Changement climatique et risques 4 min

Faux printemps, quelles conséquences sur la croissance d’un arbre ?

Des travaux réalisés en conditions expérimentales ont permis de mieux comprendre comment l’arbre réagit aux gels tardifs, tant au niveau de ses branches que de son architecture générale. Un sujet d’étude particulièrement d’actualité au regard du dérèglement climatique et de ses conséquences qui se font sentir un peu plus chaque année.

Publié le 01 février 2023

illustration Faux printemps, quelles conséquences sur la croissance d’un arbre ?
© N Dusart

Le phénomène de faux printemps correspond à un hiver doux suivi de gelées tardives. C’est ce qui s’est produit en début d’année 2022 : des bourgeons sont apparus dès le mois de mars pour mieux geler en avril. Les conséquences sur la production fruitière ont été terribles et ont marqué les mémoires. Pour tenter de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans la réponse de l’arbre à ces variations de températures, parfois extrêmes, les scientifiques de l’unité de recherche Physique et physiologie intégratives de l’arbre en environnement fluctuant (UMR PIAF) ont conçu un dispositif expérimental original, alliant chauffage différencié des branches et gel ponctuel.

En pratique, vous l’avez déjà peut-être perçu avec vos mains, entre le côté ensoleillé et la face ombragée du tronc d’un arbre, la température n’est pas la même. Une différence d’une dizaine de degrés a été mesurée par l’équipe de recherche. Une observation que les chercheurs ont exploitée astucieusement en serre à l’échelle des branches d’un noyer, afin de regarder si cela modifiait la reprise de la croissance au printemps, que ce soit la croissance primaire (formation de nouvelles branches à partir des bourgeons) ou secondaire (production de nouveau bois sur le pourtour du tronc, au niveau du cambium, permettant l’augmentation du diamètre de l’arbre).   

Au cœur du dispositif expérimental

L’équipe s’est intéressée à des noyers âgés de 5 ans, placés initialement en conditions de repos végétatif ou dormance et qu’elle a suivis ensuite tout au long de la saison de la végétation, de février à août. Le noyer est un arbre sur lequel l’unité de recherche a déjà consacré de nombreux travaux. De plus, il présente un débourrement1 tardif et une résistance au gel marquée au cœur de l’hiver.
Des résistances chauffantes enroulées autour de certaines branches ont permis de les chauffer (en moyenne +7 °C par rapport à l’air ambiant), à l’image d’un hiver doux.
Le gel tardif a été reproduit à l’aide d’une boîte réfrigérée (soit un gel ponctuel de -5 °C) en ciblant la période de début de débourrement des bourgeons des branches chauffées.
Les branches ont été équipées de dendromètres pour mesurer leur croissance en diamètre, et de caméras pour observer le débourrement des bourgeons.
Les chercheurs ont également suivi l’évolution de la teneur en eau des bourgeons (elle traduit la réactivation des tissus végétaux à l’origine de la croissance) ainsi que leur teneur en sucres. Les sucres constituent la réserve alimentaire carbonée de l'arbre en hiver. Convertis en forme soluble durant les mois les plus froids, ils assurent sa survie. En outre, leur présence augmente la résistance de l’arbre au gel (le sirop de sucre gèle moins vite que l’eau).

1. Le terme débourrer fait référence à la bourre, un duvet végétal fait de poils enchevêtrés qui protège les ébauches d'organes dans certains bourgeons. Ce duvet est visible au moment de l’ouverture des bourgeons.

Des bourgeons qui débourrent plus tôt mais qui sont surtout plus sensibles au gel

Le premier résultat marquant est un effet net de la température sur la reprise de croissance primaire, avec une différence de 10 jours observée dans les conditions expérimentales. Concrètement, cela signifie que les branches chauffées débourrent, c’est-à-dire voient leurs premiers bourgeons démarrer 10 jours plus tôt que les branches non chauffées.

Le second point concerne la croissance secondaire. Si l’on n’a pas observé de différence dans la date de reprise, la croissance mesurée sur les branches chauffées s’avère cependant plus importante sur l’ensemble de la saison de végétation que sur les branches non chauffées : les branches chauffées sont plus longues et plus larges en diamètre, suggérant que l’activité cellulaire est plus importante quand les températures sont plus élevées.

Le chercheur en charge de l'expérience observant un des arbres à l'automne
Nicolas Dusart

« Nous voulions mettre en évidence un lien entre les 2 méristèmes, c’est-à-dire les tissus végétaux à l’origine des phénomènes de croissance : le méristème apical, permettant l’élongation des branches, et le cambium à l’origine de l’accroissement du diamètre. Un lien qui semble logique quand on évoque la continuité hydraulique entre les feuilles, le tronc et les racines. Nous avons été surpris d’observer un décalage entre croissance primaire et secondaire. Une explication plausible est que cela doit varier en fonction du type d’arbre », explique Nicolas Dusart, ingénieur en charge de l’expérience au sein de l’équipe « micro-environnement et arbre » de l’unité.

En effet, chez les feuillus, on distingue les arbres dont le bois est dit à zone poreuse, comme le chêne, et qui font des nouveaux vaisseaux avant de redémarrer la croissance (le cambium repart en premier) et des arbres dits à pores diffus, comme le noyer et le peuplier, chez lesquels le débourrement réactiverait d’abord la transpiration (c’est-à-dire les échanges d’eau entre la plante et l’extérieur qui sont à l’origine de la circulation de la sève) puis le cambium pour former du bois. Chez les conifères, le processus est simultané car ils conservent leurs feuilles en toutes saisons (et donc le processus de transpiration).

« Quant à la sensibilité au gel, on observe des bourgeons détruits sur les branches chauffées (et même parfois des atteintes du cambium) contrairement aux branches non chauffées. La différence de reprise de croissance induite par le chauffage est suffisante (10 jours de différence entre les deux modalités expérimentales) pour qu’un épisode gélif survienne pendant cette période-là et vienne altérer une partie des bourgeons », précise le chercheur.

Un arbre qui voit son architecture modifiée

En parallèle de la reprise de croissance, un épisode de faux printemps impacte l’arbre dans son architecture même. En effet, en chauffant de manière différenciée les branches des noyers, puis en gelant les arbres, les chercheurs ont observé que la partie la plus apicale des branches chauffées était détruite par le froid. Les dégâts cellulaires concernent les bourgeons et le cambium sur environ un tiers de la branche, ce qui entraîne une réelle modification de l’architecture de l’arbre.

Par ailleurs, en cas de gel tardif, la mortalité est plus forte dans les branches chauffées, qui ont commencé leur croissance plus tôt et sont donc plus sensibles au froid, que dans les branches non chauffées. En revanche, en l’absence de gel, la croissance est plus importante du côté chauffé, plus précoce. Il en résulte une asymétrie de l’architecture de l’arbre.

« Dans les vergers par exemple, cela pourrait avoir des conséquences sur la taille des arbres, laquelle pourrait être un des moyens de lutte face au gel. Néanmoins une meilleure compréhension de la remobilisation des réserves, et notamment les transports de sucres entre les branches, est nécessaire », indique Nicolas Dusart.

« Il existe un compromis nécessaire pour la vie des plantes, entre démarrer la croissance très tôt dans la saison pour avoir le temps de faire des branches ou bien éviter le gel tardif mais risquer un période de croissance plus faible avant les périodes de sécheresse de l’été. Et cela va conditionner la survie de l’arbre », conclut le scientifique.

Les deux phases de la dormance

À la fin de l’été ou au début de l’automne, les bourgeons de l’arbre rentrent en dormance. Ce processus durant lequel il n’y a plus de croissance apparente lui permet de passer la mauvaise saison. On distingue deux phases durant la dormance :

  • l’endodormance, pendant laquelle le méristème situé dans le bourgeon est protégé et inhibé par des paramètres physiologiques intrinsèques ;
  • l’écodormance, phase durant laquelle le méristème est dans des conditions physiologiques favorable à sa croissance mais a besoin de percevoir des facteurs environnementaux favorables (par ex. , des températures douces et /ou des jours plus longs).

La levée de l’écodormance se traduit par le débourrement du bourgeon, la reprise de la croissance primaire et la formation de nouvelles branches.
Des modèles utilisant les températures moyenne journalière permettent de définir la fin de ces deux étapes en prenant en compte l’accumulation de « besoin de froid » pendant l’endodormance et de « besoin de chaud » pendant l’écodormance.

Dans le cadre de cette expérimentatio,n les chercheurs ont installé les arbres dans la serre à la fin du mois de janvier pour s’assurer de la levée de l’endodormance et avoir des méristèmes perceptibles aux températures favorables à la croissance.

Références 

Nicolas Dusart, Félix Hartmann, Christophe C. Serre, M. Saudreau, Bruno Moulia, et al. Temperature heterogeneity at crown scale possible impact on tree architecture after late spring frost. From genes to plant architecture: the shoot apical meristem in all its states, Nov 2022, Poitiers, France. hal-03881001
Nicolas Dusart, Félix Hartmann, M. Saudreau, Bruno Moulia, Guillaume Charrier. Feedback of intracrown temperature heterogeneity on vulnerability to frost. 12TH INTERNATIONAL PLANT COLD HARDINESS SEMINAR, IPCHS, Dec 2021, Gathertown, Japan. pp.31. ⟨hal-03541135⟩

 

Contacts

Nicolas Dusart UMR Physique et physiologie intégratives de l’arbre en environnement fluctuant - PIAF (INRAE, Univ. Clermont Auvergne)

Guillaume Charrier UMR PIAF

Félix Hartmann UMR PIAF

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