Société et territoires 5 min

Conversion AB : des exploitations moins vulnérables, des éleveurs plus satisfaits

Technique, économique ou encore humaine, les transitions qui jalonnent la conversion en AB ne sont pas dénuées d’aléas, au point que cette étape pourrait rendre les exploitations qui s’y engagent plus vulnérables. Plutôt le contraire ! Dans l’Aveyron, les éleveurs bovins laitiers se disent globalement satisfaits de leur situation et ont le sentiment que leurs exploitations sont moins vulnérables.

Publié le 03 août 2020

illustration Conversion AB : des exploitations moins vulnérables, des éleveurs plus satisfaits
© INRAE, Hervé Cochard

Une transition agroécologique au service de l’environnement et de la santé, des valeurs renouvelées … l’agriculture biologique (AB) progresse en France et séduit un nombre croissant d’agriculteurs.  Aujourd’hui, ce sont quelques 41 600 exploitations engagées en AB soit 17 % de plus qu’en 2017 (Agence Bio, 2019).

Des chiffres qui laissent rêveurs (ou presque) mais qui ne doivent pas faire oublier les changements de pratiques, d'interlocuteurs de conseil et autres sources d’incertitudes sans valorisation immédiate qu’engendre la nécessaire période de conversion en AB – p. ex., pour les éleveurs bovins laitiers ce sont 18 à 24 mois durant lesquels le prix du lait qui leur est payé est proche du prix conventionnel alors que toutes les fournitures doivent être certifiées AB avec un prix supérieur.

Dans un contexte particulièrement difficile en élevage laitier du fait de crises successives, de plus en plus d’agriculteurs se convertissent à l’AB dans l’espoir d’améliorer leur situation. Qu’il s’agisse de faire face, de s’adapter ou de se remettre des effets des changements internes (respect d'un nouveau cahier des charges…) et des aléas externes (aléas climatiques...), la satisfaction des agriculteurs facilite la mise en œuvre du changement et place ceux-ci dans des dispositions propices au développement de leur capacité d'adaptation. 

S’intéressant à 19 exploitations laitières du Sud-Ouest de la France qu’ils ont suivies de la dernière année en agriculture conventionnelle jusqu’à la première année certifiée en AB, des scientifiques INRAE et leurs collègues ont exploré l'évolution de la satisfaction des éleveurs et des stratégies d'adaptation mises en œuvre. Leur but : savoir si et comment les agriculteurs pouvaient améliorer leur satisfaction - qu’il s’agisse de la situation économique de leur exploitation (satisfaction économique), de l’état des sols et des cultures (satisfaction agronomique) ou de celui du troupeau (satisfaction zootechnique), des relations avec la famille, les voisins et la société (satisfaction sociale) ou encore de leurs conditions de travail - et ainsi réduire la vulnérabilité de leur exploitation.

Des exploitations qui évoluent, des exploitants globalement satisfaits

Ces exploitations ont évolué vers des systèmes davantage basés sur les prairies et le pâturage avec une réduction du niveau d’intensification des sols (chargement animal par unité de surface…) et du troupeau (complémentation des rations avec des aliments concentrés...), gagnant ainsi en autonomie et en économie : certaines, déjà proches des conditions AB, ont connu des changements modérés ; d’autres, plus éloignées, ont vécu des changements importants : réimplantation de prairies, remise en place du pâturage, changement de races laitières...

A la fin de la conversion AB, les éleveurs étaient globalement satisfaits - tous étaient satisfaits de leurs situations économiques, la plupart étaient satisfaits de leurs performances agronomiques - jugeant que leur situation s’était améliorée. Les exploitations pouvaient être partagées en trois groupes :

  • celles qui témoignaient d’une amélioration de la satisfaction zootechnique (10/19)  – moins de problèmes sanitaires sur le troupeau, meilleure qualité de lait ;

Certains éleveurs expliquaient leur ressenti par les bénéfices d’une baisse du nombre de vaches et du changement d’alimentation vers plus de pâturage, se sentant plus attentifs à chaque animal.

  • celles qui mettaient en avant une très bonne satisfaction économique et une stagnation ou une détérioration de la satisfaction zootechnique (6/19) ;

Les éleveurs expliquaient leur satisfaction économique notamment par les aides financières reçues pendant la conversion (PAC et laiterie), par la satisfaction de leur première paie en AB et par la baisse de leurs charges opérationnelles du fait d’une année climatique favorable au pâturage pendant leur deuxième année de conversion. Cette satisfaction économique leur permettait de se sentir moins vulnérable avec plus de marge de manœuvre pour l’avenir, et cela renforçait leur capacité à faire face aux changements.

Concernant la satisfaction zootechnique, certains avaient vu la qualité et la quantité de lait produit chuter lors du premier hiver en AB et cherchaient des solutions pour y faire face. Cette satisfaction zootechnique est un facteur important pour la confiance des éleveurs envers eux-mêmes et envers leur système, elle est nécessaire pour être moins vulnérables et se sentir capable de changer des choses.

  • celles qui montraient des satisfactions agronomiques et sociales plus basses que les autres groupes (3/19).

Dans une des exploitations, les résultats des essais de semis direct mis en place pendant la conversion ont été décevants. Dans une autre, ce sont les rendements en céréales et prairies.  Concernant la satisfaction sociale, dans deux exploitations, les relations sociales avec le monde non agricole se sont améliorées. Soutien émotionnel important, ces interactions positives peuvent générer des opportunités économiques (p. ex. vente directe) ce qui permet de réduire la vulnérabilité. A l’inverse, les relations avec les voisins agriculteurs se sont détériorées. Dans la communauté agricole, la solidarité entre agriculteurs voisins est importante en cas de problème sur l’exploitation, et/ou lors des chantiers collectifs et une détérioration de ces liens accroit la perception de vulnérabilité des agriculteurs.

A noter que les satisfactions économiques et sociales, qu’il s’agisse de leur évolution ou de leur niveau final, ont été évaluées positivement par la majorité des agriculteurs, un résultat qui souligne l’importance, lors de la conversion, de la compensation financière, c’est-à-dire la rentabilité de l’activité et la compensation sociale, c’est-à-dire la reconnaissance par la société, pour augmenter la satisfaction.

Le potentiel de la conversion AB comme levier de réduction de la vulnérabilité des élevages laitiers

Même s’il n’a pas été possible d’établir de lien entre stratégies d’adaptation et évolution de la satisfaction, la conversion à l’AB diminue la perception qu’ont les agriculteurs de la vulnérabilité de leurs exploitations, loin des incertitudes et des risques agronomiques et économiques souvent évoqués.
La prise en compte des objectifs des agriculteurs et des compromis qui leur sont importants est une composante essentielle de l’accompagnement à la conversion.

 

 

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Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

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Guillaume Martin UMR Agroécologie, innovations, territoires (INRAE, INP Toulouse)

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