaires forestiers compris), ces deux visions restent d’actualité malgré la loi sur la multifonctionnalité des forêts de 2001 qui tente de les réconcilier.

Le changement climatique affecte-t-il ce partage de visions ?

Dans le contexte du changement climatique, chaque camp a des objectifs légitimes du point de vue environnemental

Ce qui est nouveau dans ce débat entre préservation et exploitation de la forêt dans le contexte du changement climatique, c’est que chaque camp a des objectifs légitimes du point de vue environnemental. Dans un cas, il s’agit de substituer les énergies fossiles, responsables du réchauffement, par des énergies renouvelables, et ce choix nécessite de récolter plus de bois, pour se chauffer, pour construire… Dans l’autre cas, c’est la préservation de la biodiversité et des services écosystémiques qui sont priorisés, il faut donc des récoltes de bois plus mesurées et trouver d’autres ressources pour répondre à nos besoins. Le défi consiste donc à exploiter raisonnablement la forêt en respectant ses différentes fonctions. Certains pays, notamment l’Angleterre et les Etats-Unis, ont fait le choix de séparer les espaces forestiers en deux : d’un côté des commercial forests dédiées uniquement à la production de bois (en priorité, même si d’autres usages existent) et de l’autre des forêts extrêmement protégées où l’intervention humaine est réduite au minimum. L‘Europe et la France en particulier ont choisi une autre voie : la forêt y est définie comme un espace multifonctionnel que ses usagers doivent partager pour sa capacité à produire du bois, à purifier l’eau ou tout simplement comme paysage de promenade. Trouver un compromis n’est pas si évident. Même dans des pays où la culture forestière nous apparaît plus ancrée, où les habitants sont historiquement habitués à la coupe rase d’arbres, des mouvements contre la "malforestation" émergent. En mai 2018, le Parlement finlandais a examiné une pétition signée par des citoyens visant à limiter, voire interdire les coupes rases en forêt domaniale. Face à ces tensions, les forestiers, autrefois seuls détenteurs du savoir et du pouvoir décisionnel, ne peuvent plus imposer leur vision d’une “bonne” gestion comme c’était le cas jusqu’au XXe siècle. Plusieurs options s’offrent à eux : mieux communiquer autour des méthodes de sylviculture et espérer que le public adhère à leur discours, faire évoluer leurs pratiques de gestion de façon à intégrer une partie des attentes sociétales, etc. Mais comment décider des attentes légitimes sans fragiliser l’activité sylvicole, qui plus est dans un contexte d’incertitude climatique ? La concertation multi-acteurs, à différentes échelles, est une autre voie, pour redéfinir ensemble les relations forêt-société

 

 Participer à la recherche pour découvrir un écosystème   

Depuis 2018, écoliers, collégiens et lycéens de 17 pays européens étudient les mécanismes de résistance des chênes aux insectes herbivores, sous différents climats aux côtés des scientifiques dans le cadre du projet « Gardiens de chêne ». A l’aide de chenilles en pâte à modeler, et selon un même protocole de l'Espagne à la Finlande, élèves et enseignants mesurent les dégâts causés par les insectes herbivores sur les arbres. Les premiers résultats montrent que ces insectes ne sont pas tous influencés par le climat ou les défenses des arbres.

Découvrir le projet "gardien de chêne"

 

Sarah-Louise Filleux Rédactrice

Contacts

Philippe Deuffic SociologueEnvironnement, territoires en transition, infrastructures, sociétés (ETTIS)

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