Changement climatique et risques 4 min

Changement climatique : des modèles pour prédire la dormance hivernale chez le cerisier

La dormance hivernale est une phase cruciale du développement des arbres mais l’augmentation des températures menace son bon déroulement, mettant ainsi en danger la productivité des arbres fruitiers, très sensibles aux changements de température. Les chercheurs de l’unité « Biologie du fruit et pathologie » du centre INRAE Nouvelle-Aquitaine Bordeaux ont identifié les gènes impliqués dans le contrôle de la dormance chez le cerisier. Ils ont à partir de leurs données développé deux modèles pour prédire cette phase. La compréhension des mécanismes et ces outils de prédiction contribueront à mieux anticiper les changements à venir, notamment pour les sélectionneurs et les producteurs d’arbres fruitiers.

Publié le 13 janvier 2021

illustration Changement climatique : des modèles pour prédire la dormance hivernale chez le cerisier
© INRAE - A. Girard

Qu’est-ce que la dormance hivernale ?

Les plantes pérennes ont développé des stratégies diverses pour garantir leur survie dans des conditions environnementales non favorables. La dormance hivernale, notamment, est une phase de repos développemental qui protège les tissus reproductifs et méristématiques de toute dégradation par le froid et le gel. Chez les arbres des zones tempérées, la baisse des températures et la diminution de la longueur du jour à la fin de l’été déclenchent l’entrée en dormance des bourgeons végétatifs et floraux. La progression de la dormance au cours de l’hiver est ensuite conditionnée par les températures afin de garantir un débourrement et une floraison optimale dans des conditions favorables au printemps.

Dans le contexte du changement climatique, l’impact de l’augmentation des températures est déjà visible sur de nombreux aspects de la phénologie printanière : avancée marquée des dates de floraison et défauts de débourrement, ce qui peut avoir des effets dramatiques sur le développement et la production. Cette problématique est d’autant plus importante pour les arbres fruitiers qui sont très sensibles aux évolutions de températures, avec des impacts économiques importants, et des programmes d’amélioration longs et coûteux.

Une meilleure compréhension des mécanismes impliqués dans la régulation de la dormance par la température est donc un enjeu important. De nombreuses études ont mis en évidence certains mécanismes physiologiques et moléculaires impliqués dans le contrôle de la dormance : phytohormones, sucres, processus d’oxydo-réduction, gènes de dormance, régulation épigénétique. L’enjeu à moyen terme est d’exploiter ces connaissances pour développer des approches prédictives et simuler l’évolution de la dormance dans le contexte des futures conditions climatiques.

Des approches combinées pour comprendre la dormance des arbres fruitiers

Les chercheurs de l’unité « Biologie du fruit et pathologie » du centre INRAE Nouvelle-Aquitaine Bordeaux ont mené une étude sur tout le développement du bourgeon floral, de l’induction florale en juillet à la floraison au printemps, sur quatre variétés de cerisier caractérisées par des comportements de dormance contrastés. Les approches développées combinent physiologie (observations de développement des bourgeons), Chromatin immunoprecipitation-sequencing (ChIP-seq), RNA-sequencing (RNA-seq) et métabolomique sur les mêmes échantillons, permettant ainsi une analyse intégrative robuste.

Les résultats ont mis en évidence un lien entre certaines marques épigénétiques et les niveaux d’expression de gènes clés impliqués dans le contrôle de la dormance. Grâce aux analyses transcriptomiques, les scientifiques ont également montré que chaque stade de développement du bourgeon était caractérisé par des voies de signalisation bien spécifiques. La phase de pré-dormance est marquée par l’activation de gènes d’identité et d’organogénèse florale tandis qu’une forte concentration en acide abscissique (ABA) et l’expression de gènes impliqués dans la réponse au froid et les processus d’oxydo-réduction caractérisent la dormance profonde. Enfin, la reprise d’activité après la levée de dormance se manifeste par de la division et différentiation cellulaire.

Des modèles prédictifs mis au point chez le cerisier

Les chercheurs ont ensuite exploré ce jeu de données et de connaissances pour aller plus loin dans l’analyse et ils ont développé deux modèles qui prédisent les stades de dormance à partir de l’expression des gènes. Le premier modèle, développé avec des techniques d’apprentissage automatique (machine learning), est un outil de diagnostic permettant de prédire le stade de développement du bourgeon (pré-dormance, dormance profonde, levée de dormance) à partir de l’expression de sept gènes marqueurs. Le deuxième modèle mathématique repose sur l’hypothèse que la concentration en ABA est fortement corrélée avec la profondeur de dormance. Les scientifiques ont pu prédire les niveaux d’ABA et la date de sortie de dormance en utilisant l’expression de six gènes impliqués dans la biosynthèse et la dégradation d’ABA.

 

Premier modèle prédictif pour la dormance du bourgeon floral de cerisier doux. Une équation différentielle développée à partir de l’expression de six gènes impliqués dans la biosynthèse et la dégradation de l’ABA, pour la variété à floraison très précoceCristobalina’ et la variété tardive ‘Regina’, simule l’évolution de la concentration d’ABA au cours de la dormance. Le modèle est ensuite testé sur une troisième variété à floraison précoce, ‘Garnet’. Suivant l’hypothèse qu’un seuil d’ABA détermine la levée de dormance, le modèle prédit une date de levée de dormance pour les trois variétés, avec le bon ordre de précocité.

 

Les outils diagnostiques que développe l’équipe scientifique pourront être utilisés pour assister les sélectionneurs à anticiper l’impact de l’augmentation de la température sur la dormance, mais également en soutien aux producteurs pour déterminer au plus près le suivi des arbres et l’application de traitements. Le modèle ABA est une première étape vers l’intégration des voies moléculaires dans les modèles phénologiques. Avec l’intégration de l’effet quantitatif de la température, un tel modèle pourra simuler de façon robuste la phénologie des arbres fruitiers pour les différents scénarios climatiques.

 

Références :

Vimont N, Fouché M, Campoy JA, Tong M, Arkoun, M, Yvin JC, Wigge PA, Dirlewanger E, Cortijo S, Wenden B (2019) From bud formation to flowering: transcriptomic state defines the cherry developmental phases of sweet cherry bud dormancy. BMC Genomics 20:974. doi: doi.org/10.1186/s12864-019-6348-z

Vimont N, Quah FX, Schöepfer DG, Roudier F, Dirlewanger E, Wigge PA, Wenden B, Cortijo S (2020a) ChIP-seq and RNA-seq for complex and low-abundance tree buds reveal chromatin and expression co-dynamics during sweet cherry bud dormancy. Tree Genetics and Genome 16:9. doi: 10.1007/s11295-019-1395-9

Vimont N, Schwarzenberg A, Domijan M, Donkpegan ASL, Beauvieux R, Le Dantec L, Arkoun M, Jamois F, Yvin JC, Wigge PA, Dirlewanger E, Cortijo S, Wenden B (2020b) Fine Tuning of hormonal signaling is linked to dormancy status in sweet cherry flower buds. Tree Physiol tpaa122. doi: 10.1093/treephys/tpaa122

Les données de séquençage sont toutes disponibles en libre accès sur NCBI GEO (GSE141983, GSE130426). Les profils d’expression des gènes sont visualisables via une interface web interactive développée en parallèle de la publication (bwenden.shinyapps.io/DorPatterns).

Communication Nouvelle-Aquitaine Bordeaux

Contact scientifique

Bénédicte Wenden Unité mixte de recherche « Biologie du fruit & pathologie » BFP (INRAE-Université de Bordeaux)

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