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Comment améliorer la mesure des récoltes de bois en Europe ?

En juillet 2020, une étude publiée par une équipe du Centre commun de recherche (CCR) de l’Union européenne annonce que le niveau de la récolte de bois en Europe aurait bondi de 49 % sur la période 2016-2018, en comparaison à 2011-2015. L’information a surpris les acteurs forestiers, chercheurs, gestionnaires ou acteurs des politiques publiques. Les statistiques forestières nationales des pays européens n’ont en effet détecté aucune variation qui conclurait à une telle hausse.

Publié le 20 juillet 2021

illustration Comment améliorer la mesure des récoltes de bois en Europe ?
© Jean-Pierre Muller / AFP

Dans son étude, le CCR relie cette progression à l’impulsion induite par la stratégie en faveur de l'usage du bois, voulue par l’Europe pour contribuer à la transition écologique. Or si une hausse de la récolte de l’ampleur de celle mesurée par l’équipe du CCR ne remettait pas forcément en question la durabilité de la gestion forestière, elle suggère cependant une mise en œuvre incontrôlée des politiques forestières publiques des pays européens.

Alors que la séquestration de carbone dans les forêts atteint 10 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne, c’est leur rôle dans l’atténuation du changement climatique qu’interroge cette annonce.

 

L’étude du CCR déclenche rapidement une vague de réactions dubitatives ou contradictoires de la part des acteurs en charge du suivi forestier en Europe : Finlande, Norvège, Suède, mais aussi l’Institut forestier européen et le Réseau européen des inventaires forestiers nationaux (ENFIN) émettent des réserves quant aux chiffres publiés par le CCR.

Plusieurs réponses scientifiques à l’étude de l’équipe du CCR sont alors publiées : le débat est lancé.

Mesurer la récolte de bois

Suivre la forêt à l’échelle d’un pays n’est pas une mince affaire. Pour mesurer la récolte de bois, le CCR s’est appuyé dans son étude sur une approche fondée sur la télédétection.

Des cartes du couvert forestier produites par le Global Forest Watch à partir d’images satellites ont été utilisées pour évaluer la surface des trouées apparaissant chaque année dans la canopée. Cette méthode innovante est aussi inhabituelle, d’où la difficulté technique à valider ou infirmer les résultats du CCR.

Cartes du couvert forestier produites par le Global Forest Watch à partir d’images satellites

 

Puisqu’on ne peut placer un observateur derrière chaque arbre, l’estimation de la récolte de bois à l’échelle d’un pays se fait ordinairement en recoupant et extrapolant différentes sources d’information qui ne donnent chacune qu’une vision partielle du phénomène.

En France, trois sources d’informations

En France, l’Inventaire forestier national (IFN) estime chaque année par une méthode d’échantillonnage statistique le volume de bois prélevé dans les forêts de production. L’essentiel de la quantité prélevée est perçu par l’IFN, mais il lui faut faire la part dans ce total de la récolte de bois et des résidus d’exploitation qui demeurent sur place.

De son côté, le ministère en charge des forêts mène chaque année une enquête annuelle auprès des professionnels de la filière bois. Elle renseigne sur les volumes de bois transformés en France, mais la partie non commercialisée reste en dehors de son champ de vision.

L’enquête logement de l’Insee fournit une troisième source d’informations sur l’autoconsommation de bois par les ménages. Ce sont ces différentes sources de données qu’il faut articuler pour atteindre une vue consolidée de la récolte.

Événements conjoncturels

À la difficulté d’appréhender la récolte de bois à une vaste échelle spatiale s’ajoute celle de faire la part, dans la série temporelle des récoltes de bois, de ce qui relève de leur évolution structurelle dans le temps et de ce qui n’est qu’une variation conjoncturelle.

En 2009, la tempête Klaus a mis à terre 43 millions de m³ de bois dans les Landes de Gascogne, un volume comparable à la récolte moyenne annuelle française. Une bonne partie de ce volume a été ramassée, induisant un pic de récolte de bois en 2010.

Selon la prise en compte ou non de cet événement dans les calculs de tendance, des perspectives bien différentes ressortent sur l’évolution de la collecte.

La forêt landaise après le passage de la tempête Klaus en décembre 2009. © Photo AFP / Loic Venance

La récolte de bois suit sa tendance

Quand il s’agit de comparer les données de récolte obtenues par télédétection aux statistiques forestières nationales, l’étude du CCR prend en compte le pic de récolte de 2010 en France. Mais elle ne le fait plus quand il s’agit d’évaluer une éventuelle rupture dans la série temporelle de la récolte de bois obtenue par télédétection.

En tenant compte du pic de 2010, une ré-analyse statistique des données mêmes du CCR révèle que le changement le plus fort a eu lieu en 2012 et non pas en 2016 et qu’il s’est agi d’une baisse de 24 % de l’intensité de récolte plutôt que d’une hausse de 49 %. Un seul événement, la tempête Klaus de 2009, suffit donc en France à inverser la perception que l’on peut avoir de l’évolution de la récolte sur la période 2004-2018.

Par ailleurs, si la télédétection comme moyen de détection des trouées dans la canopée a l’avantage de couvrir les forêts in extenso, elle a l’inconvénient de ne pas en identifier la causalité : exploitation forestière et son intensification, mais aussi renouvellement forestier, incendie, chablis, défoliation par les insectes, ou autre.

Mais plus encore, les cartes du couvert forestier du Global Forest Watch indiquent une augmentation généralisée des surfaces de trouées à partir de 2016 qui ne semble causée par aucun facteur naturel. Cette augmentation, qui est observée sur tous les continents et pas seulement en Europe, est en fait un artefact lié à une modification en 2015 de l’algorithme du Global Forest Watch.

Une augmentation stable

Mis bout à bout, ces résultats de contre-études amènent le débat scientifique à converger vers une réalité moins extraordinaire que ce qu’annonçait l’étude du CCR. La récolte de bois en Europe a bien augmenté sur la période 2016-2018 par rapport à 2011-2015, mais à un taux qui reste en phase avec les objectifs des politiques forestières publiques des pays européens.

De plus, les volumes forestiers ayant dans le même temps augmenté à un rythme important, la hausse de la récolte ne signifie rien de plus que la stabilité de l’intensité d’exploitation.

Quelles gestions forestières pour demain ?

Le débat scientifique sur la récolte de bois en Europe est bien plus qu’une querelle méthodologique. Il se place dans un contexte où les paradigmes et les modèles de gestion forestière sont fortement débattus et où les chiffres publiés sont repris dans une discussion publique sur l’avenir souhaité de nos forêts.

La nécessaire évolution vers une économie moins carbonée qu’impose le changement climatique amène à envisager divers scénarios possibles pour la gestion forestière, qui doivent être raisonnés à l’échelle locale, avec des complémentarités entre différentes options de gestion mais aussi parfois des clivages entre possibilités qui s’excluent.

Les résultats de la science sont projetés dans la sphère publique et ils peuvent être soit instrumentalisés, soit relativisés dans leur portée.

Observer la forêt

Différents composants sont nécessaires pour opérer des choix forestiers éclairés. Une leçon à tirer du débat sur la récolte de bois en Europe est finalement que les dispositifs d’observation de la forêt sont un élément incontournable.

Le lancement d’une couverture Lidar haute densité de la France dans le cadre du plan de relance va dans le bon sens, mais il ne faudra pas oublier que les méthodes de télédétection ne sont pleinement efficaces que lorsqu’elles sont combinées à des mesures de terrain. La consolidation de l’IFN et des réseaux de parcelles permanentes forestières est donc tout aussi essentielle.

Système d’information paneuropéen

À l’échelon européen, l’intégration des données forestières des pays européens au sein d’un système d’information paneuropéen est une nécessité. Une résolution du Parlement européen d’octobre 2020 a souligné cette priorité.

La future stratégie forestière européenne, si elle parvient à apaiser les débats clivants sur l’avenir de nos bois, sera la prochaine étape dans cette construction.

 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Nicolas Picard Directeur du GIP ECOFOR, chercheur en sciences forestièresGIP ECOFOR

Erwin Dreyer Directeur de recherches, chargé de mission en écologie et écophysiologie forestièresUMR Silva

Jean-Daniel Bontemps Silvologue, directeur de recherche, directeur du Laboratoire d’inventaire forestier (LIF/IGN)Laboratoire d’inventaire forestier (LIF/IGN)

Pascal Marty Professeur de géographie de l’environnementUniversité Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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