Alimentation, santé globale 3 min

Chauves-souris soit, qui mal y pense ?

On les décrit comme réservoirs de virus, nuisibles, voire vampires. Dans l’imaginaire de nombreuses sociétés, ce sont des pestiférées, véhiculant l’image du diable. C’est dire si les chauves-souris peuvent avoir mauvaise presse ! Mal aimées, elles sont surtout mal connues… Car ces clichés ignorent leurs rôles essentiels dans l’équilibre de nos écosystèmes... Faisons la part du vrai et du faux avec l’aide de trois chercheurs INRAE, Mickaël Henry, Nathalie Charbonnel et Eric Petit.

Publié le 07 juillet 2020

illustration Chauves-souris soit, qui mal y pense ?
© Maxime Leuchtmann
Chauve souris Rhinolophus hipposideros © Maxime Leuchtmann

Chauves-souris… un seul mot pour désigner une diversité impressionnante : 1 400 espèces sont connues à travers le monde, et l’inventaire n’est pas terminé ! L’ensemble de ce groupe forme l’ordre des Chiroptères, étymologiquement « main ailée », et rassemble un quart des Mammifères… Il s’agit du 2e ordre le plus riche en espèces différentes chez les Mammifères, après les rongeurs. Or l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) estimait en 2019 que 15 % d’entre elles étaient menacées et que 18,4 % pourraient l’être aussi (en attente de données). Trente-cinq espèces sont connues en France, dont huit menacées. Comme de nombreux autres vertébrés, elles sont en effet victimes de la destruction de leurs habitats naturels accompagnant le développement des activités humaines, ainsi que de la raréfaction des insectes dans les agrosystèmes modernes. Dans certaines régions elles ont été ou sont persécutées en raison de croyances populaires, voire chassées pour l’alimentation humaine.
> En savoir plus sur l'effet du paysage sur les populations de chauves-souris en vidéo (travaux CNRS-INRAE)

Infographie sur la diversité des chauve-souris

Coupables de l’émergence de Covid-19 ?

Le nouveau coronavirus (SARS-CoV-2) responsable de l’épidémie humaine de Covid-19 n’a, à ce jour, jamais été identifié chez les chauves-souris par les scientifiques. Elles sont cependant connues pour héberger naturellement d’autres coronavirus. Une séquence génétique très apparentée à SARS-CoV-2 a même été identifiée chez Rhinolophus affinis, une espèce de chauve-souris présente dans la province chinoise de Yunnan, où se sont déclarés les premiers foyers de l’épidémie. Le scenario actuellement privilégié par les scientifiques serait que le virus SARS-CoV-2 soit issu d’une mutation ou de la recombinaison génétique d’un virus très proche. Cet événement aurait pu se produire chez un mammifère consommé par l’humain, tel qu’un pangolin ou une civette, lui-même au préalable infecté par un coronavirus véhiculé par les chauve-souris, voire co-infecté par un autre virus. Une autre hypothèse est que cet événement se soit déroulé directement chez l’humain, après infection par un virus d’origine animale. Ce sont la chasse, la vente et la consommation d’animaux sauvages qui auraient permis l’exposition de l’humain à de nouveaux coronavirus.

Ce sont la chasse, la vente et la consommation d’animaux sauvages qui auraient permis l’exposition de l’humain à de nouveaux coronavirus.

Réservoirs hors norme de virus ?

Chauve-souris Myotis bechsteinii © Maxime Leuchtmann

Les chauves-souris peuvent présenter des caractéristiques écologiques et comportementales qui facilitent la circulation de virus. Par exemple, elles peuvent se rassembler en de très larges colonies de plusieurs milliers, voire millions d’individus, parfois constituées de plusieurs espèces. Ce sont également des espèces longévives : grâce au baguage, on peut estimer leur espérance de vie entre 10 et 20 ans, voire plus de 41 ans pour l’individu le plus âgé connu à ce jour, une chauve-souris d’environ 7 g … ce qui, potentiellement, les expose à davantage de virus au cours de leur vie comparativement aux autres mammifères de taille similaire. Certaines espèces hibernent avec une suppression quasi-totale de leur immunité, alors que, durant la période active, certaines caractéristiques de leur système immunitaire, unique chez les Mammifères et plus efficace contre les infections, leur confèreraient une forte capacité à limiter la réplication virale. Ceci expliquerait, en partie au moins, l’absence de symptômes et de mortalité lors de la majorité des infections virales chez les chauves souris. Enfin, leur capacité de vol actif, unique chez les mammifères, permet la dispersion des agents pathogènes dont elles sont réservoirs, parfois sur de longues distances. Cependant, malgré ces caractéristiques, il ne semble pas que les chauves-souris soient les réservoirs d’un nombre excessivement élevé de virus, comparativement à d’autres vertébrés et compte-tenu de leur forte diversité spécifique.

Nuisibles, à éliminer ?

Différents travaux, menés par exemple en Ouganda sur le virus de Marburg qui infecte à la fois les chauves-souris et les humains, montrent que même dans ce cas, éliminer les chiroptères peut avoir des effets contreproductifs en augmentant la transmission du virus par suite de l’appauvrissement de la biodiversité qui en résulte. Les milieux riches en biodiversité contribuent au contraire à réduire la transmission de tels pathogènes et semblent plus résilients. C’est l’effet « dilution » : l’hétérogénéité des populations et des écosystèmes limitent la transmission et la propagation de pathogènes et de zoonoses. De plus, la chasse aux chauves-souris accroît les mouvements au sein de leurs populations et la recolonisation des milieux laissés vacants par des individus sensibles permet au virus de se réinstaller et de se propager dans de nouvelles populations connectées entre elles.


Les milieux riches en biodiversité contribuent à réduire la transmission de maladies infectieuses

Inutiles ?

Les chauves-souris peuplent toutes les régions du monde, sauf les zones polaires. Certaines sont frugivores, comme les roussettes, qui jouent dans la catégorie des géantes avec 1 m 80 d’envergure et un poids qui peut dépasser 1 kg. D’autres sont insectivores, carnivores, ou encore piscivores, agrippant leurs proies à la surface de l’eau en vol « rase-motte ». Trois espèces seulement sont « vampires », en Amérique latine. Elles peuvent causer des dégâts dans les troupeaux et les humains doivent également se préserver de leurs morsures, qui ne sont pas fatales mais peuvent véhiculer des maladies. Selon leur profil écologique, les chauves-souris sont impliquées dans des fonctions majeures pour les écosystèmes.

Elles participent à la régulation des populations d’insectes, parmi lesquels des vecteurs de maladies humaines et vétérinaires

Dans les régions tempérées, elles sont presque exclusivement insectivores. Capables de consommer 25 % de leur masse corporelle par nuit, elles participent à la régulation des populations d’insectes, parmi lesquels des vecteurs de maladies humaines et vétérinaires (Anopheles, Musca) et des ravageurs de cultures. Les travaux de plusieurs équipes de recherche INRAE attestent de leur rôle en arboriculture et pour limiter les populations de chenille processionnaire du pin. Aux Etats-Unis, la contribution des chauves-souris à la régulation des insectes ravageurs a été jugée équivalente à une économie moyenne de 22,9 milliards de dollars de dépenses en pesticides agricoles. Le déclin des populations de chauves-souris a donc un coût ! D’autres travaux INRAE, en collaboration avec le Cirad, ont montré que cette fonction de régulation est particulièrement importante pour les pays en voie de développement puisqu’elle assure une lutte contre les ravageurs des cultures ‘gratuite’.

Dans les régions tropicales, certaines espèces, nectarivores et frugivores, contribuent activement à la pollinisation et la dispersion des graines de nombreuses plantes, ce que des chercheurs INRAE ont contribué à prouver. Par exemple, le baobab n’existerait pas sans ces animaux indispensables à sa pollinisation. Le mezcal non plus car cette boisson alcoolisée mexicaine est élaborée à partir d’un agave pollinisé par les chauves-souris. En Amérique tropicale, ce sont ainsi 360 espèces de 44 familles botaniques qui bénéficient du service de pollinisation des chauves-souris, et environ 550 espèces de 62 familles botaniques pour la dispersion des graines. Les graines sont dispersées via les excréments, jusqu’à près d’une dizaine de km. Le guano de chauve-souris est par ailleurs un excellent fertilisant. Ces contributions à la reproduction végétale font des chiroptères l’un des principaux artisans de la régénération des forêts tropicales. Les chauves-souris sont ainsi des maillons essentiels du fonctionnement des écosystèmes.

 

Prédatrices de premier plan pour les insectes communs nocturnes, les chauves-souris sont sensibles aux changements dans les pratiques culturales. Plusieurs travaux, dont des recherches INRAE, montrent que les pressions auxquelles elles font face – changement de paysage, intensification de l’agriculture, développement, fragmentation des habitats – affectent également beaucoup d’autres espèces sauvages. Ce qui fait des chauves-souris, un excellent indicateur de la santé de la vie des écosystèmes.

Les chauves-souris, un excellent indicateur de la santé de la vie des écosystèmes.

Différentes…

Chauve souris Myotis myotis © Maxime Leuchtmann

La biologie des chauves-souris est pleine de surprises… Elles vivent majoritairement la nuit et elles s’orientent et détectent leurs proies grâce aux ultrasons. Chez beaucoup d’espèces, les accouplements ont lieu à l’automne ou pendant l’hibernation, mais la fécondation n’arrivera qu’au printemps, après une période de stockage de sperme qui peut aller jusqu’à 6 mois, ce qui est tout à fait unique chez les mammifères. Elles vivent extraordinairement longtemps… Pour les scientifiques, elles sont un modèle exceptionnel pour travailler sur la longévité, l’immunité et la résistance au cancer. Des travaux d’une équipe européenne associant INRAE ont permis d’élucider une partie des mécanismes moléculaires leur permettant cette durée de vie. Contrairement aux autres espèces, lorsque leurs cellules se reproduisent, l’extrémité de leurs chromosomes, appelée « télomère », ne se réduit pas. Par ailleurs, la régulation de l’expression de gènes liés à la réparation de l’ADN est tout à fait distincte de ce qui est observé par exemple chez l’humain. L’étude du vieillissement chez les chauves-souris sauvages peut inspirer de nouvelles solutions pour ralentir le processus de vieillissement, et en fin de compte, étendre la durée de vie en bonne santé chez l’humain. Nous avons encore beaucoup à apprendre des chauves-souris…

 

Quelques références

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Nicole LadetRédactrice

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