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Etudier les toiles du passé pour comprendre le vieillissement des éco-matériaux du futur

COMMUNIQUE DE PRESSE - La conception de nouveaux éco-matériaux à partir de sources organiques renouvelables, comme le lin, pose la question de leur vieillissement et de leur durabilité dans le temps. Pour y répondre une équipe d’INRAE, de l’université Bretagne-Sud, du CNRS*, de l’université de Montpellier, du synchrotron SOLEIL, de l’université de Camerino (Italie) et du laboratoire de résonance magnétique « Capitani-Segre » du CNR (Italie), a étudié les fibres de lin issues des toiles de quatre tableaux italiens datés entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Leurs résultats, publiés le 7 novembre dans Journal of Cultural Heritage, montrent que les changements environnementaux (température, taux d’humidité) mais aussi certains traitements de conservation qu’ont pu subir les tableaux au cours des siècles, ont dégradé les fibres de lin. Ces résultats permettent de mieux comprendre le comportement que pourraient avoir les fibres dans les écomatériaux mais donnent également de précieuses informations pour la préservation et la conservation d’objets historiques.

Publié le 15 novembre 2021

illustration Etudier les toiles du passé pour comprendre le vieillissement des éco-matériaux du futur
© Pinacothèque civique d’Ascoli Piceno

Légende : "San Cristoforo", du peintre Giulio Benso (1592-1668), huile sur toile cm. 74x90 (inv. 162) en provenant de la collection du professeur Antonio Ceci (1920).

 

L’utilisation de ressources végétales renouvelables, comme les fibres de lin, pour concevoir des matériaux durables est un jalon essentiel pour une transition vers la bioéconomie se basant sur l’utilisation raisonnée de la biomasse. Mais ces nouveaux écomatériaux sont souvent confrontés à de la méfiance sur leur résistance et leur durée dans le temps comparés aux matériaux issus de pétro ressources. L’étude du vieillissement extrême pose des problèmes d’échelle de temps aux scientifiques qui sont souvent contraints de recourir à accélérer artificiellement les processus au laboratoire, au risque de s’écarter de la réalité. Le lin est une plante cultivée et utilisée pour la confection de divers objets depuis des millénaires, et notamment pour la confection de toiles de maître. C’est pourquoi l’équipe de recherche a étudié les fibres composant les toiles de quatre tableaux de la période Baroque, datés entre le XVIIe et le XVIIIe siècle et exposés à la pinacothèque d’Ascoli Piceno, en Italie, et dont les modalités de conservation ont été tracées. Ces travaux complètent ceux parus en septembre dans Nature Plants sur l’analyse de linge mortuaire égyptien daté de 4000 ans, de la même équipe française en collaboration avec le musée du Louvre, de FEMTO-ST (Besançon), du LMGC (Montpellier) et l’université de Cambridge.

Des méthodes d’analyse préservant l’intégrité des tableaux

L’un des défis de cette étude était les contraintes liées au prélèvement et l’analyse d’échantillons qui devaient impérativement préserver les toiles historiques, tout échantillon étant issu d’un objet patrimonial devant être restitué. 4 cm² ont été prélevés au dos de chaque toile dans des zones non visibles et qui ne dégradait pas l’œuvre. Par la suite, les chercheurs ont utilisé plusieurs méthodes d’analyse optique à très haute résolution pour étudier la structure des fibres des échantillons sans les dégrader. Ils ont utilisé la microscopie à force atomique[1] pour topographier la surface des échantillons et cartographier la rigidité des fibres à l’échelle nanométrique. Ils ont également eu recours à la microscopie biphotonique[2], la spectroscopie RMN[3] et la spectroscopie par infrarouge[4] pour analyser l’organisation, l’évolution de la biochimie et de la structure des fibres de lin composant les toiles.

Fibres de lin de tableau recouvertes des couches de différents matériaux (colle, plâtre, peinture...) vues au microscope électronique à balayage. © Anthony MAGUERESSE et Alessia MELELLI

Les variations dans l’environnement : le principal facteur de vieillissement

De façon contre-intuitive, les résultats montrent que les fibres issues de toiles âgées de quelques centaines d’années ont subi des dégradations plus marquées que celles millénaires des linges mortuaires d’Egypte. Un raidissement général a été mis en évidence dans presque toutes les fibres anciennes par rapport à un fil de lin moderne. Mais les fils des tableaux ont aussi montré d’autres défauts structuraux tels que des fragmentations de fibres à cause de l’oxydation mais aussi des attaques par des champignons qui ont fortement dégradé la structure des fibres en formant des « tunnels » et des fractures dans les fibres.

En termes de vieillissement, les fibres des tableaux ont vécu une mise en tension constante, mais elles ont aussi été exposées aux variations d’humidité et de température, à la pollution de l’air, pendant leur exposition dans des églises ou des collections privées avant leur acquisition par la pinacothèque. A ces facteurs s’ajoutent les effets d’autres agents de vieillissement comme de la colle, du plâtre et de la peinture qui peuvent plus les rapprocher aux objets de nouvelle génération comme les composites, chez lesquels plusieurs matériaux coexistent- souvent de nature très différente – pour former un nouveau matériau combinant et améliorant les propriétés des matériaux d’origine. Les scientifiques ont notamment mis en évidence que certaines techniques de conservation appliquées au XIXe siècle, comme le rentoilage fait à la colle de pâte, à base de farine et colle animale, ont contribué à dégrader les tableaux au long terme. Au final les tableaux ayant subi le plus de variations dans leur environnement ou ayant subi des traitements au cours de leur conservation sont les plus dégradés.

Ces travaux apportent de précieuses informations sur le comportement et l’évolution des performances des fibres naturelles. Ils sont à la fois utiles pour la conception d’éco-matériaux robustes et durables dans le temps, mais donnent également de précieuses informations sur l’état de conservation d’objets historiques. Si ces travaux portent sur le lin, la méthode est également applicable à d’autres fibres utilisées au cours de l’histoire, notamment le chanvre qui était utilisé pour le cordage et les voiles des navires. L’équipe étudie à présent des textiles en lin d’autres périodes et origines. En 2022, démarrera le projet ANR ANUBIS piloté par l’IRDL, en collaboration avec le Synchrotron SOLEIL, l’université de Cambridge, le musée égyptien du Caire et INRAE qui vise à caractériser le vieillissement de plusieurs objets d’art en lin plus ou moins âgés pour retracer leur histoire mais aussi comparer les méthodes d’extraction actuelles avec celles de l’antiquité.

 

* Les laboratoires CNRS impliqués sont l’Institut de recherche Henry Dupuy de Lôme (CNRS/Université de Bretagne-Sud/Université de Bretagne Occidentale/Ecole nationale supérieure de techniques avancées Bretagne) et le Laboratoire de mécanique et génie civil (CNRS/Université de Montpellier)


[1] La microscopie à force atomique repose sur le balayage de la surface d’un échantillon à analyser par une pointe très fine de quelques micromètres. Après un traitement informatique important du signal, il est possible d’établir la topographie de l’échantillon.

[2] La microscopie biphotonique est une technique d'imagerie optique qui combine la fluorescence pour imager des échantillons de manière non destructive jusqu'à environ un millimètre de profondeur. Elle permet de visualiser la structure et l’orientation interne des chaines de cellulose qui confèrent la résistance mécanique en traction aux fibres de lin.

[3] La spectroscopie RMN repose sur la résonance magnétique nucléaire, une propriété de certains noyaux atomiques à relâcher de l’énergie, c’est-à-dire se relaxer, après avoir été soumis à un rayonnement électromagnétique. La signature de relaxation récupérée correspond à une fréquence très précise, qui permet de décrire sous certaines conditions la composition et l’état d’organisation des molécules d’un échantillon à analyser.  

[4] La spectroscopie par infrarouge est une méthode non destructive qui traite de la région infrarouge du spectre électromagnétique. Cette technique est employée pour l'identification indirecte de la composition chimique d'un échantillon.

 

Références

- Alessia Melelli, Graziella Roselli, Noemi Proietti, Alain Bourmaud, Olivier Arnould, Frédéric Jamme, Johnny Beaugrand, Alice Migliori, Giuseppe Di Girolami, Paolo Cinaglia, Carlo Santulli. Chemical, morphological and mechanical study of the ageing of textile flax fibres from 17th/18th-century paintings on canvas. Journal of Cultural Heritage, 2021.  https://doi.org/10.1016/j.culher.2021.10.003

- Alessia Melelli, Darshil U. Shah, Gemala Hapsari, Roberta Cortopassi, Sylvie Durand, Olivier Arnould, Vincent Placet, Dominique Benazeth, Johnny Beaugrand, Frédéric Jamme & Alain Bourmaud. Lessons on textile history and fibre durability from a 4,000-year-old Egyptian flax yarn. Nature Plants, 2021, 7, 1200–1206. https://doi.org/10.1038/s41477-021-00998-8

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