illustration Danaï Symeonidou, tisseuse de connaissances
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Société et territoires 5 min

Danaï Symeonidou, tisseuse de connaissances

Sa toile est le « web sémantique »… Danaï Symeonidou est chercheuse en intelligence artificielle à l’unité Mathématiques, informatique et statistiques pour l'environnement et l'agronomie (Mistea) du centre INRAE Occitanie-Montpellier. L’informatique est pour elle le moyen de relier, connaître et transmettre. Et de conjuguer deux passions : chercher et enseigner. Très pédagogue, elle est animée d’une curiosité communicative

Publié le 03 mai 2019

« Le web sémantique a pour but de transformer le web d’aujourd’hui en texte structuré et interprétable par les machines. Dans un premier temps, on cherche des ‘clés’ pour identifier les données. Dans les données structurées en RDF*, les informations sont décrites par des triplets ‘objet/propriété/valeur’ tels que ‘Personne/Prénom/Danaï’ ou encore ‘Plante/Variété/Gariguette’. Ensuite, on élabore des ontologies qui schématisent la hiérarchie et les corrélations entre données. Par exemple une ontologie va dire qu’une personne peut être mariée avec une autre personne, mais pas avec un animal ». Avec beaucoup de pédagogie, Danaï nous initie à ses travaux dans ce domaine plein de promesses. Pour elle, enseigner et transmettre les connaissances vont de pair… Sur les bancs de l’école, elle s’imaginait déjà enseignante. Durant ses études universitaires, elle s’oriente vers l’informatique, qui « aide à trouver des réponses à des questions dans n’importe quel domaine ». Elle a l’opportunité de suivre un double cursus entre Grèce et France, et, c’est son stage de Master à l’université Paris-Sud qui l’attire vers la recherche. Elle enchaîne alors avec une thèse dans le web sémantique. Des compétences qui ont motivé son recrutement à l’Inra en 2015 après quelques mois de post-doc… Ce poste permanent lui offre l’opportunité d’une carrière de chercheuse déjà féconde, qu’elle savoure après la tension de la thèse.

Big data et web sémantique

Pour aborder le big data du web, formé de données très hétérogènes et de sources très diverses, « le liage de données est très important parce qu’il va permettre de construire un ‘web des données’ et de partager la connaissance avec les autres labos » explique Danaï. Durant sa thèse, elle met au point des algorithmes pour trouver des clés aptes à relier les données. Plus tard, ses premiers travaux à l’Inra portent sur l’analyse de données œnologiques, à travers des taux de présence de différents composants associés à l’arôme d’un vin. Elle aborde alors un monde nouveau pour elle : les données agronomiques. Pour cela, elle doit adapter ses méthodes aux données numériques et collaborer avec plusieurs collègues, dont des statisticiens et des experts aptes à valider certains résultats issus de données expérimentales. « J’avais besoin de voir ce qu’ils faisaient, nous n’avions pas forcément le même vocabulaire. C’était intéressant ! » Elle découvre aussi des connaissances nouvelles qui ne peuvent pas être validées par des experts mais le seront avec des résultats similaires obtenus sur un nombre beaucoup plus important de données. Ses travaux s’inscrivent par définition dans une science ouverte : « Quand on obtient des algorithmes on a en général un outil qu’on peut mettre à disposition de la communauté scientifique. Je viens d’un milieu où il est normal et évident de partager. Sans mettre à disposition les données utilisées, la méthode implémentée, on ne donne pas les moyens de reproduire ce qu’on a fait, ce qui peut nous empêcher d’être publiés. »

Je viens d’un milieu où il est normal et évident de partager

En 2017, dotée d’une bourse Agropolis, Danaï part en mission 14 mois en Irlande pour apprendre à travailler sur des algorithmes « génétiques ». Elle décrypte : « on fait l’analogie avec le généticien qui, à partir de deux parents, essaie de construire un descendant doté de meilleures qualités que ses deux géniteurs. On enchaîne ainsi des combinaisons différentes de plusieurs algorithmes pour en augmenter la qualité, que nous évaluons par des scores à chaque fois. » Forte de ce savoir-faire, Danaï va maintenant élargir ses recherches pour exploiter, dès septembre, avec l’aide d’un doctorant qu’elle co-encadrera, les avalanches de données enregistrées quotidiennement par les robots d’une plateforme de phénotypage sur les plantes et leur environnement. « On voudrait en déduire de nouvelles connaissances. Par exemple, quel événement fait augmenter la production ? Que pouvons-nous apprendre de ces données pour mieux gérer, arroser, tailler… » explique-t-elle. En parallèle, elle s’intéresse aux données de la station œnologique expérimentale de Pech Rouge, avec l’aide d’un stagiaire. « On va essayer d’amener les gens à structurer leurs données, à utiliser des ontologies » et, dans les deux cas, progresser sur la connaissance des impacts du changement climatique sur les plantes et leurs produits.

La vocation d’enseigner

« On travaille sur une connaissance, on essaie de comprendre tout ce qui a été fait, ensuite d’améliorer, puis d’amener une nouvelle connaissance et la mettre à disposition. Pour moi, enseignement, encadrement, transfert de connaissance, c’est juste très important ! Encadrer une thèse, c’est difficile, il faut apprendre à donner les bons conseils, mais j’aborde cette nouvelle expérience comme une période que je vais vraiment apprécier » se réjouit Danaï.

Actuellement, elle contribue aussi à la formation « datascience », organisée par Montpellier SupAgro. Ce goût d’enseigner a probablement été l’un des moteurs de sa maîtrise de la langue française : « à Paris Sud, j’étais la dernière et la première à enseigner en anglais, j’avais insisté pour pouvoir le faire. Ils ont accepté mais m’ont demandé de me mettre au français. J’ai beaucoup pratiqué avec des amis et c’est venu, petit à petit ». La langue n’a pas été un problème au moment de postuler à l’Inra. Danaï a rendu son dossier en anglais et s’est exprimée en français lors de l’oral : « le jury a vu que je serai capable de parler avec mes futurs collègues et que je maîtrisais les deux langues ».

Une vie de jeune chercheuse

Même si, se souvient Danaï, « la vie en thèse n’était pas si évidente car la compétition pour la bourse était rude », elle y bénéficiait d’un encadrement. Une fois chercheuse, changement radical ! À elle d’encadrer des étudiants et d’avoir la liberté de construire par elle-même ses outils comme son réseau. Elle monte ainsi un cycle de séminaires dont le premier vient de se dérouler « Les séminaires ont beaucoup d’impact pour les chercheurs. Non seulement pour collaborer, mais aussi pour connaître les travaux, échanger, s’inspirer. À partir d’une idée, on monte un projet, une publication conjointe ». Au moins une fois par an, elle présente ses travaux devant 300 à 500 scientifiques lors de conférences scientifiques internationales, dont les proceedings valent publication scientifique dans sa discipline : « C’est très motivant et intéressant comme partage de savoir. On se met à jour sur plein de choses. J’aime beaucoup présenter aussi ». Comme tout chercheur, son quotidien est également marqué par la recherche récurrente de financements.

 

Apprendre c’est pour toujours, on n’a jamais fini

 Elle confie avoir jusqu’ici pour seule ligne de conduite « je vois quelque chose de très intéressant, je candidate ». En postulant à l’Inra, elle redoutait de manquer d’expérience mais ses encadrants l’ont encouragée. « Aujourd’hui ils me disent : tu as vu ? cela a marché ! Je suis très contente ! » Et elle plaisante ensuite : « pour tous mes amis, les questions du moment sont : as-tu fait des enfants ? as-tu une maison ? ». Sa vie est en train de se fixer loin de la ville de son enfance et de sa famille en Grèce mais elle se sent bien à l’Inra où elle travaille dans une équipe jeune « qui bouge beaucoup », comme dans la ville de Montpellier dynamique, tout en restant à taille humaine, dont le climat lui est familier. Et après le boulot ? Très curieuse, elle aime faire du bricolage, des meubles en bois, de la couture, un peu de peinture, et découvrir du nouveau. Elle voyage aussi beaucoup pour son travail et pour voir sa famille. « Mon frère, en post-doc à Luxembourg, apprend le français. Je lui ai dit : Apprendre c’est pour toujours, on n’a jamais fini ! ».

* RDF : Resource Description Framework 

 

Nicole LadetRédactrice

Contact scientifique

Danaï Symeonidou unité Mathématiques, informatique et statistiques pour l'environnement et l'agronomie (INRAE, Montpellier SupAgro, Univ. Montpellier)

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