Bioéconomie 3 min

Extraire des terres rares avec des plantes

Les terres rares sont des métaux d’importance stratégique dans nos économies. Mais leur extraction peut engendrer de graves problèmes environnementaux. Dans le contexte du développement de l’agromine, les chercheurs ont mis au point un procédé naturel d’extraction en utilisant des plantes capables d’accumuler ces métaux dans leurs feuilles. Des travaux plus fondamentaux ont permis de préciser les mécanismes d’accumulation de ces métaux dans la plante.

Publié le 04 mai 2020

illustration Extraire des terres rares avec des plantes
© INRAE

Quels sont les enjeux de ces terres rares ?

Jean Louis Morel : Les « terres rares » - cérium, indium, néodyme etc. (1) - sont indispensables dans de nombreuses branches de l’industrie, automobile, aéronautique et nouvelles technologies, puisqu’on les trouve dans les aimants permanents, écrans plats, smartphones, batteries, éoliennes, panneaux solaires etc. Les réserves mondiales connues de ces terres rares, en réalité pas si rares, se situent à 90% en Chine et constituent un enjeu économique stratégique de première importance. Certains modes d’extraction des terres rares sont peu vertueux sur le plan environnemental : ils consistent à excaver les matériaux porteurs de terres rares et à les déposer sur un film plastique puis à les lixivier avec des sels d’ammonium sur le principe de l’échange d’ions. Résultats : des sols mis à nu avec des risques d’érosion et beaucoup de fuites dans les eaux.

Ces procédés sont actuellement remplacés et, pour restaurer les sols exploités, on peut avoir recours à des plantes qui assurent un couvert et permettent de restaurer les écosystèmes. Certaines plantes ont en outre la particularité d’extraire et d’accumuler les terres rares dans leurs feuilles, qui sont ensuite traitées pour récupérer les éléments d’intérêt par les voies de l’hydrométallurgie. Cette solution, désignée par le terme générique d’« agromine » cumule deux avantages : empêcher l’érosion du sol et la contamination des eaux, produire de la biomasse d’intérêt et extraire les terres rares résiduelles. Il faut donc disposer des plantes adéquates et du procédé d’extraction des terres rares à partir de ces plantes.

Quel est l’état d’avancement de la recherche sur ce système d’agromine-terres rares ?

J-L M.  : Nous avons identifié une plante hyperaccumulatrice de terres rares, une fougère appelée Dicranopteris linearis (2). Cette plante est capable d’accumuler 0,2 à 0,3% de terres rares (en poids de matière sèche) dans les frondes (3). Quant à l’extraction des terres rares à partir de cette plante, plusieurs procédés, dont la faisabilité est actuellement attestée au stade pilote, ont été mis au point (4). Récemment, des travaux de recherche fondamentale sur la physiologie de la plante nous ont permis d’atteindre un point d’étape, en identifiant comment, et dans quels organes de la plante, les terres rares s’accumulent (5).

Qu’avez-vous montré ?

Image d’extrémités de feuilles de Dicranopteris linearis obtenue grâce au synchrotron
Image d’extrémités de feuilles de Dicranopteris linearis obtenue grâce au synchrotron. Alors que le potassium (K) et le calcium (Ca) sont présents dans une large partie de la feuille, le lanthane (La), le cérium (Ce), comme le manganèse (Mn), sont concentrés dans les deux zones de nécrose des tissus.

J-L M.  : Le résultat principal est que les terres rares s’accumulent dans les zones nécrosées des feuilles, jusqu’à 0,5% en poids. Nous l’avons montré pour deux terres rares, le lanthane (La) et le cérium (Ce), grâce à l’utilisation d’un synchrotron, qui permet de visualiser les éléments in situ dans les organes végétaux. En fait, nous avons observé que le lanthane et le cérium co-localisent avec le manganèse, dont l’accumulation provoque des zones de nécrose. Nous faisons l’hypothèse que, dans ces zones nécrosées, la désorganisation des cellules accélère l’évapotranspiration (6), qui a un effet de pompe aspirante. Les éléments tels que La, Ce, mais aussi l’aluminium - un autre métal toxique proche chimiquement de La et Ce - sont accumulés de façon passive dans cette zone « poubelle ». Cette zone sacrifiée concentre ainsi les éléments toxiques et permet de sauvegarder les autres cellules. Nous avons observé de plus que tous ces métaux co-localisent avec le silicium (Si), un élément qui les fixe sous une forme stable et participe ainsi à la détoxification.

Nous comprenons mieux désormais les mécanismes d’accumulation des terres rares dans Dicranopteris linearis, mécanismes qui diffèrent de ceux de plantes accumulatrices d’autres métaux (nickel, zinc), puisque celles-ci concentrent les métaux dans l’ensemble de leurs parties aériennes (tiges, feuilles, fleurs).

Quelles sont vos perspectives ?

J-L M.  : Dans le cadre de notre collaboration avec les Universités de Sun Yat-sen et du Queensland (7), nous allons tester d’autres plantes accumulatrices, par rapport à leur contenu en silicium qui peut nous servir de marqueur. Nous disposons d’une vingtaine d’espèces candidates. Un autre axe porte sur l’optimisation des procédés d’extraction avant tout changement d’échelle. Enfin, nous conduirons des analyses de cycle de vie et des analyses économiques de viabilité du processus.

 

  1. On désigne par « terres rares » un ensemble de 17 métaux de la classification périodique appelés « lanthanides », qui ont des propriétés voisines, auxquels s’ajoutent le scandium (Sc) et l’yttrium (Y).
  2. Collaboration avec l’Université Sun Yat-sen de Canton, qui a donné lieu à la création du LIA ECOLAND par l’INRAE et l’Université de Lorraine.
  3. Thèse de Wenshen Liu, 2019.
  4. LRGP (Université de Lorraine-CNRS, équipe de Marie-Odile Simonnot)
  5. Collaboration avec l’Université du Queensland (Australie)
  6. Chez les plantes, l’eau monte des racines vers les feuilles dans des vaisseaux très fins. Le mouvement ascendant de ces colonnes d’eau est provoqué par l’évapotranspiration (perte d’eau au niveau des feuilles via les stomates) qui crée un effet d’aspiration passive du bas vers le haut.
  7. Collaborations dans le cadre du LIA « Ecoland », et du Laboratoire joint « Sucre » entre l’Université de Lorraine et l’Université de Queensland.

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Pascale MollierRédactrice

Contacts

Jean Louis Morel, Guillaume EchevarriaUMR1120 LSE Laboratoire Sols et Environnement

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