Diversité des légumineuses : une ressource sous-exploitée dans l’industrie agroalimentaire

Les légumineuses permettent de diversifier les cultures, de réduire l'utilisation d'engrais de synthèse et de soutenir des régimes alimentaires plus végétalisés, tout en offrant une source de protéines complémentaire bénéfique pour la santé et l'environnement. Pourtant, une nouvelle étude INRAE-université de Toulouse publiée dans npj Science of Food révèle que, malgré une grande diversité d'espèces de légumineuses disponibles, l’industrie agroalimentaire intègre avant tout du soja dans ses produits. Cette prédominance du soja freine l’exploitation de cette biodiversité pourtant cruciale pour une agriculture plus résiliente et durable.

Les légumineuses : un levier essentiel pour la transition agroécologique, à condition de diversifier les espèces

En 2014, seulement 9 espèces cultivées représentaient 66 % de la production agricole mondiale. Cette faible diversité rend les cultures plus vulnérables aux ravageurs, au changement climatique et dépendantes des intrants de synthèse. Une transition vers des systèmes agricoles plus diversifiés est donc souhaitable. Les légumineuses ont un rôle clé à jouer dans cette transition agroécologique, en contribuant à diversifier les cultures, à réduire l'utilisation des engrais de synthèse et à soutenir des régimes alimentaires plus végétalisés, fournissant une source de protéines complémentaire, bénéfique pour la santé et l'environnement. Toutefois, pour réussir cette transition, il est essentiel que les systèmes agroécologiques intègrent une diversité de légumineuses, afin de permettre une adaptation aux différentes conditions pédoclimatiques.

Mais que sait-on réellement de cette diversité ? À l'échelle mondiale, le soja domine largement la production de légumineuses, avec 90 % de sa récolte destinée à l'alimentation animale. Une première analyse de la littérature scientifique mondiale avait révélé que le soja représentait la moitié des publications sur les légumineuses à graines, proportion atteignant même 60 % dans le domaine de l'alimentation humaine. Pour mieux comprendre la place du soja dans notre alimentation et évaluer celle des différentes légumineuses, les chercheurs ont entrepris une analyse des ingrédients utilisés par l'industrie agroalimentaire à l'échelle mondiale.

Évaluer la diversité des légumineuses utilisées par l'industrie agroalimentaire grâce à une analyse textuelle à grande échelle

Pour évaluer la présence des légumineuses à graines présentes dans les produits alimentaires, les scientifiques ont utilisé un algorithme d’analyse textuelle développé pour scruter les listes d’ingrédients des produits alimentaires. Cet outil a été appliqué à plus de 350 000 produits alimentaires transformés issus de la base mondiale Mintel GNPD, couvrant 80 pays. À l'aide de mots clés, les chercheurs ont pu identifier tous les produits agroalimentaires recensés dans la base, pouvant contenir une légumineuse, puis scruter la diversité des espèces utilisées en se concentrant sur les légumineuses, sur la dernière décade (2010-2021). Plusieurs catalogues de nomenclatures des espèces ont été consultés pour identifier la totalité des espèces utilisées à l'échelle mondiale, parvenant à un très faible pourcentage de termes trop ambigus pour être clairement identifiés. Les ingrédients ont été classés selon leur rang dans la liste des ingrédients. Cette analyse a également intégré celle des mentions figurant dans la description des produits, permettant ainsi de mieux comprendre les qualités attribuées aux produits.

Une biodiversité sous-exploitée, dominée par le soja

L'étude a révélé une grande diversité d'espèces de légumineuses à graines (32 espèces) utilisées par l'industrie agroalimentaire, mais aussi qu'elles sont pour la plupart très peu représentées dans les produits transformés. 

Parmi près de 350 000 produits analysés et issus de plus de 80 pays du monde, 73 % contiennent du soja, 8 % contiennent du soja associé à d'autres légumineuses, tandis que seulement 19 % incluent d'autres légumineuses, principalement le pois, le haricot, le pois chiche et la lentille, qui représentent 82 % des ingrédients de légumineuses non soja. Le soja, souvent utilisé comme additif de produits aux formulations complexes, domine également lorsqu'on examine que les 5 premiers ingrédients des produits.

Bien que le marché reste largement centré sur le soja, l'étude observe une hausse significative de l'intérêt pour les autres légumineuses, en particulier pour les produits laitiers et les desserts, pour lesquels le recours à des légumineuses autres que le soja croît davantage que les produits à base de soja. Au cours des 3 dernières années, c’est en Europe que cette diversification est la plus marquée par une croissance de la mise sur le marché de produits contenant d'autres légumineuses que le soja. Ceux-ci représentent ainsi autant de nouvelles références que de produits contenant du soja dans leurs 5 premiers ingrédients. Le pois protéagineux arrive en tête de cette évolution, soutenu par un important développement des recherches sur l'amélioration des semences et des procédés de transformation du pois ces dernières années, suivi par le pois chiche et la lentille. L'étude souligne également que la manière dont ces espèces sont utilisées et promues dans les listes d'ingrédients et sur les emballages reflète une tendance de l'industrie agroalimentaire à privilégier les fonctionnalités des ingrédients plutôt que leur diversité biologique. Des différences régionales sont également observées, reflétant probablement des particularités alimentaires locales et les programmes de soutien public à la consommation de légumineuses.

Vers une diversification accrue de l’offre alimentaire

Les légumineuses peuvent jouer un rôle dans la transition agroécologique à condition que leur diversité soit réellement exploitée, tant dans les champs que dans les rayons des supermarchés. Les résultats de cette étude sont encourageants, tout en indiquant que la concentration du marché sur certaines espèces dominantes, et en particulier sur le soja, constitue un frein à la diversification, malgré l'évolution perceptible en faveur d'autres légumineuses, notamment en Europe. Ils seront à compléter par une analyse des choix des consommateurs. Ces travaux ouvrent également d’importantes perspectives dans la manière de suivre l’évolution de la diversité des espèces mobilisées dans l’offre alimentaire afin de construire un indicateur de biodiversité marchande.